Il s’appelle Mustafa, il a 14 ans. Sa famille lui a financé le voyage de Syrie en Italie. En tout, 16’000 euros. Sur l’atlas qu’il tient devant lui, il montre la ville d’Alep, proche de la frontière turque et dit venir d’un village tout proche de celui d’Idlib. Cet ado indique ensuite la route qu’il a suivie : « Je suis venu en bateau depuis Mersin, en Turquie. C’était ma troisième tentative. Nous étions 250 sur le bateau, dont la majorité était des femmes et des enfants. L’équipage nous a abandonnés, puis le navire n’a plus eu de carburant. » A-t-il eu peur ? « J’ai passé 4 jours en mer, sans boire, ni manger. » Il mime ensuite une mer agitée… Sa casquette grise vissée sur la tête, il déclare enfin, ses yeux noisette rivés dans ceux du traducteur : « Comparé à la situation dans mon pays, ce voyage, c’était rien ; j’ai vécu bien pire en Syrie. »
Mustafa est l’un des quelque 40 jeunes migrants mineurs non accompagnés accueillis par le centre Mediterranean Hope que vient d’ouvrir la Fédération des Eglises protestantes d’Italie (FCEI) à Scicli, dans le sud de la Sicile. « Les mineurs qui nous sont confiés par la Préfecture de Ragusa ont de 14 à 17 ans, explique Giovanna Scifo, responsable de la structure. Ils ont des histoires souvent incroyables et ont été mis dans des bateaux parfois par leurs propres parents. »
Amin, lui, est un Somalien de 15 ans. Il a quitté sa terre d’Hargeysa, où il risquait d’être enrôlé dans l’une des milices qui ravagent son pays. A ses côtés, Mahmoud est Sénégalais. D’une maigreur presque maladive, il dit avoir 17 ans, et venir de Casamance d’où il a fui pour échapper aussi à un enrôlement armé forcé. « Dans le désert entre le Niger et la Libye, c’était très difficile. Et puis pendant la traversée sur la mer, une personne est morte. C’était très effrayant. » Ces jeunes sont arrivés il y a quelques jours seulement en Sicile. Encore sur la retenue, ils lâchent difficilement quelques bribes de leur trajectoire dramatique.
Des numéros au poignet...
Les migrants mineurs non accompagnés sont toujours plus nombreux. « Sur les 170’000 personnes débarquées en Italie en 2014, ils doivent être plus de 20’000 », évalue à Rome Paolo Naso, collaborateur de la FCEI. Et les structures d’accueil qui leur sont dévolues ne sont pas assez nombreuses : « Le ministère de l’Intérieur a lancé un appel pour solliciter l’ouverture de nouveaux centres spécialisés pour les jeunes », confirme à Ragusa le Préfet Annunziato Vardè.
A Scicli, la sonnerie de la porte du lieu ne cesse de retentir ; des personnes rentrent, d’autres sortent. « Le centre de premier accueil de Pozzallo au bord de la mer vient de fermer ses portes, explique Giovanna Scifo. Nous venons d’accepter tous les mineurs qui y logeaient. » Certains portent encore un bracelet avec un numéro à leur poignet… A Pozzallo, ils étaient 400 dans un vaste hangar. Aucun mur de séparation, des matelas fins et sales se chevauchant par terre, hommes, femmes et enfants se partageaient cet espace sans avoir le droit de sortir. Une grève de la faim menée par les migrants semble avoir accéléré la fermeture de ce centre pour laquelle la Préfecture invoque « des problèmes techniques ».
A son tour, Francesco Sciotto, le pasteur méthodiste de Scicli, pousse la porte. Il est aussi l’une des personnes impliquées dans le centre Mediterranean Hope. « Bienvenue », c’est la première parole à faire entendre aux jeunes que nous accueillons, déclare-t-il tout de go. « Et ce n’est pas qu’un mot : il faut dire à ces jeunes que la première partie de leur voyage est finie et que les suivantes, on les leur souhaite moins dramatiques. Le risque pour eux, c’est de finir dans des réseaux criminels, de devenir dealers ou de se prostituer. On doit les accueillir dans des lieux protégés pour éviter qu’ils ne rentrent dans ces réseaux qu’ils ont déjà connus pour venir jusqu’en Italie. Et c’est facile d’entrer ici en contact avec la mafia qui veut les exploiter. Ils sont fragiles ! On doit les aider à entrer en lien avec une partie saine de la société. »
Le chemin de la mort
Yolande, elle, est une des rares femmes présentes dans le centre de Scicli. Elle a accouché il y a un mois d’une petite Esther Sarah à l’hôpital voisin de Modica. « Je suis Ivoirienne. J’ai quitté la Côte d’Ivoire car j’étais pro-Gbagbo (ndlr : ancien président de ce pays d’Afrique de l’Ouest) et j’ai dû fuir avec mes amis, témoigne-t-elle. Nous sommes partis sur la Tunisie en avion. Puis de là, nous avons quitté en direction de la Libye, où nous avons été parqués dans un camp où régnait une grande violence. Les filles étaient brutalisées, violées... Nous étions terrorisés. Nous savions que la Méditerranée, c’était le chemin de la mort, mais je n’ai pas osé rester seule alors que mes amis étaient décidés à partir. Nous avons réussi à embarquer dans un petit zodiaque, puis nous avons été recueillis par un plus grand bateau. »
Le pasteur Francesco Sciotto parle encore des migrants comme de personnes qui vivent « dans la périphérie de la vie » et avec lesquels on doit faire l’expérience de la rencontre. « A l’exemple du Christ qui s’est rendu en dehors de Jérusalem pour avoir contact avec les gens qui vivaient en marge de la société. » Accueil et intégration sont les deux mots qu’il martèle alors volontiers, « pour que leur présence soit une opportunité et non un problème ». Cela dit, l’Eglise peut et doit, selon lui, montrer la possibilité d’un monde nouveau, où il est possible d’être ensemble.
Gabrielle Desarzens
Il est possible d’écouter sur ce même sujet les émissions radio que Gabrielle Desarzens a réalisées en Italie pour RTS Espace 2 dans le cadre des émissions A vue d’esprit (2 au 6 février). Un autre reportage a aussi été diffusé le dimanche 18 janvier sur RTS La Première dans le cadre de l’émission Hautes fréquences.