« Allo, Mustapha Krim, vous m’entendez … ? » C’est avec ces mots de Serge Carrel que s’est ouverte la table ronde. En duplex avec nous par téléphone, Mustapha Krim, actuel président de l’Eglise protestante d’Algérie (EPA), organe faîtier des Eglises protestantes d’Algérie, a brossé le tableau de la situation des chrétiens dans ce pays.
La situation actuelle en Algérie a en effet conduit les organisateurs de la table ronde à se baser sur le sort des chrétiens de ce pays pour réfléchir à la question de la liberté religieuse en terre d’islam. Comme on le sait, l’Algérie a connu ces dernières années un accroissement impressionnant du nombre de chrétiens autochtones, particulièrement dans la région de Kabylie.
« Depuis la publication d’une ordonnance en 2006, explique Mustapha Krim, le régime algérien a considérablement durci les pressions contre les chrétiens, en particulier ces derniers mois : peine de prison ferme et amende considérable pour tout chrétien accusé de prosélytisme, fermeture des lieux de cultes jugés non-conformes, refus de renouveler les titres de séjour des missionnaires étrangers, etc. » Et le président de l’EPA de s’interroger : « Comment un pays signataire de la Charte des droits de l’homme, peut-il se doter d’une loi qui s’oppose si frontalement au principe de la liberté de conscience ? »
Quel combat ?
Pour Michael Mutzner, spécialiste de la liberté religieuse en droit international, il est essentiel de communiquer sur le non-respect de la liberté religieuse pour que la situation change. « L’Algérie a pris des engagements au niveau international, du fait de son adhésion à l’ONU et en tant que signataire du Pacte des droits de l’homme. Elle s’est engagée à défendre la liberté religieuse. Même si les résultats ne sont pas garantis, les pressions internationales – qu’elles soient l’œuvre des Etats ou d’organismes internationaux – peuvent infléchir l’action des gouvernements. Le comité chargé de l’application du Pacte international des droits de l’homme a ainsi dénoncé le non-respect dont témoigne l’ordonnance de 2006. »
Le durcissement de la situation algérienne, le Suisse Ueli Sennhauser en a fait les frais. Pasteur en Algérie depuis 1994 et élu président de l’EPA en 2006, il s’est vu refusé le renouvellement de son titre de séjour en 2007 : l’Etat lui donnait 15 jours pour quitter le pays. Que faire ? A qui s’adresser ? Les recours, tant auprès du Gouvernement algérien que de l’Ambassade suisse, n’ont rien donné. Fallait-il avertir les médias et mettre en branle le mécanisme des pressions internationales ?
« Le jour où j’ai reçu ma lettre de renvoi, nous partage Ueli Sennhauser, j’ai reçu cette parole de Dieu : ‘L’Eternel combattra pour vous et vous demeurez tranquille’. » Sur cette parole, le président de l’EPA a refusé tout battage médiatique et a pris le chemin de la Suisse sans retour. Ce douloureux départ des missionnaires étrangers aura eu comme effet bénéfique de pousser les chrétiens autochtones aux postes à responsabilité : le conseil de l’EPA, constitué en majorité d’étrangers en 2002, n’est formé aujourd’hui que d’Algériens !
Conversion et apostasie
L’arrivée des croyants algériens sur le devant de la scène marque un tournant pour l’Eglise de ce pays. En effet, c’est moins la pratique religieuse qui pose problème que la conversion de musulmans à la foi de Jésus-Christ. Ces « apostats » sont soumis à 1000 pressions sociales et, aujourd’hui, étatiques. « Un chrétien algérien ne pourra jamais accéder à certains postes à responsabilité, ni être élu », explique Hocine Kaci-Amer.
Comment expliquer cet acharnement de l’Etat contre ce qui demeure une minorité ? La réponse est complexe et contient des éléments tant religieux que politique. Ainsi pour plusieurs observateurs, ce serait pour satisfaire les mouvements islamistes et détourner l’attention des citoyens que le régime actuel a fait de la minorité chrétienne son bouc émissaire.
Terre d’islam et terre chrétienne
Pasteur algérien d’origine kabyle, aujourd’hui en Suisse après une formation théologique en France, Hocine Kaci-Amer s’apprête à regagner son pays pour y exercer un ministère pastoral dans la ville de Constantine, haut lieu de l’islam en Algérie. Marié et père de deux jeunes enfants, il est très conscient des risques qu’il encourt lui et sa famille en retournant au pays, sans doute sans possibilité d’en ressortir. Mais pour lui, l’appel de Dieu est clair : « Malgré les tentatives des Arabes arrivés au VIIe siècle d’effacer le passé chrétien de l’Afrique du Nord, nous n’oublions pas qu’aux premiers siècles de notre ère, notre région a été chrétienne et a produit de grands théologiens comme Tertullien, Cyprien ou Augustin. Notre demande d’être reconnus en tant que chrétiens et Algériens est légitime. Nous ne voulons pas, alors que Dieu semble redonner à notre région la chance de renouer avec ses origines, nous enfuir et laisser toute la place à l’islam. »
Pourtant, la situation des chrétiens en terre d’islam n’est pas des plus faciles. « Si un musulman se convertit au christianisme, continue Hocine Kaci-Amer, le Coran enseigne qu’il doit d’abord être averti et repris par ses proches. S’il ne revient pas et qu’un musulman le tue, son meurtrier ne sera pas poursuivi. Si cette loi de la charia n’est pas appliquée en Algérie, elle montre néanmoins le niveau de pression auquel les convertis de l’islam doivent faire face. »
Différences entre pays
Si les chrétiens en Algérie vivent des temps difficiles, il ne faudrait pas pour autant généraliser cette situation à tous les pays musulmans. Comme le remarque Serge Carrel, des pays comme l’Egypte ou le Liban, avec de fortes minorités chrétiennes, sont plus tolérants vis-à-vis des chrétiens.
« Mais, rappelle Hocine Kaci-Amer, cette tolérance vise généralement les chrétiens historiques qui, comme les coptes en Egypte, ont résisté à travers les siècles à la pression de l’islam. Les anciens musulmans convertis sont pour leur part l’objet de nombreuses pressions, même dans les pays où islam et christianisme historique cohabitent. » Et Michael Mutzner d’ajouter : « Malgré son ouverture, l’Etat égyptien s’est doté d’une loi assez floue permettant de condamner l’apostasie sous le prétexte qu’elle porte atteinte à l’unité nationale. De son côté, la Libye a fait de l’appartenance à l’islam un prérequis pour conserver la citoyenneté libyenne : un musulman qui se convertit perd sa nationalité ! »
« Et les minarets ? »
La question de la liberté religieuse ne se pose pas qu’en terre d’islam. Dans une « terre chrétienne » comme la Suisse, la question des minarets a ainsi soulevé à sa manière l’enjeu de la liberté de pratiquer sa religion. La notion de la réciprocité de la liberté religieuse est donc naturellement venue sur le tapis : « Pourquoi autoriser les minarets en Suisse alors que les pays musulmans ferment nos Eglises ? » questionne un auditeur.
Bien qu’apportant chacun sa couleur, les participants sont tous allés dans le même sens : ce n’est pas en ne respectant pas la liberté religieuse en Suisse que nous pousserons les Etats musulmans à l’appliquer dans leurs pays. Mais il y a plus encore : « Jésus nous enseigne à faire à autrui ce que nous aimerions qu’il fasse avec nous, rappelle Ueli Sennhauser. Je suis donc pour la construction de minarets en Suisse tout comme je suis pour la construction de clochers en terre d’Islam ! ».
Des préjugés à la rencontre
En conclusion, Marc Lüthi a souligné l’importance du témoignage chrétien auprès des musulmans de Suisse. « Comment témoigner notre amour, notre foi, aux musulmans qui sont chez nous ? En pratiquant la liberté religieuse dans notre pays, nous donnons le témoignage de l’amour du Christ. » C’est avec cet appel à la rencontre, dans la vérité et l’amour, au-delà des préjugés, que s’est close la table ronde.
David Richir, pasteur stagiaire dans l’Eglise évangélique libre de Reconvilier
Pour plus d’informations sur la situation des chrétiens en Algérie : www.portesouvertes.ch et le blog du Collectif Algérie.