La lamentation fait partie de la louange

David Porter jeudi 21 avril 2022

Comment louer Dieu lorsque ça va mal ? Dans l’Ecriture, Dieu a donné l’exemple d’un langage de louange dans la souffrance. Cela se trouve dans les Psaumes de lamentation.

« Jusqu'à quand, ô Eternel, m’oublieras-tu sans cesse ? Jusqu'à quand seras-tu loin de moi ? Jusqu'à quand aurai-je des soucis et des chagrins au cœur à longueur de journée ? Jusqu'à quand mon ennemi aura-t-il le dessus ? Regarde, Eternel mon Dieu, réponds-moi, viens réparer mes forces, sinon je m’endors dans la mort. Sinon mon ennemi dira que de moi il a triomphé, mes adversaires se réjouiront lorsqu’ils verront ma chute. Pour moi, j’ai confiance en ta bonté. La joie remplit mon cœur à cause de ton grand salut. Je veux chanter en ton honneur, ô Eternel. Tu m’as comblé de tes bienfaits » (Psaume 13).
 
Pour beaucoup, l’année 2020, avec ses restrictions sanitaires, a été très difficile. Certains ont perdu leur emploi ou leurs revenus, alors que d'autres ont perdu des proches. Ces évènements douloureux peuvent nous arriver, même en dehors d’une pandémie. Les circonstances difficiles de la vie nous amènent à nous poser la question suivante : comment vivre notre foi lors de tels moments douloureux ? Le Psaume 13 nous emmène à la rencontre de l'adversité qui survient lorsque le cours de notre vie change, lorsque nos repères sont chamboulés et que survient un grand choc. Nous n’avons jamais entendu dire : « J'ai eu une année facile, sans problèmes, et cela m’a appris tant de choses ! ». Au contraire, nous apprenons nos meilleures leçons de vie dans les moments difficiles : c’est là que nous apprenons ce qui est important et ce qui ne l'est pas. Paul Tripp, théologien étasunien, a souligné récemment dans une visioconférence que, selon la Bible, la vie chrétienne – située entre le « déjà » et le « pas encore » – n’est pas faite pour être confortable, mais pour permettre aux croyants d’être transformés. (1)

Lorsque la souffrance est lourde, dans notre vie ou dans le monde, nous reconnaissons davantage la nécessité du retour du Christ. Nous célébrons sa résurrection mais nous ne pouvons pas oublier la douleur et la souffrance du Christ crucifié, ni contourner la douleur de ce monde.

Vous souvenez-vous de moments où le mal et l'injustice vous ont sauté aux yeux ? Il s’agissait peut-être de photos de victimes du trafic humain, de statistiques sur la pauvreté, d’enfants placés en famille d'accueil ou d'esclavage. Quelles émotions avez-vous éprouvées ? De la colère ou de la peur… parce que le monde est pire que vous ne le pensiez, et que la bonté de Dieu vous semble éloignée ?

A qui exprimer ses émotions ?

Comment avez-vous pu exprimer vos émotions ? Avez-vous eu la liberté de vous adresser franchement à Dieu pour dénoncer le mal accablant qui règne dans le monde ? Votre vie de prière
inclut-elle cette colère ? Les Psaumes de lamentation, constitués d’une soixantaine de Psaumes, nous fournissent un vocabulaire pour mettre des mots sur la souffrance (2). La lamentation biblique est bien plus qu’un sentiment de regret à cause du péché. Cela inclut l’expression de la souffrance, de la confusion, de l'injustice, de la trahison et du désespoir. C'est un cri qui proclame que les circonstances ne correspondent pas au caractère de Dieu, ni à ses desseins. C'est un questionnement qui attend une réponse de la part de Dieu, afin de remplacer le désespoir par la confiance. C'est un ingrédient essentiel de la foi.

Le chanteur et compositeur Michael Card s'est particulièrement intéressé à la lamentation biblique, après avoir vu des amis souffrir : « La lamentation est plus qu’un phénomène psychologique consistant à ‘vider son sac’, il s'agit d’une adoration véritable durant laquelle nous offrons, en sacrifice à Dieu, notre fragilité et notre douleur. Nous avons été créés pour vivre avec Dieu dans un jardin. Pourtant, chaque matin, nous nous réveillons dans le désert d'un monde déchu » (3). La lamentation biblique nous lance un défi, parce qu’elle nous rappelle que nous ne comprenons pas tout ce qu’il y a à savoir sur les plans de Dieu.

Nos cultes sont-ils trop triomphalistes ?

La lamentation est l’une des formes les plus communes contenue dans les Psaumes. Pourtant, lors des cultes, nous ne l’utilisons que peu. Nous préférons des chants qui parlent de victoire, et non de souffrance. Parmi les participants, cela crée bien souvent une tension entre ce qui est proclamé et ce qui est ressenti.

Une étude à propos des recueils de chants utilisés aux Etats-Unis montre que, chez les Baptistes et les Presbytériens, 85 % des chants ont pour thème la victoire et le triomphe. Cette même enquête a dévoilé que, parmi les cent cantiques les plus chantés au monde – selon la liste du Christian Copyright Licensing International, une agence chrétienne de gestion des droits d’auteurs –, moins d’une dizaine peuvent être considérés comme des chants de lamentation ou des prières demandant à Dieu d’intervenir.

Mais que se passe-t-il, le dimanche matin au culte, lorsque certains chrétiens arrivent chargés de lourdes souffrances ? Un enfant très malade, un adolescent avec des troubles alimentaires, un membre « modèle de la communauté » qui pratique des violences domestiques, un tremblement de terre qui fait des ravages dans la vie d’autres fidèles ailleurs dans le monde…

La tristesse, le deuil, la perte, le rejet et la trahison font malheureusement partie de l'expérience humaine. « Il n’est pas possible d'adorer Dieu en esprit et en vérité sans recourir à la lamentation, écrit le théologien Andrew Sandlin. Son absence donne l'impression que l'Eglise est destinée uniquement aux gens pour lesquels tout va bien. Lorsque les Eglises ne retiennent que les témoignages de victoires, les personnes qui souffrent peuvent croire que leur voix n'est pas la bienvenue. Par contre, une Eglise qui fait de la place à la lamentation ouvre ses portes à tous » (4).

La lamentation, de quoi s’agit-il ?

La lamentation biblique est tout d'abord un cri honnête à Dieu. Les Psaumes de lamentation commencent par invoquer un Dieu personnel et accessible : notre rocher, notre forteresse, notre refuge… Mais cela n’empêche pas une tension, presque une contradiction, telle que celle du Psaume 22 qui constate l’absence ressentie de Dieu : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi tu m'as abandonné ? ».

Ensuite, la prière continue avec une lamentation courageuse, capable d’exposer les questions théologiques les plus intenses. Le psalmiste ne dit pas : « Je me demande pourquoi ces malheurs m’arrivent ». Non ! Avec honnêteté, il interpelle : « Jusqu'à quand, Seigneur, m’oublieras-tu sans cesse ? » Le ton de la plainte varie entre tristesse, remords, fatigue, colère, désillusion et doute. En effet, une adoration honnête doit pouvoir exprimer le doute en même temps que la foi, le doute comme un acte de foi. La formule d’un Psaume de lamentation dépasse nos clichés habituels pour permettre l’inclusion de la peur, de la colère et de la culpabilité. Utilisés dans la communauté, les Psaumes de lamentation donnent une voix aux personnes en souffrance et, par conséquent, une intégrité à notre louange. En effet, combien de personnes cessent de fréquenter l'Eglise lorsque, par exemple, elles passent par un temps de dépression ! Il s’agit de pousser un cri de souffrance dans un monde qui est loin d’être en phase avec la personne et les projets de Dieu. La lamentation est également une plainte contre les injustices et la présence du mal, par exemple dans le contexte de l'Eglise persécutée.

De la plainte à l’espérance

Un Psaume de lamentation se termine généralement par des paroles d'espérance, de confiance et de louange qui contrastent avec les plaintes qui précèdent. Par exemple, le Psaume 57 passe de la plainte – « Je suis entouré de lions, couché au milieu d'ennemis qui crachent du feu » (v. 5) – à l’apaisement et à la louange : « Mon cœur est tranquille, ô mon Dieu ! Oui, je chante et je te célèbre en musique » (v. 8).

Ainsi, comprendre la lamentation biblique, c’est accepter que les expressions de confiance, de louange et de joie soient inséparables de la plainte. La lamentation est une prière eschatologique : elle regarde vers l’avenir et anticipe la résolution de la crise. Elle rapproche le croyant de Dieu dans un moment critique, alors qu’il est tenté de s’éloigner de Lui. Elle permet d'avancer avec persévérance sans cesser d’attendre la justice.

L’utilisation des Psaumes de lamentation, lors de la louange devant Dieu, a des effets puissants. Vécue en Eglise, la lamentation manifeste la solidarité : « Partagez la joie de ceux qui sont dans la joie, les larmes de ceux qui pleurent » (Rm 12.15). Dans le monde, elle permet aux croyants de s’indigner, de partager le cri des victimes, de dire notre confiance en Dieu qui apportera la justice et la restauration à ce monde blessé, puis d’œuvrer pour la justice.

Par exemple, des chanteurs tels que Graham Kendrick et Paul Baloche, pour n’en citer que quelques-uns, utilisent régulièrement les Psaumes de lamentation, non seulement durant ce temps de pandémie, mais également dans le contexte difficile des attaques racistes vécues aux Etats-Unis.

Un témoignage édifiant

J’aimerais terminer avec le témoignage d’une chrétienne canadienne qui, durant un séjour missionnaire en Ethiopie, avait reçu cette parole prophétique : « Les portes s'ouvriront pour toi à ton retour au Canada ». Elle témoigne.

« Peu après mon retour au Canada, je me suis retrouvée au chômage, habitant au sous-sol chez les parents d'un ami. Ma maison familiale avait été détruite par un incendie, un ami s'était suicidé… Il ne s’agissait pas des ‘portes ouvertes’ dont j’avais rêvé !

J'étais aussi responsable de la louange dans mon Eglise. Et, les dimanches où j’en étais responsable, j’allais particulièrement mal. En fait, je n’arrivais pas à louer Dieu, car j’étais plutôt déçue de lui. Malgré le soutien de plusieurs personnes, je me sentais d’une certaine manière exclue du culte. Ce fut une période de dépression durant laquelle je n’arrivais à lire que les Psaumes, en particulier les Psaumes de lamentation.

J’ai donc commencé à inclure ces Psaumes aux temps de louange, lors des cultes. Et, à ma surprise, cela m’a valu des retours positifs. Plusieurs personnes m’ont dit que, auparavant, elles se sentaient obligées de laisser une partie d’elles- mêmes de côté pour pouvoir participer à la louange. Mais, subitement, elles se sentaient rejointes par ces textes et retrouvaient leur place au culte. Finalement, elles ont découvert en elles un nouvel élan pour la louange » (5).

 

Notes

(1) Paul Tripp, Sing ! Global 2020 Final Highlight Reel, 4 septembre 2020, https://youtu.be/zclSFNsOkj8.

(2) Psaumes avec lamentations individuelles : 3-7, 9-10, 13, 14, 17, 22, 25-28, 31, 35, 38-43, 51-52, 54-57, 59, 61, 64, 69-71, 77, 86, 88-89, 102, 108-109, 120, 130, 139-143. Psaumes avec lamentations collectives : 12, 44, 58, 60, 74, 79-80, 83, 85, 90, 94, 123, 126, 129, 137.

(3) Bringing Our Pain to God : Michael Card and Calvin Seerveld on Biblical Lament in worship, https://worship.calvin.edu/resources/resource-library/bringing-our-pain-to-god-michael-card-and-calvin-seerveld-on-biblical-lament-in-worship.

(4) Brian Kaylor, Church as a Place for Lament, https://wordandway.org/2017/01/06/church-as-a-place-for-lament.

(5) Stacey Gleddiesmith, « My God, My God, Why ? » Understanding the Lament Psalms, https://www.reformedworship.org/article/june-2010/my-god-my-god-why.

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