Frédéric Baudin, comment voyez-vous ce « monde d’après » ?
Un peu comme le monde d’avant, mais aussi un peu différent ! Comme avant, parce que l'être humain ne change pas. Dans son être intérieur et dans sa relation à Dieu, il est toujours le même, tant avant qu’après. Ceci dit, chaque événement est aussi une occasion de réfléchir.
Pour moi, un des axes de réflexion et d’interpellation qui s’est dégagé de cette expérience s’articule autour de ces questions, déjà posées auparavant : « Ai-je le droit de franchir certaines limites ? Ai-je le droit de surexploiter les ressources de la nature ? Ai-je le droit de me déplacer à l’autre bout de la planète pour n’importe quel prétexte ? »
Il ne s’agit pas de tout remettre en cause, mais de réfléchir à nos habitudes de vie, surtout dans nos pays riches et développés. Cela nous place devant un triple défi. Tout d’abord le défi de notre rapport au temps. Puis-je continuer d’« habiter le temps » en utilisant le moyen de transport le plus rapide et le plus efficace ? Si j’utilise le vélo au lieu de la voiture, par exemple, il faudra développer un autre rapport au temps.
Le deuxième défi, c’est notre rapport à notre espace de vie, notre monde. On pourrait résumer cela en se posant la question : « Dois-je habiter l'espace comme je l'habite aujourd'hui ? Faire de longs trajets pour aller au travail ou en vacances, est-ce normal ? » Il ne s’agit pas de poser un jugement sur le comportement des uns ou des autres, mais de s’interroger. Par ailleurs, l'organisation de nos villes et de nos activités professionnelles pose question. Aujourd’hui, on a un centre-ville et, à la périphérie, des zones industrielles, commerciales, de loisir et résidentielles. Nous passons de l'une à l'autre avec une voiture, parce que c'est le moyen de déplacement le plus rapide et le plus facile à utiliser. Nous pourrions très bien réorganiser l'espace et concentrer un certain nombre d'activités. Ce qui permettrait de moins se déplacer. Le télétravail, qui s’est développé pendant ce temps d’arrêt forcé, est aussi un moyen de limiter nos déplacements et de gagner du temps !
Vous avez mentionné un troisième défi…
Le troisième défi touche notre rapport aux ressources dites naturelles, qui sont en quantité limitée. On entend beaucoup qu’il faut réduire notre consommation de pétrole. Certainement, puisque sa consommation produit du CO2, un gaz à effet de serre qui participe au réchauffement climatique. Diminuer notre consommation d'essence pour nos déplacements ou de mazout pour notre chauffage domestique est important, mais le problème reste complexe et les solutions ne sont pas toujours simples à trouver.
Si nous voulons réduire notre consommation d’énergie fossile, on entend beaucoup aujourd'hui qu’il faut utiliser les véhicules électriques, les vélos électriques, le train, le chauffage solaire... L'électricité, nous devons la produire, et pour cela il faut beaucoup d’énergie ! dont l’énergie nucléaire, en tout cas en France. Alors la question se pose : est-ce bien ou est-ce mal ? Là encore, la réponse n’est pas simple… La vraie question reste posée : comment réduire notre consommation d’énergie ?
Chaque solution a ses avantages et ses inconvénients. Il nous faut réfléchir, trouver des solutions pour améliorer le rendement et la propreté de nos machines (les progrès sont indéniables), et agir pour réduire nos contradictions, choisir la moins mauvaise solution, pour rester réalistes !
Cela nous amène à réfléchir sur nos limites et sur le droit de les franchir...
Au commencement, tel que la Bible nous le présente, l'être humain choisit d'être sa propre référence : il rejette Dieu qui seul peut distinguer le bien du mal. Il se veut « autonome ». Il veut fixer sa propre loi, définir lui-même ses limites, ce qui entraîne une rupture de la relation avec Dieu (ce que nous appelons la Chute). Nous avons désormais une conscience confuse de ces limites, du « bien » et du « mal ». C’est là le problème !
Jésus-Christ a accompli le pas essentiel en venant lui-même accomplir ce que nous ne pouvions faire. Il a pris sur lui nos fautes, avec toutes nos prétentions à être comme des dieux. Dans notre relation avec Dieu, rétablie grâce à Jésus-Christ, nous pouvons nous poser cette question : « Ne suis-je pas en train de franchir les limites de l'être humain ? De sa capacité à se déplacer ? Ai-je la possibilité d’économiser du temps, ou ai-je vraiment besoin de franchir les limites du temps pour aller plus vite ? »
De la même manière, la recherche scientifique questionne nos limites, par exemple en bioéthique à propos de la recherche sur l'embryon. Jusqu'à quel point peut-on aller ? Je suis très choqué par la façon dont on manipule les embryons humains à des fins dites « thérapeutiques ». Voilà une limite que je ne franchirais pas.
En matière d’écologie, comment parvenir à dessiner les limites de l’être humain du XXIe siècle ?
Cela mériterait une réflexion large et pluridisciplinaire. Beaucoup de gens réfléchissent déjà aux meilleures solutions pour habiter ce monde en limitant notre consommation et notre impact sur l'environnement. Les chrétiens doivent se joindre à cette réflexion, tout en se rappelant qu’ils ont aussi à la mener à un autre niveau : celui de la foi et de l’espérance.
Et c’est là que vous divergez avec ceux que l’on appelle les « collapsologues » ?
La vision des « collapsologues », je le dis très franchement, est désespérante au sens le plus fort du terme. Elle ne laisse pas d'espoir, ou très peu. Au fond, pour eux, tout va s'effondrer. Tout notre système économique, social et humain va s’effondrer sous le poids de maladies diverses, de problèmes économiques, de tensions politiques… C’est une vision extrêmement pessimiste et négative de l’avenir avec à la clé des morts par centaines de millions, et même par milliards, disent les tenants de cette théorie. Ces propos ne reposent pas sur grand-chose, sinon sur une hypothèse construite à partir d'un certain nombre d'observations et de statistiques, mais leur statut « scientifique » me paraît très contestable.
Les chrétiens placent leur confiance en un Dieu qui pourvoit, qui voit au-delà de ce que nous voyons, et qui est capable de satisfaire nos besoins, ce qui ne nous autorise pas à en abuser ! Il sait ce qui est devant nous, et c'est rassurant. En tant que chrétien, je peux faire confiance à un Dieu qui connaît toute chose et qui nous aime. « Dieu est amour » : c'est la définition du Seigneur donnée dans la Bible, et s’il est amour, il ne me trompe pas. Il ne me réserve pas un avenir tragique.
Ceci dit, nous savons par ailleurs que tout peut s'effondrer. Nous avons assisté à des accidents industriels majeurs, à des calamités naturelles, des tsunamis, des tremblements de terre, des conflits humains meurtriers et destructeurs… Ces événements ont été annoncés par Jésus comme des signes de l'avènement de son Royaume. Mais tout cela dure depuis vingt siècles et nous attendons le retour de Jésus. Avec une espérance chevillée à notre foi et vivifiée par cet amour que Dieu nous communique.
J'ai donc une vision du monde beaucoup plus positive et optimiste par certains côtés, même si je sais que certaines choses peuvent s’effondrer, comme nous venons de le vivre en partie lors de la pandémie de coronavirus. Nous aurons certainement encore à souffrir de cette pandémie et de ses conséquences dans les semaines, les mois, les années à venir, mais nous souffrirons dans l'assurance de la présence de Dieu, de son assistance. Notre foi nous conduit à parler de Jésus comme du « bon berger », qui prend soin de ceux qui sont sous sa garde. Cette affirmation me donne une entière confiance, même « dans la vallée de l’ombre de la mort », comme l’écrit le roi David.
On prête ces paroles à Martin Luther, le réformateur du XVIe siècle : « Si la fin du monde devait survenir demain, je planterais aujourd’hui un arbre. » On retrouve cela chez Jean de La Fontaine, dans sa fable « Le vieillard et les trois jeunes hommes » qui commence par : « Un octogénaire plantait... » J'aime bien cette image de l'homme âgé qui plante son arbre, parce qu’il est dans l'espérance de transmettre quelque chose de bon à ceux qui le suivent. Après tout, on ne connaît ni le jour ni l’heure de « la fin ». Il faut rester vigilant, certes, mais portés par une espérance, par une foi positive, dynamique et optimiste. Rien ne contredit cela dans notre foi au « Dieu qui pourvoit » et dans la Bible.
Propos recueillis par Serge Carrel et retranscrits par Nel Berner.