Christophe Monnot a été l’un des artisans de la recherche menée par la Confédération sur « Collectivités religieuses, Etat et société » (PNR 58). Ce spécialiste des communautés religieuses de Suisse se risque ici à une interprétation de ses travaux pour le milieu évangélique qu’il connaît. Cette reprise d’une partie de l’interview qu’il a accordée à lafree.ch est en débat ! N’hésitez pas à réagir.
Quel regard jetez-vous sur le pluralisme religieux en Suisse et la manière dont les évangéliques l’appréhendent ?
Le pluralisme en Suisse est fortement marqué par l’islam. L’hindouisme et le bouddhisme ne représentent, somme toute, que peu de membres. Institutionnellement, il se passe des choses intéressantes entre les chrétiens évangéliques et les musulmans. Les deux sont maintenant dans la même zone de légitimité. Ils ne sont pas illégitimes, mais ils ne sont pas totalement légitimes. Avec l’initiative sur les minarets ou celle sur les valeurs chrétiennes, on sent bien qu’il y a une compétition entre ces deux groupes religieux. Les évangéliques avaient acquis une certaine légitimité, mais les musulmans qui sont arrivés sur sol helvétique depuis une quinzaine d’années donnent l’impression aux évangéliques de leur « voler » leur légitimité : les musulmans pourraient être reconnus mais pas les évangéliques.
Dans ce contexte, les musulmans ne comprennent pas ce qui se passe. Ils se demandent même pourquoi les évangéliques « embêtent ». En fait, les musulmans ne parviennent pas à voir le problème du point de vue historique, parce qu’ils bénéficient d’une légitimité qui vient d’ailleurs. Quand un Turc vient en Suisse, il bénéficie de la légitimité de l’Etat turc. Il a toujours été dans une « église » d’Etat et il ne comprend pas pourquoi il n’a pas droit à son imam. C’est une question que l’on peut tout à fait comprendre, puisque la Turquie est prête à lui fournir un imam gratuitement. Et le musulman turc ne comprend pas pourquoi en Suisse il ne peut bénéficier que de 20 imams lors de ramadan, alors qu’il en faudrait 40. On assiste à deux formes de réactions sur une légitimité acquise historiquement qui s’entrechoquent, l’une par les évangéliques en Suisse et l’autre par les musulmans dans leurs pays!
Actuellement, que devraient faire les évangéliques pour poursuivre leur chemin vers la reconnaissance, dans le canton de Vaud notamment ?
A mon avis, les évangéliques devraient être plus présents dans le dialogue interreligieux. Il est important d’être en dialogue, car cela montre de l’intérêt pour la cité, mais il semble que les évangéliques n’ont aucune motivation pour cela… Du côté des autres religions, une telle attitude entraîne de l’incompréhension. Au final, cela conduit à une perte de pertinence et constitue, à mon sens, une faute sur le long terme.
Actuellement, les évangéliques développent une attitude qui n’est pas la meilleure. On a l’impression qu’il y a une erreur de casting. Les évangéliques auraient pu jouer le rôle du grand frère en disant qu’il était normal que les musulmans bénéficient d’une forme de reconnaissance. Par ce geste, ils rappelleraient à l’Etat de ne pas les oublier dans le processus. Certains évangéliques jouent davantage le rôle du petit frère qui vient taper par derrière…
Tous les évangéliques n’affichent pas la même attitude à l’endroit des musulmans !
Comme l’islam, le milieu évangélique est très pluriel. Et c’est vrai que ce sont souvent les extrêmes qui passent dans les médias. Au sein de la communauté musulmane de Suisse, Nicolas Blanchot, le président du Conseil suisse islamique, passe facilement dans les médias, alors que le responsable de la Communauté turque de Moudon n’y passe jamais. Pourtant, comme de nombreux responsables de lieux de prière, turcs notamment, c’est quelqu’un de très sympathique et qui joue la carte de l’intégration.
Propos recueillis par Serge Carrel
L’intégralité de l’interview publié sur lafree.ch.
Le site du Programme national de recherche 58 (PNR 58) « Collectivités religieuses, Etat et société ».
Bio express
Christophe Monnot est responsable de recherches à l’Institut des sciences sociales des religions de l’Université de Lausanne. Il a été l’un des chevilles ouvrières de l’étude du Programme national de recherche « Collectivités religieuses, Etat et société » qui a publié le résultat de ses travaux en septembre dernier.
Christophe est docteur en sociologie des religions depuis décembre 2010 avec une thèse intitulée « Pratiquer la religion ensemble. Analyse des paroisses et communautés religieuses en Suisse, dans une perspective de sociologie des organisations ». Une partie de cette thèse sera prochainement publiée sous le titre de « Croire ensemble ».
Il a été animateur jeunesse dans la paroisse de la Rive-Droite de l’Eglise évangélique libre de Genève de 1997 à 2005 et il a présidé le synode de l’EELG de 2006 à 2010. Christophe 44 ans, est marié à Annick. Ils ont un fils, Léon.