"Les Béatitudes : le chemin de la félicité n’est pas celui de la facilité" par Raymond Pfister

mardi 11 février 2014

Le bonheur, Jésus le promet à ses disciples, notamment dans son premier discours de l'évangile de Matthieu. Raymond Pfister, le nouveau pasteur de l'Eglise évangélique libre de Fribourg (FREE), nous en propose une lecture.

Illustre prologue au tout aussi célèbre Sermon sur la montagne (Matthieu 5 à 7), les Béatitudes font partie de cet enseignement de Jésus que beaucoup de chrétiens ont relu maintes fois. C'est un message qui ne perd rien de son actualité, mais pour espérer saisir son véritable sens, il est impératif d'apprendre – voire de réapprendre – à être à l'écoute de Jésus.
Le bonheur, on ne l'attend pas, mais on va à sa rencontre. Le bonheur est de l'ordre du relationnel. Pour être au bénéfice de la bénédiction de Dieu, le Ressuscité nous invite à le suivre de très près sur le chemin de la vie éternelle.

Huit signes de la présence de Dieu
Si on peut qualifier les Béatitudes de leçons de bonheur et de leçons de vie, elles sont assez éloignées de l'idée que la plupart de nos contemporains se font habituellement de la félicité. Etat de satisfaction durable, réussite sociale et absence de malheurs, voilà des attentes qui semblent pourtant toutes légitimes pour ceux et celles qui aspirent à être heureux.
Je dois admettre en toute honnêteté que si la rédaction des Béatitudes m'avait été confiée, je n'aurais ni commencé par un « Heureux les pauvres en esprit » (5.3), ni pensé à conclure par un « Heureux serez-vous lorsqu'on vous persécutera » (5.11). Ne serait-il pas logique de commencer par la richesse spirituelle et de finir avec la quiétude spirituelle ?
Mais voilà, pour être citoyens du Royaume de Dieu, les disciples de Jésus ont pour vocation d'être différents. De par leur profil, ils se démarquent forcément du monde ambiant. Fruit d'une relation privilégiée disciple-maître, les Béatitudes sont la marque de fabrique du chrétien. Elles sont un signe distinctif (ou sceau) apposé par Dieu sur ses enfants adoptifs pour les identifier. Elles mettent l'accent sur huit aspects de leur personnalité, de leur caractère et de leur conduite, autant de signes de la présence du Royaume de Dieu tout proche.

Les mains vides
Non pas que les émotions soient mises de côté, mais pour Jésus être heureux ne peut se réduire à une question de sentiment. Il s'agit ici d'une réalité objective, celle d'être déclaré « heureux » (ou « béni ») par Dieu lui-même. De surcroît, le bonheur individuel est lié au bonheur de la communauté, celle des croyants. Nul n'est heureux tout seul. Le message des Béatitudes ne se comprend pas en dehors de l'appartenance à une communauté en marche. Cette communauté a hérité d'une histoire (référence aux prophètes !), elle est l'expression d'un vécu aujourd'hui (« Le royaume des cieux est à eux »), et elle a une destinée à nulle autre pareille (« ils hériteront la terre »).
Cela peut paraître tout à fait étonnant, mais le bonheur commence avec les mains vides. Pour être réceptif à la grâce de Dieu, il faut passer par un constat d'échec : reconnaître notre faillite spirituelle devant Dieu est combien salutaire. La vie du disciple de Jésus commence et se termine par une attitude d'entière dépendance vis-à-vis de Dieu seul. On se rappelle l'avertissement adressé à l'Eglise de Laodicée (Apocalypse 3.17) : que personne ne s'abuse quant à son véritable besoin. Refusant toute complaisance ou autosatisfaction, le chrétien n'attend que de Dieu seul espérance et délivrance.

A cause de Jésus
Ce bonheur peut paraître paradoxal quand Jésus affirme en quelque sorte qu'« heureux sont les malheureux » (5.4). C'est le contexte de la prophétie d'Esaïe (chapitre 61), source d'inspiration des paroles de Jésus, qui nous aide à comprendre qu'il ne s'agit pas ici d'une tristesse liée à quelque coup du sort. Il s'agit d'un bouleversement émotionnel qui est le fruit de la déroute et de la désorientation, non pas d'un seul individu, mais de tout un peuple en profonde crise spirituelle. Cette affliction est aussi l'aspiration à une nouvelle orientation et à un tournant décisif. La bonne nouvelle de l'Evangile est justement l'annonce d'un changement radical au travers de la venue et du ministère de Jésus, seul garant de la consolation divine et de la rédemption ultime pour nous tous, juifs et non-juifs.
L'assurance de la foi ne rend ni arrogant, ni querelleur, mais face à un comportement agressif, elle prend le contre-pied tout en douceur : celui de la force tranquille. Le disciple de Jésus n'a pas pour vocation d'être un faiblard. La douceur, fruit de l'Esprit, est une attitude qui va de pair avec la maitrise de soi. Dans un monde qui privilégie la contrainte et favorise la manipulation, le chrétien sait que son bonheur ne se trouve pas dans une compétition aveugle, où il s'agit de gagner à tout prix en dominant les autres. La loi du Christ, ce n'est pas la loi de la jungle.

Justice et compassion
Si les trois premières béatitudes ont exclu tout recours à la propre justice et aux prétentions plus ou moins extravagantes qui l'accompagnent, c'est pour mieux introduire la notion de justice véritable, celle de Dieu. Synonyme de salut dans l'évangile de Matthieu, la justice de Dieu est une volonté d'action de la part de Dieu en faveur des hommes. Elle est à la fois don de Dieu (la justification par la foi en Jésus) et exigence de Dieu (l'obéissance de la foi en Jésus) qui s'expriment dans la vie du disciple par la puissance de l'Esprit Saint. Justifiés pour vivre une vie selon la justice de Dieu : c'est là le projet de rédemption révélé en Jésus-Christ, plénitude assurée à la clé (« ils seront rassasiés », 5.6).
« Dieu a les deux bras étendus. L'un est assez fort pour entourer de justice, l'autre est assez doux pour nous embrasser de grâce », proclame Martin Luther King dans La force d'aimer (1). C'est en rencontrant différemment son Dieu que l'on rencontre différemment son prochain. En d'autres mots, c'est la mesure de notre propre expérience de la miséricorde divine qui déterminera pour une large part dans quelle mesure nous ferons preuve de bonté envers autrui. Morale de l'histoire : on ne peut donner que ce que l'on a reçu. Avoir été accepté et pardonné par Dieu nous amène à nous tourner vers celui qui – indigne, coupable et pécheur – est encore dans sa misère et sa désolation. Faire preuve de miséricorde a sa propre récompense : en reflétant le caractère de Dieu, « l'homme bon fait du bien à son âme » (Proverbes 11.17).

Un cœur sans partage
On a envie de s'exclamer : quel bonheur quand notre quête sera assouvie et que nous pourrons enfin voir Dieu. Mais si pour ce faire il faut un cœur pur (5.8), plus d'un s'inquiétera de ne jamais pouvoir remplir une telle condition. En fait, un cœur pur est un cœur sans partage. Il est question de l'intégrité de la personne, d'une loyauté sans faille et d'une consécration authentique à la suite de Jésus. Comme l'a résumé le théologien et philosophe danois Søren Kierkegaard, « la pureté du cœur, c'est vouloir une chose ». « Nul ne peut servir deux maîtres », dira Jésus par ailleurs (Matthieu 6.24). Il n'y a point de bonheur ni dans l'irrésolution, ni dans les apparences.
Nul ne s'étonnera enfin que celui qui est le Prince de la paix (Esaïe 9.5) nous appelle à être des artisans de paix à notre tour. Dans son rôle de pacificateur, le disciple de Jésus évite soigneusement de générer des conflits lui-même et s'engage à contribuer, en toute occasion favorable ou défavorable, à leur résolution (qu'il soit directement impliqué ou non dans le conflit). « Le fruit de la justice est semé dans la paix par ceux qui recherchent la paix » (Jacques 3.18)... dans la société tout comme dans l'Eglise. A l'instar de Nicolas de Flue, homme de foi et de prière, qui avait ce talent particulier d'être le médiateur entre des parties qui se disputaient. Conseiller et arbitre dans les conflits, habile pour mettre fin aux procès et réconcilier les factions, il est entré dans l'histoire suisse pour avoir rédigé en 1481 la Convention de Stans, une synthèse qui évitera l'éclatement de la Confédération helvétique. Son art de la médiation et son sincère amour de la paix a contribué à l'unité nationale de la Suisse.

Persécutions et insultes
Jésus voit le bonheur là où normalement on ne penserait pas aller le chercher. Une vie de soumission à Dieu est une vie marquée de douceur et d'humilité, de miséricorde et de compassion. Une vie intègre, passionnée pour la justice de Dieu, est une vie d'infatigable promoteur de la paix. Difficile à comprendre et difficile à accepter, voilà la triste réalité : toutes les tentatives de réconciliation ne sont pas couronnées de succès. L'expérience de l'hostilité n'est pas étrangère à l'œuvre de réconciliation. Ne l'oublions jamais : la vie du Royaume de Dieu nous place en situation de conflit (persécution) avec un monde hostile à l'œuvre rédemptrice de Dieu. S'il n'y a pas lieu d'être surpris par l'opposition que suscite la pratique de la justice de Dieu, il y a par contre plus à craindre quand elle se tait.
Œuvrer pour la justice n'est certes pas une partie de plaisir. Quand la souffrance, marque d'un vrai disciple, fait l'objet d'une double béatitude, que ne se dissipe pas la joie profonde et ineffable de suivre Jésus ! Il est vrai, le chemin de la félicité n'est pas le chemin de la facilité. Mais c'est en connaissance de cause que Jésus nous dit : « Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse » (5.12).
Raymond Pfister

Note
1 Martin Luther King, La force d'aimer, Tournai, Casterman, 199022, p. 23.

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