Bill Hybels, le pasteur principal de l’Eglise Willow Creek, vient de démissionner (avril 2018). Il y a une quarantaine d’années, il avait fondé cette communauté qui, aujourd’hui, rassemble chaque semaine plus de 25’000 personnes dans différents lieux de culte de la région de Chicago. Des accusations de mauvais comportements envers les femmes – commentaires suggestifs, câlins prolongés, invitations dans des chambres d'hôtel et un baiser non désiré – l’ont poussé vers la sortie.
Après avoir mené une enquête interne, les responsables de la méga-church avait disculpé son pasteur principal. Ensuite, elle a demandé à un avocat spécialisé dans les relations au travail d’effectuer une enquête indépendante. Celui-ci a conclu en avril 2017 : « Après avoir examiné des milliers de documents, après avoir interrogé 29 personnes et fait tout ce que je pouvais, j'ai conclu qu'il n'y avait aucune raison de croire que le pasteur Hybels s'était livré à un comportement et à une pratique d'inconduite ».
Dans la foulée du mouvement #MeToo
En automne dernier, lorsque le mouvement #MeToo (1) a pris de l’ampleur, l’Eglise a écrit sur sa page Facebook : « Si vous avez été victime de harcèlement ou de harcèlement sexuel, votre douleur compte pour nous et pour Dieu. » La déclaration était suivie d’indications permettant d'obtenir de l'aide. Quelques anciens pasteurs et collaborateurs de l’Eglise se sont alors manifestés. Parmi eux : un couple d’amis de longue date de Bill Hybels et de son épouse Lynne. Bill Hybels, quant à lui, réfute en bloc toutes les accusations. Le journal Chicago Tribune en a profité pour mener sa propre enquête et dévoiler l’affaire.
Un ancien procureur de Floride, spécialisé dans les crimes sexuels – fondateur d'un groupe d’aide aux victimes d'abus sexuels et d'abus de pouvoir par les membres du clergé –, a été appelé à la rescousse par les accusateurs de Bill Hybels. Ce dernier a considéré que l’enquête menée par l’Eglise avait été trop superficielle et contenait des lacunes.
Après avoir mené sa propre enquête, le Chicago Tribune, relayé par le journal évangélique Christianity Today, n’apporte pas de conclusions définitives dans un sens ou dans l’autre. L’article se termine avec la citation d’une ancienne responsable de l’Eglise qui affirme : « Il n'y avait rien comme Willow Creek dans les 15 à 20 premières années. [...] Il y avait la puissance, la puissance de Dieu. D'une manière ou d'une autre, cela s'est terni. »
Un pasteur peut devenir trop familier avec certaines personnes
Le pasteur Christian Reichel, conseiller conjugal à Lausanne et maître d’enseignement dans la Haute Ecole de théologie (HET-PRO) à Saint-Légier, explique qu’un « climat de drague » peut se développer entre un pasteur et les femmes avec lesquelles il entre en contact : « Un pasteur peut devenir trop familier avec certaines personnes, trop tactile dans ses relations, y compris parfois en pratiquant l’imposition des mains. Il peut également se sentir un peu ‘star’ au milieu d’une petite cour qui s’installe autour de lui et devenir ‘lourd’ dans ses attitudes. Même s’il n’est pas physiquement beau, il est admiré à cause de sa position d’autorité, de ses compétences intellectuelles, artistiques, oratoires... »
En son temps, l’évangéliste Billy Graham avait expliqué qu’un pasteur ne doit jamais se trouver seul avec une femme, sauf s'il s’agit de son épouse. Christian Reichel précise : « Pasteur, donnez-vous un cadre. Evitez de vous retrouver seul dans une pièce fermée, en compagnie d’une personne de l’autre sexe. Evitez les contacts trop personnels. Renoncez, par exemple, à aller au restaurant ou en week-end, seul avec votre secrétaire. Et si vous êtes jeune, ‘gaffez-vous’ ! Ne soyez pas juste cool et spi ! »
Les dérapages aux origines multiples
Mais les dérapages ne proviennent pas exclusivement des hommes et des pasteurs. « Il existe aussi des femmes déçues qui se retournent contre leur pasteur, parce qu’elles espéraient plus de connivence avec lui, explique Christian Reichel. D’autres développent des transferts psychologiques (2) qui les conduisent à l’admiration, puis au rejet et à la méchanceté. » L’histoire de la femme de Potiphar (Genèse 39.6-19) est édifiante à ce sujet.
Pour Christian Reichel, des dérapages tels que celui vécu dans l’Eglise Willow Creek existent, y compris dans des petites communautés, mais ils restent l’exception. Lorsqu’ils surviennent, ils doivent nécessairement être traités avec l’aide d’une médiation extérieure à la communauté.
Du côté des pasteurs, la prévention consiste à préserver un bon équilibre personnel. Comme tout le monde, ceux-ci peuvent souffrir de problèmes de santé, d’isolement, de solitude, de découragement, de problèmes de couple et de famille. Cela les fragilise. « Les pères du désert on beaucoup parlé des attaques et des tentations qu’ils subissaient, rappelle Christian Reichel. Une personne en position de responsabilité spirituelle doit donc évaluer les risques. Quant aux femmes choquées, parce qu’elles se sont senties agressées tactilement ou verbalement, elles doivent pouvoir trouver des lieux où le dire. »
Claude-Alain Baehler
Notes
1) Le mouvement #MeToo (« Moi aussi ») encourage les personnes victimes d’agressions sexuelles et de harcèlement, en particulier sur le lieu de travail, à révéler les actes dont elles ont été victimes.
2) Un transfert est un processus psychologique durant lequel une personne commence par s’attacher à une figure jugée digne de confiance, par exemple un pasteur ou un thérapeute. Ensuite, la personne se met à reporter inconsciemment, sur le pasteur, des sentiments éprouvés par le passé vis-à-vis d’autres personnes importantes pour elle, par exemple ses parents ou des enseignants. Dans ce processus, elle revit des frustrations, des désirs, des colères accumulés… et rend le pasteur responsable de cela. Bien géré, notamment chez un thérapeute, le transfert est source de guérison psychologique. Mal géré ou ignoré, il conduit à des catastrophes.