L'élégance littéraire et la profondeur théologique de l'évangéliste Luc m'émerveillent. A travers son récit en deux volumes, son évangile et les Actes des Apôtres, Luc guide Théophile (et nous) de Jérusalem à Rome pour lui montrer comment Jésus est devenu sauveur non seulement du peuple juif, mais aussi de tous les peuples. Pour ce faire, l'évangéliste rassemble une grande variété de récits et les brode dans une tapisserie magnifique. Avec cette visée théologique, chaque passage avance une variante du thème du salut. L'un des récits particulièrement importants dans cette optique est le cantique de Zacharie dans Luc 1,69-79. Nous allons considérer surtout sa description de deux personnages clés dans le plan de Dieu.
Qui est-ce ce « soleil levant d'en haut » ?
Dans ce récit, Zacharie loue le Seigneur pour sa fidélité envers le peuple d'Israël. Il comprend que le Dieu d'Israël est en train de faire avancer son plan de rédemption suite à la naissance de son fils (Jean) et la promesse d'une autre naissance miraculeuse (Jésus). Comme un prophète encore sous l'ancienne alliance, Zacharie entrevoit les desseins de Dieu, mais il ne voit pas tous les détails (voir 1Pierre 1,10-12). Cet aparté important de Luc guidera notre lecture : « Zacharie, son père, fut rempli de l'Esprit Saint et il prophétisa... » (v. 67).
Louant Dieu pour son intervention à l'égard d'Israël (vv. 68-75), Zacharie présente deux personnages clés pour l'accomplissement du plan de Dieu. D'abord, il s'adresse à son enfant qu'il tient fièrement entre ses bras (vv. 76-77) en lui transmettant son « titre » (« prophète du Très-Haut ») et son mandat comme précurseur du Seigneur. Jean préparera le peuple pour la venue du Seigneur et lui donnera la connaissance du salut. Cela complète le portrait de Jean, déjà donné par l'ange Gabriel (1,13-17).
Par contre, le portrait d'un autre personnage émerge dans les versets 78-79, introduit par une phrase de transition, « grâce aux sentiments de compassion de notre Dieu... » Bien que la description de l'autre personnage soit un peu énigmatique, le lecteur est préparé à voir en lui Jésus, grâce à des comparaisons que Luc a déjà fournies entre Jean et Jésus. D'abord, une visite ultérieure est annoncée (« visitera ») du « soleil levant d'en haut » (ou « l'astre levant »). Quant à son mandat, ce soleil éclairera ceux qui demeurent dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort afin de les guider dans le chemin de la paix. Nous le voyons : ce soleil levant, une image pour évoquer Jésus, effectuera une transformation spirituelle au sein du peuple de Dieu qui sera invité à quitter son état d'oppression (« les ténèbres » et l'« ombre de la mort ») pour aller vers une destination supérieure : « le chemin de la paix ». Bref, c'est une image remarquable qui résume la mission de Jésus, qui s'étendra également à toutes les nations.
« Le motif de la route » et le salut
Par la suite, Luc montre l'accomplissement de cette mission avec des exemples tangibles et des images figurées qui utilisent des mots comme voie, chemin, route, etc. (1) Par exemple, des individus sont transformés à travers une rencontre de Jésus sur la route : l'homme aveugle, Zachée, la foule de Jérusalem, les disciples d'Emmaüs, l'eunuque éthiopien, et même Saul de Tarse. Ce n'est pas anodin que Jésus soit décrit comme celui qui enseigne « la voie de Dieu selon la vérité » (Luc 20,21) et que Jésus continue d'agir à travers ses disciples qui sont « de la Voie » (Actes 9,2). La formule « la Voie », que l'on ne trouve que dans les Actes, se répète encore cinq fois pour caractériser l'identité des premiers chrétiens (Actes 19,9.23 ; 22,4 ; 24,14.22). En plus, Paul et son entourage missionnaire prêchent « les voies du Seigneur » (13,10), « la voie du salut » (16,17), et la « voie du Seigneur/de Dieu » (18,25.26) qui ne sont pas comme les « voies des nations » (14,16).
Par conséquent, « le motif de la route » apparaît régulièrement pour illustrer l'accomplissement du salut en Jésus-Christ. Jésus a fait sortir certains de la mort spirituelle et les a conduits dans « le chemin de la paix », la réconciliation avec Dieu. N'est-ce pas suggestif que Luc décrive les premiers disciples de Jésus, juifs et non-juifs, comme « ceux de la Voie » (Actes 9,2) ? La prophétie de Zacharie s'est réalisée !
Une image un peu datée ?
Cette image prophétique de Zacharie peut-elle être d'une quelconque pertinence aujourd'hui ? Ou notre monde a-t-il évolué de sorte que les ténèbres seraient plutôt à voir dans l'oppression économique ou dans l'ignorance intellectuelle ? Certainement, ce sont là des obstacles non négligeables dans une société globalisée. Pourtant, l'histoire démontre que ni une économie forte ni des systèmes de formation performants ne peuvent garantir une transformation positive, radicale et durable. Non, nos contemporains ont encore besoin de la lumière de Jésus pour connaître Dieu et pour devenir réellement humains !
Lorsque j'observe mes contemporains, je succombe parfois à la force de l'apparence. Des personnes comme Brian « Head » Welch du groupe musical « Korn » (2) et comme Jan Günther, ex-hooligan et néonazi (3), peuvent donner à penser qu'elles ont besoin de Dieu, mais que c'est impossible qu'elles le rencontrent tant elles sont dans les ténèbres. Pourtant, Brian et Jan ont reçu cette lumière de Jésus ! D'autres personnes semblent tellement satisfaites de leur vie, que l'on pourrait se demander : « Ont-elles vraiment besoin de la réconciliation avec Dieu ? » La réponse est toujours : « Oui ! » malgré les sentiments que l'on peut avoir, car avoir ce besoin et sentir ce besoin sont deux choses différentes. Si Dieu existe, les gens ont besoin de lui et sont invités encore aujourd'hui à se réconcilier avec lui. Tout comme du temps des Actes des Apôtres, les ténèbres se manifestent de nos jours, mais différemment. Que les ténèbres soient visibles ou cachées, la lumière peut y pénétrer et transformer des vies. Cependant, les réactions vis-à-vis de cette Bonne Nouvelle sont, elles aussi, divergentes. Les paroles de la musicienne, Patti Smith, expriment la réponse de certains : « Jésus est mort pour les péchés de quelqu'un, mais pas pour les miens » ! Par contre, d'autres s'inspirent de la confession de foi de John Newton, l'ancien capitaine de navires négriers : « Bien que ma mémoire perde en acuité, je me souviens clairement de deux choses : je suis un grand pécheur et le Christ est un grand Sauveur. »
N'est-ce pas le message de l'évangile de Luc et des Actes des Apôtres ? En Christ, il y a une offre de transformation pour nous et pour nos contemporains.
James Morgan
Notes
1 Pour approfondir cette question, voir mon livre Encountering Images of Spiritual Transformation: The Thoroughfare Motif within the Plot of Luke-Acts, Eugene, Wipf and Stock, 2013.
2 Voir l'article sur lafree.ch.
3 Son témoignage est raconté dans Jan, le hooligan de Damaris Kofmehl (trad. de l'allemand par Trudy Baudrier, Collection Face à face, Romanel-sur-Lausanne, Ourania, 2010).