La deuxième caractéristique des Eglises « missionnelles », c’est qu’elles sont messinaniques et non dualistes. Voilà ce que nous avons affirmé dans notre premier article « Les Eglises émergentes ou missionnelles : un phénomène stimulant pour les chrétiens occidentaux » (1). Mais que faut-il entendre par ces deux qualificatifs « messianiques » et « non dualistes » ? En fait, les Eglises missionnelles adoptent une manière de voir le monde qui s’inspire de la culture hébraïque et de la manière dont Jésus voyait le monde. Ces Eglises ne sont pas marquées par le dualisme de la culture greco-romaine. Au lieu de voir le monde comme divisé en deux espaces : le sacré et le profane, elles le voient comme un espace intégré, entièrement marqué par la présence de Dieu. Développons cela quelque peu…
Redécouvrir l’humanité incarnée de Jésus
Notre relation à Dieu s’inspire de la relation de Jésus Christ avec son Père. Cette relation a des conséquences importantes dans notre ecclésiologie et dans notre témoignage. Racontons, comme Jésus l’a fait, l’histoire de Dieu et notre histoire pour rejoindre l’histoire de celui qui ne le connaît pas. Rencontrons notre prochain dans son « voyage » ici-bas, en reconnaissant que nous sommes nous-mêmes en voyage et en recherche. Nous ne connaissons pas tout. Jésus vivait la présence de Dieu partout, et surtout en dehors des lieux religieux. Nous sommes appelés à lui ressembler.
Quelle sorte de sainteté ?
Nous sommes sans doute tous d’accord pour dire que Jésus de Nazareth était un homme saint. Ce qui peut surprendre certains, c’est qu’il était à l’aise dans la compagnie des « mauvais » et des marginalisés. Eux, de leur côté, étaient à l’aise avec lui. Ils étaient carrément attirés par Jésus, tout en reconnaissant en lui un homme entièrement bon. Jésus rayonnait d’une sainteté qui, au lieu d’aliéner, attirait et provoquait un questionnement et une transformation dans la personne rencontrée. Cette sainteté donnait de l’espoir. Avons-nous cette qualité de sainteté, dépourvue de tout jugement des personnes ?
Peut-être qu’une deuxième question peut nous éclairer. Notre sainteté nous permet-elle de prendre plaisir à la vie ? Notre Dieu, est-il un Dieu de plaisirs, comme David semble l’avoir compris au Psaume 16 : 11 : « Il y a abondance de joies devant ta face, des délices éternelles à ta droite » ? Jésus de Nazareth était un homme qui aimait la vie, qui participait pleinement aux réjouissances de son entourage. Personnellement, j’ai dû apprendre à me laisser aller quand je suis avec mes amis, à vraiment participer à notre plaisir et à notre joie, à rire de tout cœur avec eux.
Dieu est déjà là
Proche de cette notion de sainteté, il y a celle des « lieux sacrés ». Cela constitue probablement une de nos « vaches sacrées » ! Il y aurait des lieux où Dieu se trouve et des lieux où il ne se trouverait pas. Nous ne le formulons peut-être pas aussi clairement, mais notre manière de vivre clame cela.
La présence de Dieu est dans le monde par son Esprit, non seulement en moi, temple de Dieu grâce à sa présence, mais aussi chez « les non encore chrétiens ». Notre joie, c’est de les aider à voir que Dieu est déjà à l’œuvre dans leur histoire personnelle. Quand je me trouve avec un de ces amis, Dieu est déjà là. Nous nous trouvons dans un lieu saint. Et cela peut se passer dans un pub, un café ou ailleurs. Même un bar fréquenté par des prostituées ! Avez-vous entendu l’histoire de Tony Campolo, un chrétien, professeur de sociologie ? Je ne sais pas s’il se considère lui-même comme « émergent », mais ce qu’il a fait correspond en tout cas à la pratique de ces Eglises !
Tony était à Hawaï pour donner une conférence. A 2 heures du matin, il n’arrivait pas à s’endormir à cause du décalage horaire. Il avait une petite faim. Il commence à faire le tour du quartier pour trouver quelque chose à manger. Il trouve un seul bar ouvert. Il commande un sandwich et, pendant qu’il attend et observe les autres visiteurs, il se rend compte que ce bar est fréquenté par des prostituées. L’une d’elles, Agnès, annonce à ses amies que le lendemain c’est son anniversaire. Réponse sarcastique de ces dernières : « Quoi ? Tu ne t’attends pas à ce qu’on te fasse un gâteau... »
Quand ces femmes quittent le bar, Tony Campolo demande au tenancier s’il peut organiser une petite fête pour Agnès la nuit suivante. Le tenancier du bar pourrait décorer les lieux et lui, Tony, apporter un gâteau d’anniversaire. Ce qui est fait. Agnès est tellement surprise et touchée qu’elle demande à pouvoir apporter le gâteau chez sa maman pour le lui montrer, avant de revenir le partager avec les gens du bar.
Tony suggère alors qu’ils prient tous ensemble pour Agnès : pour sa vie, pour sa santé et pour qu’elle connaisse la bonté de Dieu. Le tenancier du bar, d’un sourire narquois, demande alors à Tony de quelle Eglise il est membre. A Tony de répondre : « J’appartiens à une Eglise qui prépare des fêtes d’anniversaire pour des prostituées à 3 heures du matin. ». La réponse du tenancier du bar fuse : « Il n’existe pas d’Eglise comme celle-là. Si elle existait, je me serais déjà joint à elle ! »
L’image de la pêche
Les pêcheurs du temps de Jésus, et certains encore aujourd’hui, passent énormément de temps à réparer et à préparer leurs filets. Que représentent ces filets pour nous, si nous effectuons le lien que Jésus a fait au travers de son affirmation : « Je ferai de vous des pêcheurs d’homme » ? Les filets, ne serait-ce pas le réseau de relations et d’amitiés que nous tissons avec ceux qui ne connaissent pas encore Jésus ? Est-ce que ce réseau ne formerait pas le filet dans lequel ces personnes nageraient ?
Cette association nous libère pour regarder d’un œil neuf ces relations, ces contacts et ces amitiés que nous tissons, mais que peut-être nous sous-estimons, ou pour lesquels nous nous disons : « Je ne peux pas faire plus, je n’ai pas le temps ». Un médecin qui va au-delà de la consultation pour aider son patient à trouver l’accompagnement dont il a besoin tisse ce filet. La personne engagée dans les services sociaux, qui essaye de combattre l’injustice qui se passe sur le pas de notre porte, fait de même. Idem pour l’enseignant qui a un contact avec des enfants en difficulté issus de familles éclatées. Nos loisirs nous offrent aussi des lieux pour tisser des relations vraies et pertinentes. Ils nous permettent en même temps de trouver le défoulement dont nous avons besoin.
S’intégrer à des projets de sa localité est aussi un « filet » que l’on peut employer. Ainsi, par nos actions, dans ce partage, nous étendons la rédemption de l’humanité par Dieu. Nos actions parlent plus fort que nos paroles.
L’Eglise, des personnes d’un ensemble centré
Les émergents aiment beaucoup parler de « non encore chrétiens » plutôt que de « non-chrétiens ». Notre terminologie témoigne d’une manière de penser. « Non-chrétien » rend compte du fait qu’il y a ceux du dedans et ceux du dehors, ceux qui appartiennent au groupe et ceux qui n’y appartiennent pas. Cette manière de dire exprime une exclusion, voire une aliénation. « Non encore chrétien » évoque un accueil, de l’espoir et la foi en Dieu. Cette formule ouvre, tandis que la première ferme.
Parlons « ensembles ». Il y a des ensembles fermés, des ensembles flous et des ensembles centrés. Les « ensembles fermés » dans la dynamique des groupes sont en partie définis par leur liste de membres, leurs codes moraux et culturels et leurs convictions fondamentales. Ces groupes sont « entourés » d’une barrière protectrice et exclusive. Au centre ils n’ont pas de définition claire. Les ensembles flous n’ont ni marque limitative à la périphérie, ni définition claire au centre. Ils sont mous et flous partout. Ce sont des gens qui se retrouvent sans but clair. Dans l’histoire d’un groupe, la période « ensemble flou » peut aussi marquer le début ou la fin d’un mouvement.
Les ensembles centrés sont clairement définis en leur centre et sont flous à la périphérie. Les personnes sont définies par rapport à leur distance du centre. L’image qui exprime bien cette réalité, c’est celle de ces grands espaces australiens qui ont des puits attirant le bétail, mais aucune barrière. Tant qu’il y a un puits rempli de bonne eau, le bétail ne s’aventure jamais trop loin. En foi chrétienne, le puits, c’est le centre ferme, clairement défini autour de la personne de Jésus Christ et de quelques croyances fondamentales, centrales, non négociables, fondées sur une haute estime de la Bible. On est tellement content d’avoir trouvé le puits, le centre, qu’on veut en faciliter l’accès à d’autres. On permet aux gens de s’approcher de Jésus, de lieux divers et de distances différentes, et personne n’est jugé comme étant dehors. Il doit donc y avoir des « lieux de recherche » où les gens peuvent poser leurs questions et avancer à leur rythme vers Jésus Christ et nous avec eux. Dans un ensemble centré, on se voit comme des compagnons de voyage.
Personnellement cette approche m’aide à me placer à côté des gens et non pas en face. Je peux admettre mes faiblesses, ce qui me donne l’occasion de mettre en évidence Jésus ! Je n’ai rien à prouver, rien à « atteindre ». Ce qui m’est demandé, c’est d’accompagner et de présenter Jésus aux moments opportuns.
Jane Maire
Note
1) Lire les articles déjà publiés : "Les Eglises émergentes ou missionnelles: un phénomène stimulant pour les chrétiens occidentaux" et "Les Eglises émergentes ou missionnelles: l'incarnation plutôt que l'attraction".