Les célébrations interreligieuses au menu d’une journée de la Communauté des Eglises chrétiennes vaudoises

jeudi 03 mai 2012
Le 24 avril, une centaine de chrétiens, catholiques, réformés, orthodoxes et évangéliques, ont passé une journée à débattre du thème « Prier dans un contexte interreligieux ». Cette rencontre faisait suite aux questions qu’avait soulevées la célébration œcuménique à la cathédrale de Lausanne en janvier 2005. Cette célébration avait accueilli, suite au Tsunami, des représentants de cette région du monde autres que chrétiens. Echos de cette journée.
Peut-on, dans certaines circonstances, prier ensemble avec des croyants d’autres religions ? Si oui, comment, et sinon, pourquoi ? Telle est la question à laquelle se sont attelés une centaine de chrétiens de différentes confessions rassemblés à Crêt-Bérard le 24 avril.

Il faut d’emblée noter, comme le précise Shafique Keshavjee en préambule de son intervention finale, que dans un contexte interreligieux, « les mots sont toujours interprétés différemment » par les uns et les autres. C’est également le cas entre chrétiens de confessions différentes. A commencer par le mot « prier ». Pour un évangélique, le mot évoque d’abord une expression individuelle libre du croyant qui s’adresse à Dieu. Pour d’autres, on pensera d’abord à des textes priés communautairement...

Il faut donc préciser la question qui se pose à la Communauté des Eglises chrétiennes dans le canton de Vaud (CECCV), organisatrice de la rencontre. Ce sont des circonstances particulières – souvent dramatiques, comme le Tsunami de décembre 2004 ou l’accident du vol Swissair en 1998 – qui ont obligé à se laisser interpeller par la question de cérémonies qui tiennent compte d’un contexte plurireligieux. Convaincue de la nécessité de cheminer ensemble, malgré et avec les divergences de chrétiens de confessions différentes, la CECCV s’est engagée dans une tâche difficile. Elle a créé pour cela un groupe de réflexion (la Commission Eglises et religions), composé de 8 délégués de 4 composantes confessionnelles : réformée, catholique, évangélique et orthodoxe. La composante évangélique a été représentée par Jean-Jacques Meylan, pasteur retraité de la FREE, et par le pasteur adventiste Maurice Verfaille. Le groupe a élaboré un document encore en chantier : « Prier dans un contexte interreligieux », qui sera discuté en ateliers durant l’après-midi.

La question posée n’était ni celle de la prière individuelle, ni celle du dialogue interreligieux. Il s’agissait de réfléchir à la manière dont on peut organiser et vivre, dans des circonstances particulières, une rencontre qui permette à des participants de religions différentes de prier ensemble. Suivant le contexte, il pourra s’agir d’une cérémonie organisée par des chrétiens mais faisant une place à d’autres expressions de foi ou au contraire organisée en commun avec d’autres. On aura selon les cas des prières juxtaposées, auxquelles chacun s’associe selon sa conscience, ou au contraire des prières composées pour pouvoir être dites ensemble. Il ne s’agit pas d’une recherche de type syncrétiste, chacun étant respecté dans son identité religieuse, même si, dans le cadre de certains types de cérémonies, on compose des textes qui puissent être priés en commun entre croyants de religions différentes.

Catholiques-réformés, orthodoxes-évangéliques, deux types de positions divergentes
Les exposés du matin ont fait apparaître des divergences de point de vue très marquées. Des points de vue opposés qui ne font bien entendu pas entièrement justice aux nuances de sensibilités qu’on pourrait retrouver au sein de chaque confession. Cette polarisation reflète néanmoins bien deux types d’approche des autres religions, un domaine dans lequel les positions des chrétiens restent notablement divergentes, alors que sur d’autres questions, les points de vue se sont largement rapprochés ces dernières décennies – notamment entre les courants évangélique et œcuménique, pour faire bref. Un premier duo avec Jean-Claude Basset, pasteur réformé à Genève et chargé de cours sur l’islam et les relations interreligieuses à l’Université de Lausanne, et Hendrick Hoet, vicaire épiscopal à Anvers, a affiché une position très ouverte à de telles cérémonies plurireligieuses. Ces deux intervenants ont souligné la nécessaire recherche de la paix. « Nous chrétiens savons que Jésus est la face de Dieu », mais nous sommes appelés à « nous convertir ensemble vers le règne de Dieu », qui est paix, amour et amitié.

Après la pause, un autre duo évangélique-orthodoxe a présenté un point de vue très différent. Christian Bibollet, responsable pour les questions relatives à l’islam au Réseau évangélique suisse, pose la question : « Avec quel Dieu entrons-nous en prière ? » Convaincu de la nécessité de la rencontre, de l’amitié et du dialogue respectueux avec les musulmans, il pense cependant que ces prières communes comportent trop d’effets indésirables et estime très ambigu le discours sur la paix qui les justifie – une paix souvent réduite à une dimension socio-politique. Viorel Ionita, prêtre de l’Eglise orthodoxe à Genève, « se retrouve entièrement » dans le point de vue de Christian Bibollet. S’il estime impossible de prier ensemble avec des croyants d’autres religions, il ouvre un possible dialogue spirituel à partir de la notion de semina Verbi des Pères de l’Eglise, ces « semences du Verbe » que Dieu a placées dans le cœur de tous les hommes et de toutes les cultures.

En prise directe avec l’actualité
L’après-midi, cinq ateliers parallèles ont été consacrés à diverses expériences vécues dans divers contextes :
• La prière pour la paix dans l’esprit d’Assise, avec Brigitte Gobbé du Mouvement franciscain laïc.
• La prière dans le dialogue interreligieux monastique, avec Sœur Françoise de la Communauté de Grandchamp.
• La célébration islamo-chrétienne de l’Annonciation au Liban, avec Teny Pirri-Simonian de l’Eglise orthodoxe arménienne.
• La prière à la Cathédrale de Genève suite à l’accident du vol Swissair de 1998, avec William MacComish, pasteur dans l’Eglise protestante de Genève.
• La prière suite au Tsunami à la Cathédrale de Lausanne en 2005, avec Henri Chabloz, diacre de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud.

Dans son exposé final – trop succinct, en raison des contraintes de l’horloge ! – Shafique Keshavjee, pasteur et spécialiste en théologie des religions, a posé les bases d’un fondement théologique en invitant à conjuguer l’unicité du Dieu de la révélation biblique et son universalité. Unicité et universalité que toutes les confessions chrétiennes reconnaissent mais articulent de façons divergentes. En précisant un certain nombre d’enjeux et en formulant des pistes de réflexions concrètes, l’orateur invite les Eglises à poursuivre cette réflexion, convaincu que les chrétiens doivent avancer ensemble et tenir compte les uns des autres.

Il reste manifestement du pain sur la planche ! Les Eglises chrétiennes en Occident, comme le dit Shafique Keshavjee, sont confrontées à un contexte de plus en plus « multiconvictionnel » – un terme qui permet d’inclure dans la réflexion non seulement les religions constituées, mais les multiples approches spirituelles et les diverses formes de croyance et d’incroyance qui marquent la société postmoderne. Comment pouvons-nous rejoindre nos contemporains sur le terrain spirituel ? Comment pouvons-nous être des faiseurs de paix avec notre passé de guerres religieuses et dans notre présent d’affrontements idéologiques ? C’est tout l’enjeu de notre fidélité et de notre témoignage.
Silvain Dupertuis

Les interventions de cette journée seront publiées prochainement dans la revue Perspectives missionnaires.

Le site de la CECCV.

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