Il est communément admis que le Proche-Orient est une terre d'islam peuplée exclusivement de musulmans. Or la réalité est bien différente. D'une part la « communauté musulmane » est composée de courants très divers : les Sunnites, les Chi'ites, les Alaouites, les Alévis, les Druzes, les Ismaéliens, les Yézidis (zoroastriens) et j'en passe.
D'autre part le Proche-Orient possède aussi une importante population chrétienne dont le nombre est estimé à environ 10 millions en Egypte, 2 millions en Syrie, 1 million au Liban. En Israël-Palestine il y a plus de 20 Églises baptistes arabophones, sans compter les nombreuses autres dénominations. En Irak, environ 1 million de chrétiens avaient survécu aux 13 siècles d'islam. En 10 ans, l'intervention américaine de 2003 a réduit leur nombre à moins de 500'000 personnes. Avant 1950 on dénombrait encore au Proche-Orient des centaines de milliers de Juifs. Cette diversité est sa richesse.
Les évangéliques nombreux au Proche-Orient
Lorsqu'on parle des Églises chrétiennes au Proche-Orient, on pense essentiellement aux Églises historiques, orthodoxes, syriaques, maronites, arméniennes ou catholiques. Mais c'est une erreur de perspective. Les Églises évangéliques sont nombreuses et bien implantées au Proche-Orient. J'ai prêché dans l'une des Églises baptistes de Damas ainsi que dans l'Église baptiste de Nazareth. J'ai partagé le culte avec les Arméniens évangéliques d'Alep, des Églises charismatiques de Beyrouth, les fidèles de la Christian Missionary Alliance d'Amman, les évangéliques de l'Église Emmanuel de Bethléem. J'ai dormi dans le guest-house de l'École biblique baptiste de Beyrouth. Ceci pour ne citer que quelques modestes exemples. Pour d'autres frères ou sœurs suisses, l'énumération serait bien plus grande !
Il y a une exception à ce tableau : celle de la Turquie. La violence des pogromes anti-chrétiens de 1915 contre les Arméniens, les Grecs et les Syriaques a fait qu'il n'y a pratiquement plus de chrétiens en Turquie, sauf environ 70'000 à Istanbul et quelques milliers au Tour Abdin dans le Kurdistan. La situation évolue lentement. Un patient travail de témoignage évangélique rejoint les besoins spirituels de certains et quelques communautés reprennent modestement vie dans le pays. Je n'oublierai jamais la requête du père dominicain d'Antioche qui, en 2004, nous demandait de prier pour qu'il reste encore des chrétiens à Antioche !
30 personnalités de premier plan lancent l’appel
L'intérêt de l'« Appel urgent » du Conseil suprême de la Communauté évangélique en Syrie et au Liban est qu'il provient des milieux évangéliques qui n'ont pas l'habitude de s'exprimer ainsi dans l'espace public. Il est signé par 30 personnalités de premier plan. Il frappe par son ton réaliste, solennel, sans être doloriste. Il n'est pas marqué par une attitude partisane puisqu'il se veut solidaire des Églises historiques et des « majorités musulmanes modérées ». Il souligne le côté dramatique et surréaliste de la situation. Les 95% de la population musulmane sont pacifiques et n'ont pas d'autre désir que de vaquer paisiblement à leurs occupations. Seule une infime minorité de personnes sont des activistes violents, fanatiques, totalitaires, qui partagent le désir insensé d'éradiquer toutes les autres communautés. Or les gouvernements arabes soit attisent ces incendies pour développer leurs visées politiques, soit sont impuissants à endiguer cette violence. L'idéologie démocratique, que l'Occident veut parfois imposer aux forceps, n'arrange pas la situation, car la culture arabe, clanique et communautariste, n'est actuellement pas capable d'en accepter les composantes. Aussi il n'y a pas à craindre la présence de régimes autocratiques forts pour autant qu'ils soient pluralistes et respectueux des minorités.
Des impulsions… militaires aussi ?
Il nous faut entendre cet appel pathétique. Nombre de penseurs musulmans affirment qu'un développement harmonieux du Proche-Orient dépend de la présence chrétienne garante d'une certaine pluralité. Mais comme ils ont de la peine à faire entendre leur voix, c'est certainement de l'Occident que devra venir les impulsions militaires (malheureusement), diplomatiques et surtout l'influence culturelle... pour autant que ces initiatives soient dégagées de toute forme d'impérialisme. Mais l'Occident est loin d'être vertueux sur ce plan-là !
Jean-Jacques Meylan, pasteur FREE