Pour Tony Ukety, le Centre médical évangélique de Nyankunde devrait s’engager davantage à Bunia

Serge Carrel lundi 29 octobre 2018

Après plus de 12 ans passés à Genève à l’OMS, Tony Ukety est de retour à Bunia, sa ville natale, dans l’est de la République démocratique du Congo. Très actif actuellement dans l’évaluation de projets au plan international, il jette un regard avisé sur l’état de la santé publique dans sa région et sur l’avenir du Centre médical évangélique (CME), un des lieux-phares de l’engagement missionnaire des Eglises de la FREE durant les années 1960 à 2000.

Comment voyez-vous l’évolution de la situation médicale à Bunia et dans la province de l’Ituri ?
La situation générale a beaucoup changé. De 1960 à la fin des années 90, il n’y avait pas beaucoup de personnel médical. De nombreux médecins étrangers, notamment missionnaires, desservaient la région. Aujourd’hui, la situation s’est complètement transformée : il y a beaucoup de médecins, d’infirmiers et d’infirmières congolais… Cette situation est due à la libéralisation de l’enseignement durant les années 90. De nouvelles facultés de médecine et de nouvelles écoles d’infirmiers ou d’infirmières ont vu le jour. 

Quand j’ai commencé à exercer la médecine au début des années 80, il y avait 2000 médecins enregistrés dans l’Ordre des médecins congolais. Aujourd’hui, il y en a plus de 25'000. Avec toutes les écoles d’infirmiers et de laborantins qui ont ouvert, il y a aussi beaucoup de gens qui sont arrivés sur le marché au point qu’on a même des chômeurs dans ce domaine. Des médecins chôment aujourd’hui en République démocratique du Congo !

La qualité de la santé s’est donc améliorée…
C’est le contraire ! La qualité de ce nouveau personnel médical et paramédical qui est arrivé sur le marché a malheureusement baissé et la qualité du service médical de même. Personnellement, j’ai peur de tomber malade au Congo et de me retrouver entre les mains de cette jeunesse qui vient d’être formée.

Que faudrait-il faire pour améliorer les compétences de ces nouveaux médecins et de ce nouveau personnel paramédical ?
Il faut promouvoir l’encadrement. Tous ces jeunes doivent être encadrés pour acquérir de bonnes aptitudes afin de mieux prendre en charge la santé de la population.

Dans ce contexte, quel est le rôle du Centre médical évangélique (CME) ?
Aujourd’hui, le Centre médical évangélique compte parmi les institutions qui ont du personnel compétent, parce que des médecins congolais et des médecins missionnaires travaillent ensemble. Il y a 8 médecins congolais qui sont encadrés et qui ne sont pas laissés à eux-mêmes. Ils rendent un meilleur service, parce qu’ils ont été coachés dès leur sortie de l’université.

Aujourd’hui en Suisse, beaucoup ont l’impression que partir comme médecin ou comme infirmière dans un pays comme la RDC n’est plus de mise. Ce n’est pas votre avis ?
Qu’un médecin expérimenté ou une infirmière expérimentée vienne en RDC, voilà qui serait une bonne chose. De telles implications permettraient d’assurer l’encadrement des jeunes congolais, mais aussi peut-être de jeunes suisses qui souhaiteraient élargir leur expérience professionnelle. Cela leur permettrait d’assurer l’avenir de ce que l’on appelle la médecine internationale.

A Nyankunde, le Centre médical évangélique est situé dans une région assez reculée. Est-ce pertinent de développer une telle institution si loin de Bunia ?
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Dans le temps, il y avait 200'000 habitants dans la capitale de l’Ituri et 20'000 à Nyankunde. Aujourd’hui, il y a entre 5 et 10'000 habitants à Nyankunde, alors qu’il y a 800'000 habitants à Bunia, et que l’on pourrait atteindre prochainement le million. La situation a changé et ce serait très positif qu’au niveau du CME on voie la possibilité d’être utile au plus grand nombre. Je suis convaincu qu’un développement futur du CME dans le centre de Bunia serait utile, et pour le personnel, et pour la population de l’Ituri.

Pratiquement, comment cela pourrait-il se passer ?
L’idéal serait que les capacités qui sont à Nyankunde puissent venir renforcer l’équipe du CME qui est déjà installée à Bunia. Il y a un chirurgien très compétent à Nyankunde, mais malheureusement il ne vient jamais opérer à Bunia.

Personnellement, j’ai quitté Nyankunde au début des années 90 pour venir assurer des consultations ophtalmologiques à Bunia avec une équipe mobile. En juillet 1997, nous avons même transféré les activités ophtalmologiques de Nyankunde à Bunia. Ce transfert a été favorable au CME, parce qu’en 2002, au moment de la guerre de l’Ituri, le CME de Nyankunde a été complètement détruit et tout le monde a fui cette région. Au final, c’est le centre ophtalmologique qui a accueilli l’équipe qui est venue de Nyankunde. Le service ophtalmologique s’est élargi avec tous les autres services.

Vous êtes médecin ophtalmologue, jeune retraité de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé), mais en âge de poursuivre ses activités. Est-il imaginable que vous repreniez du service à Bunia ?
Quand j’exerçais ici, beaucoup de gens sollicitaient nos services que ce soit à Nyankunde ou à Bunia. Dommage de voir qu’un nombre de patients va actuellement à Butembo, entre Goma et Bunia, ou alors à Kampala en Ouganda, parce que les services rendus ne répondent pas aux besoins de la population.

Envisagez-vous de reprendre de la pratique à Bunia ?
Effectivement, je suis en train d’examiner la possibilité de redynamiser l’ophtalmologie ici à Bunia. Ce serait un service qui pourrait aider toute la province, et pourquoi pas tout le nord-est de la RDC.

Depuis que je suis de retour, les demandes fusent de partout. Presque chaque jour où je suis à mon domicile, je reçois 3 à 5 malades qui me sollicitent, sans avoir fait aucune annonce. Ils ne se gênent pas de venir directement à la maison. Il me semble que c’est une invitation à reprendre du service.

Propos recueillis par Serge Carrel
En reportage à Bunia

  • Encadré 1:

    Bio express

    IMG 2518Tony Ukety est médecin ophtalmologue. Natif de Bunia, la capitale de la province de l’Ituri dans l’est de la République démocratique du Congo, il a terminé ses études de médecine et sa spécialisation en ophtalmologie à Kinshasa respectivement en 1981 et en 1986, puis a servi comme ophtalmologue au Centre médical évangélique de 1987 à 2002. En 2003, il déménage à Genève pour coordonner les activités des ONGs impliquées dans la lutte contre la « cécité des rivières » (l’onchocercose). Après plus de 12 ans dans la cité de Calvin, il rentre à Bunia en été 2016.

    Tony Ukety est marié à Fanny. Ils ont quatre garçons adultes et sont membres d’une Eglise évangélique de Bunia (RDC).

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