« Les chrétiens devraient être les avocats de la liberté religieuse pour tous. » Attablé à une table du Buffet de la gare à Lausanne, Michael Mutzner, diplômé en droit international, a récemment publié un dossier sur le thème de l’expression religieuse dans l’espace public suisse (voir encadré). Autour d’un café, il procède à quelques mises au point.
Michael Mutzner, où en est la liberté religieuse en Suisse ?
Ces 20 dernières années, on constate que le religieux a été refoulé hors de la sphère publique. Nous, chrétiens, avons nous-mêmes intégré les standards de notre société comme quoi le religieux est tabou.
La tolérance voltairienne qui stipule : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire » n’a plus droit de cité. Elle a fait place dans nos pays occidentaux à une tolérance de type « A chacun sa vérité », qui conçoit qu’il n’existe pas de vérité objective. Or cette conception, qui est contraire à l’essence même de la révélation biblique, ne nous ouvre pas au débat d’idées. A tel point qu’on ne parvient plus à parler de religion calmement : on l’a bien vu récemment à propos des minarets ! L’éducation au débat religieux est donc à faire et on devrait lui faire une place dans les classes pour apprendre aux enfants déjà à mieux se comprendre les uns les autres dans notre société plurielle et démocratique.
Maintenant, sur le plan juridique en Suisse, l’annonce de l’Evangile est clairement une pratique qui fait partie intégrante de la liberté religieuse. Il me paraît donc essentiel que tout soit mis en œuvre pour que le partage de ses convictions soit possible dans l’espace public. Or actuellement, les permis de manifester sa foi ou de tenir des stands se délivrent au cas par cas. Nous suivons actuellement plusieurs affaires où les chrétiens doivent lutter pour conserver leurs droits. Une personne est entendue cet été par la police après avoir été dénoncée parce qu’elle faisait de l’évangélisation auprès d’enfants. Une association genevoise qui propose depuis plus de 20 ans des bibles sur son stand pendant la période de Noël est en cours de négociation avec les autorités pour ne pas perdre son droit. Dans le cas de Meyrin, où la maire a fermé l’espace public à des chrétiens comme d’ailleurs à des musulmans (
voir notre reportage), l’autorité communale viole pour moi clairement la liberté religieuse. On peut citer encore l’association des Gédéons, qui connaît régulièrement des résistances à son activité de distribution de bibles, mais qui obtient gain de cause au final en vertu de la liberté religieuse. Ce droit à l’expression de sa foi dans le domaine public reste fragile, mais il doit pouvoir s’exercer.
Cela dit, les chrétiens doivent trouver aujourd’hui de nouvelles formes pour proclamer leur foi avec courage et de façon intégrée socialement. Il leur revient d’inviter les gens à faire leur expérience personnelle avec Dieu, non pas pour faire grandir leur Eglise, mais pour faire avancer le Royaume ! En ce sens, la seule place publique ne suffit d’ailleurs pas : le relationnel compte beaucoup et le chrétien devrait avoir des amitiés hors des cercles ecclésiaux, montrer ce qu’il vit et pouvoir le partager de façon concrète et quotidienne.
La religion qui progresse le plus rapidement en Suisse est celle des « sans religion », selon des chiffres publiés par l’Office fédéral de la statistique. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
D’abord les « sans religion » ne sont pas sans spiritualité et ne rejettent pas forcément Dieu. Ensuite, même si cette tendance n’est pas nouvelle, le fait qu’un Suisse sur 5 se dise sans confession devrait interpeller l’Eglise : nous avons une bonne nouvelle extraordinaire et une vraie espérance à apporter à nos contemporains ! Et ce que j’attends de nos autorités, c’est qu’elles comprennent que l’annonce de l’Evangile est une valeur ajoutée pour la société suisse : elle permet aux personnes en quête spirituelle de cheminer vers une réponse possible qui, selon les chrétiens, se trouve en Jésus-Christ.
Loin d’être une activité parasite, l’évangélisation faite dans le respect de la liberté d’autrui devrait être perçue de façon favorable par les autorités, car l’Evangile est un message de paix, qui encourage à la réconciliation avec Dieu, son prochain et soi-même. L’Evangile place l’amour du prochain au cœur de toutes les relations interpersonnelles, appelle à un engagement social aux côtés des défavorisés, invite au respect de la création et a imprégné l’histoire et la culture de notre pays.
Un an après le printemps arabe qui s’est voulu un mouvement démocratique, on apprend notamment qu’entre 80'000 et 100'000 chrétiens auraient quitté l’Egypte. Au niveau géopolitique, où en est la liberté religieuse ?
La situation de la liberté religieuse est très préoccupante dans plusieurs pays, comme actuellement au Nigéria, au Mali, en Syrie, en Egypte. C’est dans les pays musulmans qui connaissent aujourd’hui la montée d’un islam fondamentaliste que la liberté religieuse se détériore, car là-bas, abandonner l’islam pour une autre religion est généralement considéré comme une abomination.
Les ONG même non confessionnelles, comme Amnesty International, prennent aujourd’hui en compte de façon plus importante ce facteur.
Paradoxalement, c’est encore aujourd’hui l’un des thèmes les moins traités, notamment à l’ONU. Il y a un certain malaise des pays occidentaux à défendre le droit à la liberté religieuse, et par conséquent des chrétiens, puisque, selon une source catholique, ils constituent les trois quarts des persécutés à cause de leur foi. Une prise de conscience voit pourtant le jour au sein des médias ces dernières années, et le thème de la liberté religieuse émerge.
Cela dit, la persécution des chrétiens n’est pas un phénomène nouveau lié uniquement à la montée de l’islamisme. Pour rappel, le bloc communiste ne faisait pas la part belle à la liberté religieuse. Le problème s’est finalement déplacé et se focalise aujourd’hui davantage dans certains pays musulmans.
Propos recueillis par Gabrielle Desarzens