« RéformeS » est un journal réformé qui est paru récemment à l’occasion du 500e anniversaire de la naissance de Calvin. Publié à 17 000 exemplaires par l'EERV, sous la responsabilité du membre permanent du Conseil synodal, Antoine Reymond, il a été distribué dans toutes les paroisses réformées du canton de Vaud.
Un billet qui surprend !
On y découvre une série d’articles brefs s’intéressant à Calvin, à Luther, à Gutenberg et aux autres… à Karl Barth et à la Déclaration de Barmen. A l’Armée du Salut encore, présentée très positivement. Enfin on repère un texte qui devrait offrir quelques pistes de réflexion utiles aux paroissiens réformés, à ceux qui s’intéressent aux questions théologiques ou à la géographie ecclésiastique du pays. Signés par le pasteur et théologien Jean-Denis Kraege, ces propos seront considérés, à tort ou à raison, comme une opinion « officielle ». Chez nombre de paroissiens, ils feront naître ou confirmeront un confus sentiment de méfiance, au vu de leur estampille académique… Le seul titre du texte, attractif à souhait, suffira à conférer une caution ministérielle à l’esprit sectaire qui émane du texte doctrinal : décidément, ceux qui sont « contre », ce sont les autres ! Voici ce billet :
« Evangéliques» contre évangéliques! »
« Certains protestants ont la prétention d'être aujourd'hui les vrais héritiers de Calvin. Ils se dénomment eux-mêmes « évangéliques ». Ils contestent ainsi la fidélité à la Réforme de ceux qui s'appellent « évangéliques réformés » ou « évangéliques luthérien ». Selon leurs propres dires, ils se sont convertis. Ils ont tourné le dos à la vie de péché qui était la leur antérieurement. Ils se sont une fois pour toutes repentis et vivent une vie de sainteté.
Mais c'est précisément sur cette manière de concevoir la vie chrétienne qu'ils ne sont pas fidèles à Calvin (ni du reste à Luther !). Pour eux le péché appartient au passé ; maintenant ils sont sauvés. Et ce qui les sauve, c'est leur foi, leur conversion. Ils font ainsi de la foi une bonne œuvre, un mérite !
Pour Luther et Calvin, le croyant reste toute sa vie un pécheur. Il se sait simplement pardonné par Dieu. A l'époque on disait que le chrétien était « simultanément juste et pécheur, toujours repentant ». On ne se repent pas une fois dans sa vie. Il faut le refaire chaque jour. Chaque jour, à chaque instant, il convient de recevoir le pardon et la foi que Dieu nous offre gratuitement.
Pourquoi ne puis-je jamais être définitivement sauvé ? Parce que, si je possédais le pardon et la foi, je deviendrais immédiatement plein de moi-même. Je croirais pouvoir faire quelque chose indépendamment de Dieu. Or c'est là que réside précisément la définition du péché : croire que je peux me passer de Dieu.
Les « évangéliques » redoublent donc leur péché en n’acceptant pas qu’il leur faille vivre en éternels pécheurs dans la totale dépendance de Dieu, en comptant toujours de nouveau sur la grâce et elle seule. »
Température hivernale dans nombre de paroisses et d’Eglises
« RéformeS » a jeté un froid dans de nombreuses paroisses réformées aussi bien que dans les communautés indépendantes. Son contenu a blessé profondément tous ceux qui se réclament des convictions les plus chères aux chrétiens de persuasion évangélique. En effet, le réquisitoire à l'emporte-pièce prononcé à leur endroit justifie leur tristesse, parfois leur colère.
L’auteur, qui est l’un des responsables de la rubrique « QuestionDieu.com » du mensuel « Bonne Nouvelle », réchauffe sa thèse en janvier avec le même argument unilatéral. Il répond ainsi à la question que pose une jeune fille :
- Tu veux demander ce qui distingue les « évangéliques » de ceux qui se rattachent aux Eglises protestantes « historiques » que sont les Eglises réformées ou luthériennes ?
A mon sens, la grande différence réside en ce que les Eglises « historiques » insistent sur la grâce alors que les Eglises « évangéliques » insistent sur la foi.
Dans ces jours où est particulièrement rappelée l'unité de tous les chrétiens, beaucoup d’entre eux ont pu réaliser, en lisant Jean-Denis Kraege, que la route vers l’unité pourrait être encore longue… Ils sont donc en droit de s'interroger : quel est l’OBJECTIF poursuivi par la parution de ce singulier brûlot, dont on ne les avait habitués jusqu’ici ni au ton polémique, ni au contenu apologétique ?
On supporte la fumée, mais où est le feu ?
On ne se souvient pas d’avoir vu s’élever un tel écran de fumée depuis des décennies, dressée telle une nuée séparatrice d’avec le pré des voisins évangéliques. Etant d’une autre persuasion certainement, mais tout de même apparentés, ceux-ci toussent. Et s’interrogent sur l’idée venue d’aiguiser ainsi sa plume et de la transformer en une flèche si pointue ? Il nous semble qu’elle a surtout atteint les caricatures virtuelles de personnes dont on s’est imaginé les hypothétiques dérapages. Il doit y avoir feu d’hérésie en la demeure de la vérité pour que le pasteur ne se contente pas d’informer passe à la dénonce. Si ce n’était, alors pourquoi cette excroissance étrangère, ce seul et unique article à se rapporter à une situation actuelle ?
La nouvelle, bonne à répandre à défaut d’être bonne, c’est que les Eglises « évangéliques » ne le seraient pas tout à fait, ou alors seulement… entre guillemets ! On sous-entendrait presque leur réprimande justifiable, pour s’être indûment approprié le beau titre par lequel elles se désignent. Mais alors qu’on veuille m’éclairer : l’Eglise réformée dont je suis encore diacre… l’EERV du temps de la Réforme où elle s’est instituée en dissidence… à qui donc a-t-elle demandé le droit de se qualifier, elle, d’évangélique… ? A quelle autorité théologique fondée sur les Ecritures ?
Soit dit en passant : le pasteur réformé – bienheureux est-il de consacrer du temps à l’étude théologique ! – peut-il affirmer que l’Eglise qu’il représente est authentiquement évangélique dans toutes ses expressions de foi et ses activités ? Et, question pour rire : que son Eglise est suffisamment évangélique pour garantir, en chacun de ses paroissiens, l’exacte formulation et l’orthodoxe confession des dogmes réformés qui nous sont chers pour la plupart, à lui comme à nous ?
Doubles-pécheurs, mais malgré tout…
Autre problème, tout aussi grave : indirectement, l’article sous-entend que la position du Pasteur Kraege serait celle de l'ensemble de l'EERV. Or rien n'est plus faux heureusement. Eglise et Liturgie, par exemple, n'a pas cette attitude. On peut même imaginer que la ferme plume d’un Roger Barilier n’aurait pas séché en cette occasion. Car, sans vouloir prophétiser au-delà de nos limites ecclésiastiques à la manière d’Amos, on s’étonne que dans l'EERV, on puisse nier la Trinité, nier l'inspiration de certains livres de la Bible, nier la naissance virginale, nier la résurrection corporelle et le retour du Christ… et, dans le même temps, se considérer comme descendants de Calvin !
Le billet de Jean-Denis Kraege ne rend pas compte de la foi professée par les évangéliques. Le ton utilisé permet peu de doute sur le parti-pris que nourrit le rédacteur envers eux. Au fait, aurait-il eu l’audace et le courage de s’exprimer de même à l’égard des musulmans, par exemple, s’il avait eu l’idée de leur faire ses remontrances ? On s’insurge parfois contre les homophobes, contre les islamophobes… ? Mais cet article est carrément… évangélicophobe ! Et sans rire encore, mais ce n’est pas fini. De quelles approximations théologiques lapidaires, de quelle prétendue sainteté définitive dénichée on ne sait où, surgit cet argument coup de poing : « Les « évangéliques » redoublent donc leur péché (sic !) en n'acceptant pas qu'il leur faille vivre en éternels pécheurs dans la totale dépendance de Dieu, en comptant toujours de nouveau sur sa grâce et elle seule. »
Et bien non, ce n’est vrai ni de la théologie évangélique, ni des Instituts et des Facultés libres, ni de la part de théologiens dont certains sont d’éminents docteurs reconnus… De ces lieux de compétence ne parvient pas le moindre écho qui puisse justifier ce discours disqualifiant. C’est pourquoi les doubles-pécheurs ainsi dévoilés se remettront sans peine de cet uppercut peu fraternel. Par contre, le coup aura mis à découvert la garde de celui qui l’a si superbement décoché. Sans esprit de jugement quant à sa personne sinon quant à sa vision brumeuse, on se risque à interroger : son argument frappant tirerait-il son énergie de quelque ancienne expérience personnelle frustrante, de quelque blessure reçue lors de fréquentations intercommunautaires douloureuses ? Sa démonstration n’a de force que l’apparence de ses mots ! Et ces mots-là conduisent à une évidente conclusion :
- Jean-Denis Kraege paraît avoir mal saisi l’essence de la théologie des Réformateurs qu’il appelle à sa rescousse.
- Il ne connaît pas la théologie des croyants évangéliques dont il s’érige trop hâtivement en juge superficiel.
Fréquentons-nous !
C’est pourquoi nous lui adressons finalement une joyeuse invitation :
- Fréquentez-nous ! Frottez-vous à ces évangéliques, si vous voulez voir à qui ils ressemblent en réalité, quand on les laisse se dégager de certains a priori où d’aucuns ont tenté de les enfermer depuis deux siècles! Lisez l’Ecriture avec eux, faites bonne chère de Calvin et de prière, on espère ainsi que vous apprendrez à les mieux aimer, à vous en laisser aimer de même et un peu… à les supporter ! L’Evangile de la grâce, c’est notre histoire à réformer sans cesse, l’histoire d’un amour, toujours recommencée…
Paul Dubuis
Pasteur, Eglise évangélique des Marronniers à Rolle
(Diacre EERV)