«Fanny Ukety est notre Néhémie !» Voilà ce que quelque 700 femmes ont entendu mardi 16 octobre à Bunia, la capitale de la province de l’Ituri, au nord-est de la République démocratique du Congo. Rassemblées dans la salle de culte de la Communauté Emmanuel de Bunia-centre, ces femmes arboraient des tenues de fête, chantaient et dansaient pour marquer la matinée spéciale qu’organise chaque semestre le CEMADEF. Cette institution de micro-crédits rassemble sur l’ensemble de la province plus de 9000 femmes qui, à partir de 9 sites, bénéficient de prêts allant de 50 à 500 dollars.
Après 12 ans d’exil à Genève, le retour à Bunia
«Fanny Ukety a connu la douceur de la vie en exil à Genève pendant 13 ans, a continué la prédicatrice du jour, et, tout comme le personnage biblique de Néhémie exilé à Babylone, elle n’a pas oublié le goût de sa terre natale.» Elle s’est informée de l’extrême pauvreté des femmes de l’Ituri, elle a prié et lancé voilà 12 ans le CEMADEF. «A l’exemple de Néhémie, elle «s’est levée et a reconstruit les murailles» de la vie de femmes et de familles, en leur proposant de petits crédits pour lancer des microentreprises», donnant dans la culture de légumes, la vente de fruits au marché, la couture ou la petite restauration.
«Chaque jour, je suis impressionné de voir comment le CEMADEF grandit, a commenté Pacifique Keta Upar, le vice-gouverneur de la province, qui participait à la manifestation. Non seulement cette institution de micro-crédits s’occupe des aspects financiers des prêts, mais elle propose aussi de la formation personnelle dans des domaines aussi divers que la santé, le droit et le développement durable.»
Des trajectoires de vie qui changent grâce au CEMADEF
Peu avant dans la matinée, plusieurs femmes avaient pris la parole en plénière pour faire part de leur histoire. L’une a raconté les difficultés qu’elle a rencontrées dans l’éducation de ses enfants. Plusieurs ne sont pas allés au terme de leur scolarité, mais, grâce à l’épargne consentie régulièrement en lien avec son prêt, elle a pu payer deux ans d’études universitaires à l’un de ses fils. Une autre, déplacée voilà quelques années dans la région de Bunia à cause de troubles qui ont sévi dans le Kivu, a acheté un champ de 6 hectares et s’est lancée dans la culture du maïs, puis dernièrement du cacao. Elle y consacre aujourd’hui un hectare de sa plantation et parvient à vendre ses fèves un bon prix au kilo.
Une troisième a relaté avec beaucoup d’émotion comment une formation juridique sur le mariage civil dispensée par le CEMADEF avait entraîné un changement dans son statut matrimonial. Mariée de façon coutumière en 1976, elle a demandé à son mari de contracter avec elle le mariage civil proposé par l’Etat, afin d’échapper à la dépossession de tous ses biens par sa belle-famille, au cas où son mari viendrait à décéder. Réticent au début, son mari a finalement accepté de passer par une cérémonie civile afin de ne pas précariser les conditions de vie de son épouse, en cas de décès. Tout à sa joie, cette femme dans la soixantaine a montré fièrement aux 700 autres présentes l’alliance qui ornait l’un de ses doigts.
Elargir l’éventail des contributeurs
«Ce que je déplore, a poursuivi le vice-gouverneur devant les 6 ou 7 journalistes présents pour un point-presse à l’issue de la rencontre, c’est que le CEMADEF n’a pas poursuivi avec son volet éducation-alphabétisation. Nous souhaitons que cette ONG continue son travail, même si le gouvernement ne lui accorde aucune aide financière.» Cela pourrait peut-être changé, a ajouté Pacifique Keta Upar. Le vice-gouverneur, en campagne à l’occasion des prochaines élections présidentielles et parlementaires du 23 décembre, a indiqué que le gouvernement provincial pourrait solliciter certains partenaires privés ou des «fonds de contrepartie», déjà mobilisés cette année pour la construction d’une laiterie industrielle dans la région.
Après le départ du vice-gouverneur, Fanny Ukety, la directrice du CEMADEF, a expliqué que l’ONG avait dû réduire la voilure à partir de 2017 et renoncer à un projet d’alphabétisation des femmes, à cause d’un nombre insuffisant de participantes. «Nous souhaitons continuer à chercher des fonds pour permettre aux différentes antennes régionales de micro-crédit d’être indépendantes financièrement. L’antenne de Bunia l’est actuellement, mais ce n’est pas le cas des 8 autres.» Pour y parvenir, la «Néhémie de l’Ituri» souhaite que l’association Assafi en Suisse puisse continuer sa récolte de fonds et que d’autres partenaires se joignent à un projet qui change concrètement la vie de milliers de femmes dans cette région.
Serge Carrel
En reportage à Bunia (RDC)