« 'Vivre en chrétien aujourd’hui' renouvelle la réflexion éthique évangélique » par Serge Carrel

mercredi 26 septembre 2018 icon-comments 3

Après Pour une foi réfléchie, la Maison de la Bible poursuit dans la publication de « pavés » utiles à tous, pour réfléchir la foi en milieu évangélique et protestant. Elle a confié à Alain Nisus, professeur à Vaux-sur-Seine, le soin de rassembler une dizaine d’auteurs pour publier Vivre en chrétien aujourd’hui, une réflexion éthique sur les sujets qui préoccupent les chrétiens des années 2010. C’est à nouveau un coup de maître ! Puisque le livre est à mettre dans toutes les bibliothèques des évangéliques. Et à lire surtout !

Homosexualité, respect de la création, implication des chrétiens dans la politique, protection de la vie à naître, véganisme… Les questions éthiques sont partout. Grâce à la parution d’un livre imposant de 800 pages mais très accessible, la réflexion évangélique francophone dans ce domaine fait un bon en avant. Vivre en chrétien aujourd’hui, publié sous la direction d’Alain Nisus, professeur à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine (FLTE), propose la réflexion de 10 auteurs, spécialistes de questions comme la sexualité, le travail, l’énergie ou les animaux.

Une clarification bienvenue !

Surtout, ce livre ouvre sur une clarification de la démarche éthique en milieu évangélique. Signée Louis Schweitzer, professeur d’éthique à la FLTE, cette première partie intitulée « Les bases d’une éthique chrétienne » pose le cadre dans lequel développer une telle démarche. Son auteur commence par constater que le milieu évangélique est marqué par une grande diversité dans la réflexion éthique, qui débouche souvent sur des discours très différents. Il ne suffit pas d’affirmer l’inspiration des Ecritures pour être d’accord sur ce qu’elles nous disent par rapport à des choix de vie aujourd’hui !

Louis Schweitzer reprend la question de manière très large. Il constate qu’il y a deux manières de faire de l’éthique : celle qui s’attache aux vertus à développer pour être une personne « éthique », et celle qui se pose la question du devoir et de ce qu’il importe de faire pour bien faire. Au premier abord, ces deux démarches paraissent contradictoires, mais Louis Schweitzer s’en défend. Il affirme plutôt leur complémentarité, parce que « ces deux dimensions… sont repérables dans la Bible » (p. 36).

Des contextes bibliques différents

Dans le paysage des différents courants éthiques qui traversent notre société, qu’on les appelle hédonisme, utilitarisme ou relativisme, la réflexion chrétienne affiche une particularité : elle part de la volonté de Dieu, telle qu’elle est reçue dans la révélation. Mais cette spécificité ne débouche pas sur une uniformité, parce que la réflexion éthique contenue dans la Bible est diverse. Chaque livre biblique propose sa propre réflexion, inscrite chaque fois dans un contexte socio-politique différent. L’Israël du roi Salomon ne se trouve pas dans la même situation que les chrétiens de Corinthe auxquels s’adresse l’apôtre Paul au Ier siècle. Donc avant de poser une réflexion éthique évangélique, il importe de décrire ces différents discours éthiques, présents dans le canon biblique.

Par souci de systématiser le donné biblique, Louis Schweitzer distingue trois discours éthiques différents : celui de l’Ancien Testament, marqué par les thèmes de l’Alliance et de la loi, par les prophètes qui rappellent au peuple l’importance d’appliquer la loi et par la sagesse, qui propose un travail sur soi et rejoint ainsi l’éthique des vertus. Pour Louis Schweitzer, il importe ensuite de distinguer l’enseignement de Jésus, tel qu’il est développé notamment dans le Sermon sur la montagne, de l’enseignement des apôtres qui reprend celui de l’Ancien Testament et de Jésus, et qui en propose une lecture pour les communautés chrétiennes minoritaires de l’Empire romain.

Jésus au centre !

Conscient de cette diversité présente dans le canon biblique, l’éthicien évangélique doit se focaliser sur Jésus comme « expression même de la nouvelle création de Dieu… Il est donc, et lui seul, le centre et le sommet de la révélation. C’est sa personne et son enseignement qui sont pour nous l’autorité dernière et c’est avec ce point de départ et cette référence constante que nous devons chercher à comprendre le reste de la révélation » (p. 56-57). Alors certes il ne s’agit pas d’abandonner l’Ancien Testament. Celui-ci reste l’expression de la volonté de Dieu dans un temps et un contexte donnés, mais il doit être interprété à partir de la lecture qu’en fait Jésus. Il serait même dangereux de nous en séparer, souligne Louis Schweitzer, parce que la première partie de la Bible chrétienne rappelle l’ordre de la création. Elle éclaire de manière originale certaines questions sociales qui se posent à nous aujourd’hui et, sans l’Ancien Testament, nous sommes incapables de comprendre l’éthique de Jésus (p. 57).

Dans cette perspective qui place Jésus au cœur de la révélation et de l’éthique, Louis Schweitzer va plus loin et précise ce qui est au cœur de l’éthique évangélique : le double commandement d’amour. Amour de Dieu et amour du prochain, qui, mis ensemble, constituent « une lecture que personne n’avait faite avant Jésus de cette manière ». Ce lien entre amour de Dieu et amour du prochain entraîne un lien très étroit entre spiritualité et éthique, l’une des caractéristiques des dynamiques de Réveil qui ont été, en protestantisme, à l’origine de réformes sociales majeures.

Ce qu’il importe aussi de préciser, c’est que ce double commandement s’enracine dans l’être même de Dieu qui est Amour. On découvre là une unité forte entre vision de Dieu, spiritualité et engagement éthique : le tout incitant à une pratique de l’amour du prochain, de l’ennemi et du frère, qui s’enracine dans cette imitation de la perfection de Dieu qui est Amour pour tous.

Construire un discours éthique

Une fois posés ces fondements théologiques de l’éthique évangélique, Louis Schweitzer se penche sur la manière d’aborder une question éthique. Il souligne tout d’abord l’importance d’accorder une attention fine à la réalité concrète qu’évoque toute question éthique aujourd’hui. « La tentation est grande de donner une réponse avant d’avoir pris en compte la totalité de la question », souligne-t-il (p. 73). Il s’agit donc de bien comprendre les différents aspects du problème, le contexte historique dans lequel il se pose et les conséquences qu’une solution va entraîner. Il s’agit aussi de prêter une attention soutenue aux personnes concernées par le problème et à la souffrance qu’elles endurent. Une fois que la problématique dans laquelle se pose la question éthique est bien définie, il s’agit d’aller au texte et de nourrir la réflexion de tous les aspects du texte biblique qui peuvent éclairer cette situation. La pratique de la « lecture en relief » s’impose en insérant chacun des textes dans la situation où il est apparu : Ancien Testament, enseignement de Jésus ou épîtres. Dans une telle démarche, il s’agit aussi d’être attentif aux principes – à ce qui est de l’ordre de la Création – et aux applications concrètes de ces principes. Le donné biblique livre ainsi une série de directions que nous sommes invités à poursuivre pour qu’elles trouvent leur concrétisation dans notre situation contemporaine.

La grâce est première

Pour que la démarche éthique ne tombe pas dans une nouvelle forme de légalisme, Louis Schweitzer rappelle qu’à ce stade de la réflexion, il faut reprendre conscience de ce qu’est l’Evangile. Il s’agit avant tout d’une Bonne Nouvelle qui annonce la grâce et le pardon de Dieu pour tous, puis qui s’articule à une exigence de changement. « Il s’agit d’un chemin de crête, explique Louis Schweitzer, et il est facile de tomber d’un côté ou de l’autre » (p. 80). Du côté d’un légalisme qui passe sous silence la grâce de Dieu et du côté de la « grâce à bon marché », qui laisse complètement de côté l’exigence de Dieu et qui tolère facilement le péché. « Cette tension est constitutive de l’éthique chrétienne et nous devons la garder en mémoire dans toute réflexion sur des sujets concrets. »

Par rapport au débat autour de la question du rapport entre Loi et Evangile, Louis Schweitzer invite à dépasser le débat de la Réforme magistérielle – en lien avec les conceptions de Luther et Calvin – pour endosser les perspectives anabaptistes qui valorisent le thème de la Loi du Christ comme devant figurer au cœur de l’éthique évangélique.

Une avancée marquante pour le milieu évangélique

Vivre en chrétien aujourd’hui marque une avancée marquante en francophonie dans la réflexion évangélique et même protestante en éthique. Les pages que Louis Schweitzer consacre aux fondements de la réflexion éthique proposent une méthode que même le professeur réformé Eric Fuchs, dans les années 80 et 90, n’avait pas systématisée de manière aussi claire. Cette méthode demande une analyse fouillée du problème évoqué, elle tient compte de la diversité de la Bible et en propose une lecture en relief, avec au cœur la personne et l’enseignement de Jésus-Christ. Elle invite aussi à garder bien présent dans la réflexion le discours éthique de l’Ancien Testament, ainsi que le travail sur les valeurs et la personne qui met en œuvre une action éthique… En un mot comme en 100 : un livre qui devrait rejoindre toutes les bibliothèques des chrétiens évangéliques, tant il propose une démarche qui s’inscrit au cœur de l’Evangile de Jésus-Christ, tant il aborde des thèmes importants pour vivre en chrétien aujourd’hui !

Serge Carrel

Alain Nisus (dir.), Vivre en chrétien aujourd’hui. Repères éthiques pour tous, Romanel-sur-Lausanne, Maison de la Bible, 2015, 800 p. Prix : 39fr90. A commander ici.

  • Encadré 1:

    Une analyse clarifiante du discours politique évangélique

    Au début du chapitre consacré à « La société et l’Etat » (p. 591), Louis Schweitzer présente les différentes manières d’articuler en éthique foi chrétienne-société et politique. Très éclairant, ce parcours montre l’importance de la Réforme du XVIe siècle avec la théorie des deux règnes d’un Luther, le gouvernement chrétien d’un Calvin et la séparation du monde ainsi que l’imitation de Jésus chères aux anabaptistes. A ces trois modèles éthiques, Louis Schweitzer ajoute la conception de Karl Barth sur les liens entre communauté chrétienne et communauté civile et le théonomisme qui considère la loi de Moïse comme normative pour l’éthique sociale et politique. Un tel tour d’horizon donne de la profondeur de champ pour comprendre d’où viennent les différents discours politiques en milieu évangélique et comment ils se construisent.

    Fidèle à sa focalisation sur le Christ comme cœur de la démarche éthique chrétienne, Louis Schweitzer propose ensuite quelques lignes directrices en éthique sociale et politique à partir de l’exigence de l’amour : la valeur de la personne humaine, la justice et le droit, la solidarité humaine, la recherche de la paix et le respect de la création.

    « Il n’y a là, au fond, conclut-il, rien de plus que le développement pratique de l’amour du prochain, ou, du moins, une forme de ce développement. L’annonce explicite de l’Evangile en est une autre, de même que l’édification de communautés qui soient autant de lumières dans le monde » (p. 619).

Serge Carrel

Serge Carrel est au bénéfice d’une formation double: théologique et journalistique. Après dix ans de pastorat en France et en Suisse romande, il a travaillé huit ans comme journaliste aux émissions religieuses de la RTS. Aujourd’hui formateur d’adultes et journaliste en lien avec la Fédération romande d’Eglises évangéliques (FREE), il essaie de tirer le meilleur parti de ce double ancrage. Que ce soit dans le cadre du FREE COLLEGE, de lafree.ch, de Vivre ou de la fenêtre chrétienne de MaxTV.

Formation reçue

Master en théologie (UNIL, 1986)
Centre romand de formation des journalistes (RP, 1996)

3 réactions

  • Daniel Salzmann vendredi, 18 décembre 2015 11:20

    Merci Serge d'avoir pris le temps de lire ce livre profitable à bien des niveaux dans la vie des Eglises : groupes de maison, caté, jeunes, couples, aînés, culte, ....

    Comme le livre précédent, il est éclaircit les idées et nourrit la vie.

  • Marie-Claude Pellerin samedi, 19 décembre 2015 15:03

    "Un livre qui devrait rejoindre toutes les bibliothèques des chrétiens évangéliques..."
    dont j'ai lu le raccourci de Serge Carrel et qui m'a l'air, ma foi, fort intéressant !

    ... mais ? Que faire de ce pavé de 800 pages alors que le pasteur de mon église évangélique enjoint ses ouailles à (je cite) "Fermer tous nos livres pour ne lire que... la Bible. Et, de surcroît, la Bible à l'état brut !"

    That is the question !!!

  • Marie-Claude Pellerin mardi, 29 décembre 2015 11:15

    ... mais, peut-être, n'y a-t-il pas de réponse !?!?!?

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