Avec Mousalaha, Salim Mounayir promeut une réconciliation israélo-palestinienne au nom de Jésus

mercredi 12 mai 2010

Dans les milieux évangéliques, la question d’Israël est très disputée. Longtemps, le débat était verrouillé par ceux qui considéraient que tout évangélique ne pouvait être qu’un inconditionnel de l’Etat hébreu. Les temps changent. Notamment grâce à une meilleure connaissance de la communauté palestinienne évangélique. Le dimanche 20 mai dernier, Salim Mounayir, le doyen du Collège biblique de Bethléem, a prêché à l’Eglise évangélique la Fraternelle à Nyon (FREE) dans le cadre d’une visite en Suisse organisée par l’ONG "Portes Ouvertes" . Nous vous proposons ci-dessous la transcription de son propos. Salim Mounayir n’aborde pas de manière directe les questions de compréhension et d’interprétation des textes bibliques qui touchent à Israël. Il parle de son expérience de réconciliation, dans un contexte où la haine alimente la haine depuis plus de 60 ans. Une prédication à ne pas manquer ! Une prédication qui conserve certaines tournures orales.

L’aventure de Mousalaha (« réconciliation » en arabe) a commencé lorsqu’un de mes étudiants au Collège biblique de Bethléem m’a posé quelques questions. « Quand je rentre chez moi après le Collège biblique, a-t-il dit, je dois traverser un poste de contrôle et les soldats israéliens me maltraitent. J’ai 19 ans et eux aussi. S’ils déposent leur uniforme et leur fusil, je pourrais leur donner des leçons de judo ». Sa dignité était violée et il était humilié. Il a ajouté : « Je suis chrétien... Que ferait Jésus à ma place, quand je dois passer par cette humiliation 2 à 3 fois par jour ? » Il a continué avec d’autres questions : « Quand j’arrive à la maison, je rencontre quelques jeunes qui parlent de leur situation : ils doivent aussi passer ces points de contrôle tous les jours, ils ne peuvent pas quitter leur ville et leur vie est difficile. ‘Il n’y a pas si longtemps, m’ont-ils dit, des colons se sont emparés d’un terrain dans notre village. Ils veulent y construire une colonie juive. Nous devons nous organiser. Nous devons manifester dans les rues et jeter des pierres aux soldats.’ Je ne peux que compatir, a ajouté l’étudiant. Notre situation se péjore de plus en plus, mais je crains de compromettre mon éthique chrétienne, si je me trouve entraîné dans la violence. Si je refuse de me joindre à eux, ils vont me considérer comme un traître. Que ferait Jésus à ma place ? »
Cela commence à se compliquer... Ce n’est plus si simple ! Cet étudiant a continué : « Que faisons-nous au Collège biblique ? » J’ai répondu : « Nous étudions la Bible ». « Mais de quel peuple la Bible parle-t-elle le plus ? » a-t-il demandé. « Du peuple juif », lui ai-je répondu. Il a rétorqué : « Je n’ai pas envie d’apprendre grand-chose à propos du peuple qui nous inflige tant de souffrances ! »

Palestiniens et porteurs d’un autre regard
Les chrétiens palestiniens se trouvent dans une situation unique et exceptionnelle. Vous les chrétiens européens, vous connaissez bien la relation entre juifs et chrétiens sur votre continent. Vous abordez notre région avec à l’esprit l’époque de la Bible et le temps « romantique » où David tuait le géant Goliath, ou vous pensez à votre visite en Israël et notamment au moment où la Bible est devenue vivante pour vous grâce à ce séjour dans le contexte où elle a été écrite. Quand vous abordez notre région, vous pensez aux traitements qui ont été infligés aux juifs en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale ou alors vous considérez que, comme certains le croient, ce qui se passe dans la vie des Palestiniens aujourd’hui, est l’accomplissement des prophéties bibliques.
En fait, les chrétiens palestiniens viennent d’un arrière-plan totalement différent. Ils n’ont pas vécu l’expérience douloureuse de la persécution des Juifs en Europe. Ils vivent au Moyen-Orient depuis des milliers d’années et essaient d’être fidèles à leur foi. Voici que d’autres chrétiens viennent les voir et les interpellent. Plus que cela ! Ces chrétiens affirment que tout ce qui se vit dans notre région est une préparation de la seconde venue de Jésus. « Vous devez partir et faire la place aux Juifs », lancent-ils même parfois. Pour mon jeune étudiant de 19 ans, ça fait question : « Suis-je un écueil au retour de Jésus ? Suis-je une entrave au salut du monde ? Suis-je un obstacle aux nouveaux cieux et à la nouvelle terre ? Est-ce vraiment vrai ? »
A mon avis, ce ne sont pas seulement nos étudiants qui doivent se poser ces questions, mais les chrétiens du monde entier. La communauté chrétienne palestinienne, qui est passée en quelques décennies de 20% à 2 % de la population palestinienne, est la communauté chrétienne la plus problématique de l’histoire, mais cette communauté fait l’expérience d’un réveil. Les gens viennent à l’Eglise, pas seulement pour trouver une espérance en Jésus, mais également pour rencontrer leur prochain. Et c’est ce que nous voulons proposer aussi. En son temps, j’ai souhaité que cet étudiant puisse faire d’autres expériences avec les Juifs que celles avec des soldats et des colons. J’espérais une expérience positive avec des Juifs messianiques, qui sont nos frères dans la foi. « Peut-être qu’au travers de ces rencontres, me disais-je, nous trouverons des réponses. »

Une première conférence
C’était une très bonne idée... mais le résultat a été désastreux. Nous avons organisé une conférence et rassemblé des chrétiens juifs et des chrétiens palestiniens. Nous voulions démontrer à notre peuple que nous sommes réconciliés avec Dieu et les uns avec les autres, parce que Jésus a changé nos cœurs. A cause de cela, ne devons-nous pas être une lumière pour nos frères et sœurs ? Nous avons donc commencé cette conférence par un merveilleux moment de louange. Nous nous sommes ensuite répartis en petits groupes, en espérant que, dans ces moments plus intimes, chacun apprenne à connaître l’autre. Au milieu de ce moment, deux frères palestiniens sont venus me dire : « Nous aimerions te parler de tes amis juifs. Tu sais ce qu’ils nous ont dit ? Que si nous, chrétiens palestiniens, nous lisions attentivement notre Bible, nous verrions que ce pays leur appartient et qu’il n’est pas à nous ! D’après eux, ce que nous vivons est l’accomplissement des prophéties ! Si nous ne l’acceptons pas, c’est nous qui avons un problème avec Dieu ! »
C’était une manière originale de commencer un processus de réconciliation ! Un peu plus tard, 3 frères juifs sont venus vers nous. « Nous aimerions te parler un peu de tes frères arabes ! » Ils n’ont pas osé parler de Palestiniens. « Voici ce qu’ont dit tes frères arabes : ‘Vous les Juifs, vous prenez toutes les promesses pour les Juifs dans la Bible, mais que faites-vous des conditions de l’alliance : être un peuple saint et marcher dans la justice avec son prochain ? Vous devez avoir les mêmes lois pour les Juifs et les non-Juifs dans le pays. Il est où Jésus dans tout cela ? Tous les versets que vous nous citez sont tirés de l’Ancien Testament, mais que dites-vous de l’enseignement du Nouveau Testament sur la manière de considérer la terre ?’ »
D’une manière très simplifiée, c’est le débat théologique qui a cours entre ces deux groupes de chrétiens. Mais ce débat théologique n’a pas lieu seulement entre les juifs messianiques et les chrétiens palestiniens. Nous le trouvons de plus en plus en Europe et aux Etats-Unis. Les Eglises évangéliques occidentales ont tendance à être favorables à l’Etat d’Israël. Elles créent toutes sortes d’organisations pour soutenir l’Etat hébreu. Les Eglises historiques – réformées ou catholique - pour lesquelles le thème de la justice est un thème très important, se tiennent plutôt du côté des Palestiniens. Nous avons oublié que c’est Dieu qui a créé le monde, que Dieu nous aime tous et que Jésus est mort pour tous. Pourquoi nous qui croyons en Jésus, nous trouvons-nous ainsi en opposition ?
Il y a 18 ans, Dieu nous a parlé au travers de quelques versets dont on a, au fil des ans, saisi de plus en plus l’importance. Dans la première épître de Jean au chapitre 4 (v. 18 et 19), nous lisons : « Nous l’aimons parce qu’il nous a aimés le premier et si quelqu’un dit : ‘J’aime Dieu’ et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur. Si quelqu’un n’aime pas son frère qu’il voit, il ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas ». Le véritable test de toute spiritualité chrétienne, ce n’est pas le type de louange que nous exprimons devant Dieu. Ce n’est pas non plus la connaissance que nous avons de la Bible, ni le montant de notre soutien à la mission. C’est notre capacité d’aimer nos frères et sœurs.

Choisir le chemin de Jésus
Nous faisons souvent des commentaires sur la manière de vivre des autres, sur leur façon de parler, de s’habiller, de manger, etc. Ils ne sont pas seulement différents, mais peut-être sont-ils même devenus nos ennemis ? C’est ici précisément le test du chrétien. Nous avons 2 options. Si on tue 2 d’entre nous, nous en tuons 4 chez eux ! Ainsi nous entrons dans le cercle vicieux de la défense de notre identité et de la vengeance. Beaucoup d’innocents se font tuer ainsi. Nous n’en connaissons pas les raisons et nous ne savons même plus quand le conflit a commencé. Seconde option : nous pouvons choisir le chemin de Jésus. C’était précisément le défi que nous avions devant nous. Ces versets de l’épître de Jean nous disent : « Ce voisin, ce collègue, même s’il ne parle pas ta langue, il a été crée par Dieu et Jésus l’a marqué de son sceau ». Si je suis en conflit avec lui et que je suis le bon et lui le méchant, nous entrons dans la logique du nous contre eux. Nous sommes même tentés de généraliser la situation et d’en faire la raison d’un affrontement entre Arabes et Juifs, entre musulmans et chrétiens... Mais tous les chrétiens ne sont pas identiques. Ils ne croient pas tous exactement la même chose. C’est pareil pour les juifs et les musulmans. Dans une situation de conflit, on généralise et on se compare. On veut se trouver supérieurs aux autres. Ce phénomène s’appelle la déshumanisation. Nous ne voyons plus l’image de Dieu dans l’autre qui a aussi été créé par le Seigneur.

La déshumanisation du prochain
Dans notre culture, nous avons découvert qu’à 5 ans les enfants ont une image très claire de leurs ennemis. Ils la reçoivent au travers de l’école et de leurs parents. Mon épouse était dans un parc en Israël et, à côté d’elle, il y avait une maman juive avec sa fille et elles jouaient ensemble. La maman a demandé à sa fille de rentrer à la maison et la fille ne le voulait pas. Alors elles ont commencé à se disputer et la maman a dit : « Si tu restes au parc, les Arabes vont venir te kidnapper ». Le lendemain, j’étais à Bethléem et une maman palestinienne discutait avec son fils. Il ne voulait pas l’écouter. Ils se sont mis à se disputer et elle a dit : « Je vais aller chercher les soldats israéliens ». On peut rire de tout cela, mais de tels propos entraînent un effet désastreux sur nos enfants. De plus, nous passons souvent de la déshumanisation à la démonisation, lorsque nous utilisons la religion pour justifier notre attitude de rejet de l’autre. Souvent nous utilisons même la Bible comme une arme contre les autres.
Les gens auxquels nous parlons et avec lesquels nous sommes en conflit sont aussi précieux aux yeux de Dieu que nous le sommes à ses yeux. Nous oublions souvent que Dieu a payé le prix pour eux comme pour nous. Nous oublions souvent que Dieu leur a fait le même cadeau qu’à nous : son Saint-Esprit. Pouvons-nous nous souvenir de cela ? Dans une situation conflictuelle, c’est très difficile, comme nous l’avons vu dans notre expérience entre croyants juifs et chrétiens palestiniens. Beaucoup de gens pensent que le conflit tourne uniquement autour de la question des territoires. Ce n’est pas qu’une question de territoires. C’est quelque chose de plus fondamental, c’est notre identité qui est en jeu.

A deux familles dans la même maison
J’aimerais illustrer cela avec une expérience que j’ai vécue voilà quelques années. J’enseignais en Allemagne et je bénéficiais des services d’un chauffeur allemand. Je lui ai demandé ce que les Allemands pensaient des Français. Il m’a répondu : « Nous ne les aimons pas ! » J’ai ajouté : « Que pensez-vous que les Français pensent de vous ? » Il m’a répondu : « Vraisemblablement qu’eux aussi ne nous aiment pas ! » D’un côté, vous avez la France, de l’autre l’Allemagne. Dans notre situation au Moyen-Orient, nous avons deux nations dans un même pays. La nuit, il y a beaucoup d’Israéliens et de Palestiniens qui rêvent qu’à leur réveil il n’y aura plus de Palestiniens ou plus de Juifs. Nous nous réveillons et nous nous rappelons douloureusement la réalité de notre existence.
Le problème, c’est qu’une des deux parties est plus puissante que l’autre. Ainsi nous nous retrouvons dans une même maison à deux familles, et nous devons partager le salon, la cuisine et les WC. Vous pouvez imaginer comme c’est difficile. Je sais comment mes 4 garçons se disputent pour être le premier à la salle de bains le matin ! Imaginez ce qui se passe avec des gens qui ne s’aiment pas ! Ils décident de construire un mur. Le plus puissant des deux dit : « Je ne veux plus les voir. On les met de côté ! » Mais en fait, l’autre famille est toujours là. Vous pouvez fermer vos yeux et votre cœur, mais ils continuent de partager le même territoire avec vous.
Notre identité est aussi influencée par notre histoire et par les choix que nous avons faits. Ces choix ont conduit à ce que nous développions dans notre identité une attitude de victime. Après la Shoa, les Juifs ont reçu l’autorisation de l’Occident de créer l’Etat d’Israël. Les Palestiniens disent : « Les Européens ont tué des Juifs et c’est nous qui en payons le prix ! » A quoi est-ce que cela conduit ? A une vision fataliste. Du côté juif, on affirme : « On n’aura jamais la paix avec les Arabes ! » Du côté palestinien : « On n’aura jamais la paix avec les Juifs tant qu’ils n’auront pas repris tout le territoire ! » Et personne ne cherche à contribuer à la paix. « Parce que nous sommes victimes, nous signons des accords de paix. Nous leur donnons un territoire et cela ne leur suffit pas », disent les Juifs. Et les Palestiniens lancent : « Nous avons signé des accords de paix et ils nous ont rendu des territoires, mais ils continuent de bâtir des colonies. Donc ils disent une chose et ils en font une autre ! » En fait chacun développe une attitude d’indifférence à l’égard des choses terribles que nous infligeons aux autres.

L’importance d’un travail sur la mémoire
Dans une démarche de réconciliation, le travail sur la mémoire et sur les souvenirs est très important. Essayez d’imaginer que vous rencontrez quelqu’un que vous n’avez pas vu depuis 10 ans. Cette personne vous a blessé. A sa vue, tous vos sentiments vont remonter. Vous pensiez que vous aviez résolu le problème et que vous lui aviez pardonné, mais tout à coup vous ressentez quelque chose de très fort contre cette personne. Dans la Bible, le thème de la mémoire est très important. Lorsque les enfants d’Israël sont sortis d’Egypte, Dieu ne leur a pas demandé de se souvenir de la manière dont les Egyptiens les avaient traités et avaient fait d’eux des esclaves. Au lieu de cela, Dieu a dit à Israël : « C’est moi qui vous ai sauvés. C’est moi qui suis venu pour vous délivrer. Quand vous serez arrivés en Terre promise, rappelez-vous que vous étiez des étrangers et une minorité en Egypte. Quand vous aurez la puissance des Egyptiens et leur pouvoir militaire, ne vous comportez pas comme eux ! »
La chose la plus importante que Dieu a fait ressurgir dans notre mémoire, c’est la Croix de Jésus. Par la Croix, Dieu nous appelle à nous identifier aux peuples perdus. Par la Croix, Dieu nous appelle à compatir au sort des pauvres, des étrangers, des réfugiés et des esclaves. « Rappelez-vous que vous étiez étrangers en Egypte ». Mais en même temps sur cette Croix, Jésus nous rappelle que pour résoudre les conflits que nous avons avec nos ennemis, il a fait quelque chose d’important pour nos ennemis. Il est mort pour eux, comme pour nous.

Le désert pour libérer la mémoire
Comment pouvons-nous travailler sur la mémoire et les souvenirs des chrétiens palestiniens et des Juifs ? Comment pouvons-nous les unir ? Notre réponse : les emmener au désert. La première fois que nous l’avons fait dans les années 90, 15 Palestiniens, dont certains avaient été impliqués dans des actes de violence, et 15 Israéliens, dont quelques-uns avaient été soldats dans l’armée israélienne, sont venus avec nous. Il a fallu quelques mois pour les convaincre de participer à cette expérience.
Nous leur avons dit : « Nous ne sommes d’accord sur presque rien, mais nous pouvons nous mettre d’accord sur une chose : Jésus est notre Seigneur ! Si vous acceptez cela, vous devez être capables de rencontrer vos frères et sœurs ». Nous avons décidé de partir dans le désert, bien loin de la pression des villes et des conflits. La première journée, nous l’avons passée dans une grande tente de bédouins. Nous avons lu la Bible et adoré le Seigneur. Dans ce désert, nous avons fait toutes sortes de jeux pour briser la glace. Mais tout cela ne marchait pas… Lorsque le soir est arrivé, les Palestiniens étaient d’un côté et les Israéliens de l’autre. Mon collègue juif et moi-même, nous avons dormi au milieu de la tente. Cela ne marchait pas ! Que devions-nous faire ?
L’homme qui possédait cette tente de bédouins avait quinze chameaux. Nous avons eu l’idée de mettre deux personnes sur chaque chameau : un Juif et un Palestinien. Nous leur avons donné de la nourriture et de l’eau pour faire un voyage dans le désert. Il nous a fallu quelques heures pour convaincre les participants de se mettre 2 par chameau. Le soir, après avoir préparé un repas ensemble, chaque paire a partagé les expériences de nos ancêtres, qui ont tué ou se sont fait tuer par les ancêtres de l’autre. Chacun a commencé à écouter les souffrances de l’autre. Avant, aucune de ces trente personnes ne voulait parler des problèmes des autres. Cette amorce d’échange ne signifiait pas qu’ils étaient d’accord sur l’analyse de la situation, mais au moins ils cherchaient à comprendre.
Après ce premier jour dans le désert, ils étaient devenus amis. Dans le désert, tout déséquilibre de pouvoir disparaît et tous se retrouvent sur pied d’égalité. Le désert est un lieu d’épreuve pour la foi et pour la vie. C’est un lieu où Dieu a emmené une minorité esclave pour lui apprendre la liberté. C’est un endroit qui fait peur et où on ne peut plus tenir un discours à propos d’eux et de nous. Pour survivre, il faut tirer à la même corde. Nous comprenons à quel point il est grand lui, le désert, et à quel point nous sommes petits.

Un impact sur l’entourage
Le désert est donc devenu le lieu où nous avons appris à construire des relations nouvelles et où nous avons vu un impact sur les gens autour de nous. Un exemple : un jour, nous étions sur une montagne en Galilée et, le soir autour du feu, nous avons loué Dieu en arabe et en hébreu. Tout à coup, il y a eu des bruits. Un groupe de soldats israéliens est apparu. Ils ont dit : « Nous avons entendu parler hébreu et arabe. Que se passe-t-il ici ? » Nous leur avons expliqué qui nous étions et ils ont passé la soirée avec nous à apprendre à connaître un peu notre Dieu.
Une autre fois, nous étions dans le désert du Sinaï. Le chef de la compagnie égyptienne qui s’occupait de l’infrastructure est venu nous parler après deux jours. Nous nous demandions s’il y avait un problème. Il voulait simplement nous dire que, lorsque nous avions demandé s’ils pouvaient nous accueillir, ils étaient réticents. « Nous voulions que vous gardiez pour vous vos problèmes de Palestinens et de Juifs. Nous ne voulions pas que vous les emmeniez dans le désert. C’est déjà suffisamment difficile de vivre ici, sans que vous y ameniez vos problèmes ! Mais ce qui se passe est étrange. On ne sait plus qui est Israélien et qui est Palestinien. Nous pensions que vous alliez être en conflit tout le temps de votre séjour ici, mais vos relations semblent bonnes. Comment est-ce possible ? » Nous avons pu alors parler du Seigneur...
La même chose s’est passée l’an dernier dans le désert de Jordanie. Le dernier jour de notre périple, nous sommes montés dans une réserve naturelle et, à côté de nos tentes, il y avait des tentes de Jordaniens musulmans. Le soir, nous avons pris ensemble la sainte cène. Nous avons commencé à adorer Dieu en arabe et en hébreu. Ils sont venus écouter. Lorsque nous avons partagé le repas du Seigneur, nous avons passé du temps à confesser nos péchés. Un pasteur juif s’est levé. Il a dit que, durant la guerre contre l’Egypte, il avait tué un Egyptien. Depuis, il s’était converti. Il savait que Jésus lui avait pardonné, mais il disait : « J’ai besoin de la prière de mes frères palestiniens ! » Puis un pasteur palestinien s’est levé. Il a dit : « Je suis venu à ces rencontres de réconciliation avec nos frères et sœurs, mais je ne les invite pas chez moi. J’ai besoin de votre prière, parce que je suis un hypocrite ». A côté de moi, il y avait un homme qui était resté très calme et très effacé durant toute la retraite. Il s’est levé et a dit : « J’aimerais vous dire quelque chose : pendant 5 ans, je ne pouvais pas entendre la langue arabe, parce que j’ai perdu mon fils durant la guerre au Liban et voilà 5 jours que je suis avec des frères palestiniens dans ce désert. J’ai trouvé la paix et la libération de ma douleur. S’il vous plaît, priez pour moi ! » Un autre Palestinien s’est alors levé : « Mon oncle s’est fait tuer par les Israéliens. J’ai aussi besoin de prière ». Nous nous sommes donc mis à prier et nous avons vu que les Jordaniens près de nous s’étaient intégrés au groupe et, à la fin de ce partage du pain et du vin, ils ont dit : « Que se passe-t-il ici ? Nous n’aurions pas pu imaginer que des Palestiniens demandent pardon à des Juifs et que des Juifs demandent pardon à des Palestiniens. Qui êtes vous ? » Nous leur avons expliqué ce que Jésus a fait dans notre cœur.

Il n’y a qu’un acte divin pour fonder la réconciliation
A la fin de sa vie, Jésus a prié : « Je te demande qu’ils soient tous un. Comme toi, Père, tu es en moi et comme moi je suis en toi, qu’ils soient un en nous pour que le monde croie que c’est toi qui m’as envoyé » (Jn 17,21). Jésus passait par la période la plus intense de sa vie. Il savait qu’il allait être crucifié. Il priait pour lui, pour ses disciples et il a prié ensuite pour nous. Il a prié pour ceux qui n’ont pas vu ce qu’il a fait. Il a prié aussi pour nous qui n’avons qu’entendu ce qui s’est passé, afin que nous puissions croire en lui et que nous devenions un comme lui et le Père sont un, afin que le monde croie qu’il a été envoyé par le Père.
Pour les musulmans, Jésus n’est qu’un prophète. Pour quelques juifs, il est un bon maître, mais il est plus que cela ! En fait, il n’y a qu’un acte divin qui puisse amener à la réconciliation. Ce n’est pas en notre pouvoir. Jésus est venu. Il nous a réconciliés avec le Père et nous a rendus un. Non pas seulement par un acte où il nous met ensemble et où nous éprouvons de bonnes sensations les uns envers les autres, mais par un acte divin : le don de sa propre vie pour nous. Le monde autour de nous a faim de justice. Nous pouvons être une démonstration puissante de cette justice divine, lorsque nous nous aimons les uns les autres malgré nos difficultés, malgré les différences linguistiques, malgré les différences ethniques. Cela peut se passer ! Nous autres juifs messianiques et chrétiens palestiniens, nous le faisons certainement d’une manière limitée. Mais les grandes choses se passent de manière simple et petite. Lorsqu’il fait nuit, une petite lumière suffit pour éclairer loin à la ronde.

Tous devant un choix
Cette réalité du travail de réconciliation n’est pas seulement valable pour nous en Israël-Palestine. C’est aussi valable pour vous. Chacun est placé devant un choix : garder ses griefs, avoir une attitude de victime, s’autoriser à dire du mal des autres que vous n’aimez pas ou qui vous ont fait du mal, ou alors entrer dans une démarche de réconciliation et pardonner. Chacun peut faire le choix de sortir et de casser ce cercle, puis de pardonner à la personne qui lui a fait du mal. Ce choix, on le retrouve dans toutes nos sphères d’activités : au travail, dans la famille, avec nos voisins et même avec un autre membre de l’Eglise.
Si vous voulez expérimenter la puissance de Dieu, vous devez faire l’expérience de son pardon. Lorsque vous expérimentez son pardon, vous devenez ce canal d’amour au service de Dieu. Cet amour est particulier. Il n’est pas identique à l’amour qui nous unit à quelqu’un qu’on aime bien, comme par exemple son épouse. Mais c’est un amour particulier qui trouve sa source quand Dieu nous a aimés, alors que nous étions encore pécheurs et opposés à ses projets. C’est un amour qui peut faire mal, parce qu’il y a un prix à payer. Dieu a renoncé à lui-même, il a donné son Fils. Etes-vous prêts à renoncer à votre identité, à votre orgueil ou à quelque chose de bon qui vous est précieux ? C’est ce qui vous rendra capables d’aimer votre prochain.
Salim Mounayir

Traduction : Heinz Suter. Transcription et adaptation : Norbert Valley et Serge Carrel.

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