A Bunia dans le nord-est de la République démocratique du Congo, aujourd’hui une ville de 800'000 habitants, il y a environ deux kilomètres de route goudronnée. C’est l’axe principal qui traverse la ville du nord au sud. Autrement, en dehors de la route qui mène à l’aéroport, toutes les routes sont en terre battue. Nids de poules et ornières pululent. Motos chinoises en grand nombre et voitures slaloment dans la poussière entre ces différents obstacles et se frayent un chemin vers leur destination.
De la boulangerie à la couture
A 50 mètres en contrebas de l’artère goudronnée, en direction de l’ancienne ville de Bunia, Fanny Nyakwabene tient boutique. Juste à côté d’un carrefour, dans un magasin dont le fronton affiche encore « à louer », cette « maman » de 52 ans vient d’ouvrir un atelier de couture. 5 machines sont installées et 4 personnes, dont elle, sont à l’ouvrage.
« Voilà 10 ans que je suis au CEMADEF, explique en swahili cette mère de 9 enfants dont trois, des triplés, sont décédés à la naissance. Mon premier contact avec Fanny Ukety s’est déroulé après la guerre de l’Ituri en 2002. Nos conditions de vie étaient très difficiles et « Maman Fanny » a donné une conférence où elle disait qu’elle ne pouvait rien faire pour nous aider, sinon nous mettre au travail. » Après un temps de formation de trois mois dispensé par le CEMADEF, Fanny Nyakwabene reçoit son premier prêt de 50 dollars. Elle achète de la farine et se lance dans la boulangerie. Vu qu’à l’époque, les habitants de Bunia n’ont pas d’argent, elle confectionne des pains de petite taille qu’elle fait vendre par des enfants qui déambulent dans la ville, un plateau sur la tête. Sa microentreprise se développe bien et elle engrange des bénéfices.
Epargner pour investir
Fanny Nyakwabene a des compétences ailleurs que dans la boulangerie. Elle est couturière. En 2009, elle sort ce qu’elle a pu épargner auprès du CEMADEF, qui fait aussi office de banque des pauvres, et achète sa première machine à coudre mécanique noire, de marque Singer. C’est parti pour la confection de vêtements et le développement d’une nouvelle microentreprise. D’abord à son domicile, puis dans un atelier à l’écart des voies passantes de Bunia. Maintenant, elle occupe une situation enviée, au centre de la capitale de l’Ituri.
En plus des trois machines Singer qui trônent dans sa boutique, Fanny Nyakwabene a encore acheté deux autres machines à coudre, l’une à 700 dollars et l’autre à 500, à même de coudre des dessins compliqués sur les robes de femmes. « Mon commerce évolue bien. Nous parvenons à faire de la couture en grande quantité et à envoyer le produit de notre travail ailleurs. » La rentrée scolaire s’est particulièrement bien déroulée pour cette femme cheffe d’entreprise. Elle a vu affluer dans son échoppe nombre de parents désireux d’acheter les uniformes scolaires requis pour commencer l’école.
Bientôt une coopérative de couture ?
Le développement réjouissant de l’entreprise de Fanny Nyakwabene intéresse les responsables du CEMADEF. Ils aimeraient, en accord avec l’intéressée, lancer une coopérative de couturières. Ces dernières pourraient ainsi offrir une plus grande diversité de produits, en fonction des compétences de chacune des femmes impliquées dans le projet. Mais cela, c’est de la musique d’avenir !
Pour l’instant, Fanny Nyakwabene continue à se confier : « Vous savez, mon mari est infirmier et gagne environ 300 dollars par mois. C’est insuffisant pour nourrir et payer l’éducation de nos enfants. Mes activités de couture me pemettent de gagner en une semaine ce que lui, avec sa formation de qualité, met un mois à acquérir. Concrètement, grâce à mon activité de couturière, je peux envoyer mes enfants se former à l’université », ajoute encore fièrement celle qui se lève tôt tous les matins et qui cultive avec son mari un lopin de terre où poussent aubergines, oignons et poireaux. Pour leur consommation personnelle… mais aussi pour en vendre au marché, lorsque la récolte est abondante !
Serge Carrel
« Le CEMADEF, c’est mon mari ! »
Marie-José Bouanzon a 71 ans. Elle nous accueille dans une petite maison en dur au nord de Bunia. Le sol est en ciment lissé. Plusieurs affiches avec une sorte de Christ en gloire aux couleurs fluo témoignent de son engagement dans l’Eglise catholique.
Marie-José Bouanzon bénéficie de prêts du CEMADEF depuis 2009. Cette « maman » dont le dernier prêt se montait à 110 dollars, vendait du pain grâce au four qui jouxte sa case. Elle a toujours honoré ses remboursements. Néanmoins, elle se trouve dans une situation difficile. Comme on dit là-bas, elle est « bloquée ». Une des 5 femmes de son équipe n’a pas remboursé son prêt en mai dernier. Depuis, Marie-José Bouanzon n’a plus touché de prêt du CEMADEF. « Cette femme qui était nouvelle dans notre équipe, explique la boulangère, a joué le jeu pendant trois mois. Elle a remboursé un premier prêt, en a touché un deuxième, puis a quitté la ville de Bunia pour la région minière du Nord. » Elle est joignable au téléphone et assure qu’elle va rembourser, mais ne le fait pas. « Comme je suis veuve, ajoute Marie-José Bouanzon, je suis démunie et je ne peux rembourser son prêt. » La solidarité entre les 4 femmes restantes n’a pas joué, comme ce devrait être le cas lorsque les 5 « mamans » se connaissent bien.
« J’ai de l’amertume dans mon cœur, ajoute Marie-José Bouanzon. Cette femme a rendu ma vie impossible. Depuis que je suis veuve, je considère le CEMADEF comme mon mari ! »
S’adapter à son milieu
« Il faut adapter ce que vous vendez au milieu dans lequel vous vous trouvez ! » Cette exhortation de Fanny Ukety, la directrice générale du CEMADEF, a fait mouche dans la vie de Mini Borive, une jeune femme de 26 ans. Domiciliée le long de la route en terre battue qui mène au nord de Bunia, cette maman de 5 enfants a vu s’installer des centaines de déplacés sur un terrain, juste en face de sa parcelle, de l’autre côté de la route. Des centaines de tentes en torchis sont sorties de terre avec comme toit des baches en plastic estampillées UNHCR.
Pour répondre aux besoins de cette nouvelle population qui a afflué en nombre à Bunia ces derniers mois, Mini Borive fait tous les jours 150 beignets qu’elle propose au prix de 100 Francs congolais à ces déplacés, ainsi qu’à toutes les personnes intéressées. Mais son adaptation à son contexte ne s’est pas arrêtée là. « Je me suis demandé ce dont cette population qui vient des villages pouvait avoir besoin, explique-t-elle. Ces gens aiment beaucoup le « mandro », une boisson légérement fermentée à base de maïs. Sur l’arrière de ma maison, j’ai ouvert une sorte de bar qui accueille tous ceux qui veulent consommer du mandro. »
Vu que cette boisson se confectionne à partir de maïs, Mini Borive en cultive un petit champ, juste en face de chez elle. Quand il n’y en a plus, elle s’approvisionne au marché local et satisfait ainsi chaque jour avec son mandro une quinzaine de clients qui viennent passer du bon temps dans son bar.
« Depuis que je reçois des prêts du CEMADEF, ajoute-t-elle, je me sens vraiment à l’aise. Autrefois, chaque fois que j’avais une dépense à faire, je devais demander de l’argent à mon mari et attendre qu’il en ait. Maintenant, lorsque j’ai besoin de quelque chose, je travaille et je peux assumer moi-même mes propres besoins. »
Elle s’est lancée dans l’exploitation d’une pharmacie
« Les patients viennent avec les ordonnances des médecins. » Jeanine Kavono, 32 ans, se tient devant une petite échoppe dans la rue en terre battue qui monte vers le Centre médical évangélique de Nyankunde, à quelque 60 kilomètres de Bunia. Cette mère de 5 enfants loue depuis 3 ans une petite échoppe où elle vend des médicaments : paracétamol, ibuprofène, pommades diverses… Assistante en pharmacie de profession, elle souligne que « le CEMADEFF l’aide beaucoup et qu’elle est très fière de cette ONG ».
Au bénéfice d’un prêt de 100 dollars de la part de l’antenne locale du CEMADEF, elle relève qu’elle paie une location de 10 dollars par mois pour son échoppe, et qu’elle consacre les bénéfices de son activité à scolariser ses enfants. Son fils aîné s’est lancé dans une école de maçon. « Grâce au CEMADEF, notre avenir sera melleur un jour ! »