Qu'est-ce qui a le plus changé dans la vie de nos Eglises depuis que vous êtes devenus pasteurs?
Marc Luthi – En 1978, j'ai commencé comme pasteur dans l'Eglise évangélique « L'Oasis », à Morges. Je n'ai pas reçu de consécration pastorale, mais j'ai été nommé « ancien parmi les anciens ».
Jean-Marc Houriet – Je suis arrivé à l'Eglise évangélique « Les Marronniers », à Rolle, deux ans plus tard, en 1980. A cette époque, j'étais encore étudiant en théologie. L'Eglise m'a offert le logement contre du temps de travail pastoral. J'ai été consacré avec mon épouse en tant que couple pastoral une année après la fin de mes études.
Je travaillais à mi-temps dans l'Eglise de Rolle et à mi-temps comme « frère à l'œuvre » dans les Assemblées « ex-darbystes » de l'époque. Ces quinze communautés étaient sorties du darbysme en 1962, lors de la « crise Chabloz ». Dans ces Eglises, même l'idée de nommer des anciens n'était pas acquise, puisque John Nelson Darby l'avait évacuée. Quant à l'idée de reconnaître des ministères pastoraux, elle est venue beaucoup plus tard.
Jörg Geiser – Lorsque j'ai commencé en 1995, comme pasteur à l'Eglise évangélique « La Pélisserie », à Genève, j'étais le premier pasteur. J'ai bien ressenti que le pasteur était « ancien parmi les anciens ». Depuis, les mentalités ont évolué. Mais certains membres de la communauté tiennent encore beaucoup à cette idée.
Jean-Jacques Meylan – Je n'ai pas connu cette question dans les Eglises où j'ai servi. Par contre, je l'ai découverte au travers de la littérature et dans le cadre du Groupe d'étude des Assemblées (GEA), la commission théologique de l'époque. Je n'ai donc pas vécu ce débat avec la même acuité.
Jean-Marc Houriet – Nous avons passé progressivement d'une situation où les Assemblées avaient une identité très familiale à des Eglises instituées, avec une meilleure reconnaissance des dons et des ministères... en particulier ceux d'anciens et de pasteurs. Mais il y a eu des exceptions à cette évolution lente. Par exemple, l'Eglise évangélique de Villard, à Lausanne, a été acquise au ministère pastoral 20 ans avant les autres Assemblées. Et elle a engagé un pasteur provenant des Eglises libres. L'Eglise évangélique de Meyrin était aussi en avance sur les autres, grâce au ministère d'Armand Heiniger et à l'influence de Jacques Blandenier.
Dans les Assemblées d'autrefois, on trouvait aussi l'idée que, pour être vécu réellement sous l'inspiration du Saint-Esprit, un culte devait être improvisé. Il a donc fallu mener un long combat pour faire admettre que la nomination d'un orateur à l'avance, dans un agenda, n'allait pas à l'encontre de l'écoute du Saint-Esprit. Mais ce fut une révolution!
L'avènement du pastorat et l'organisation de la vie ecclésiale ont donc constitué des changements marquants. En voyez-vous d'autres?
Marc Luthi – Lorsque j'ai repris un ministère pastoral, après plusieurs années passées comme professeur et directeur de l'Institut biblique Emmaüs, j'ai été frappé par l'évolution de la disponibilité des membres des Eglises. Dans les couples, les femmes travaillent de plus en plus à l'extérieur de la maison. Cela conduit les hommes à s'investir dans le ménage. Auparavant, lorsque l'homme rentrait du travail, il était disponible; il avait « fait sa part ». Maintenant, il doit participer aux tâches ménagères et s'occuper des enfants. A l'Eglise évangélique de Reconvilier, il m'a fallu m'adapter à ce changement des mentalités, qui a fait évoluer l'exercice du bénévolat.
Jean-Marc Houriet – Cette évolution fait écho à celle de la condition des femmes dans nos Eglises. La conception du ministère féminin a changé. On voit désormais des femmes prendre leur place dans les conseils, les présidences de culte ou de cène. Cela aurait été inimaginable il y a 40 ans. Mais c'est désormais devenu une réalité.
Jean-Jacques Meylan – A l'Eglise évangélique de Villard par exemple, la reconnaissance et l'estime conférées aux femmes a plutôt libéré des ressources. Je suis impressionné de voir le nombre de femmes inscrites au programme des prédications et des présidences de culte. Mais il serait abusif de parler d'une évolution uniforme dans toutes les Eglises de la FREE. Tout dépend des ressources et de la composition sociale de chaque communauté.
Jörg Geiser – A la Pélisserie, je constate aussi un individualisme plus grand: les gens sont moins disponibles parce qu'ils ont le souci de savoir ce qui les arrange, ce qui leur plaît, ce qui les épanouit... Avec cela, l'Eglise et le Seigneur passent parfois au second plan.
Marc Luthi – Nous sommes dans une société des loisirs. Quand j'étais à Morges, l'Eglise avait la première place. Cela ne veut pas dire qu'il n'y avait aucun engagement ailleurs. Mais l'idée s'est développée qu'un certain nombre d'activités sont absolument nécessaires: le sport, les loisirs, les cours de musique pour les enfants... J'ai effectivement l'impression qu'aujourd'hui, l'Eglise est devenue une option parmi d'autres. Mais il y a des aspects positifs à cela: les chrétiens s'insèrent dans des dynamiques sociales et ils sont « sel de la terre ». Nos Eglises sont socialement beaucoup plus présentes que par le passé.
Jean-Marc Houriet – Un professeur de théologie disait: « Nos Eglises se vident, réjouissons-nous! Elles deviennent enfin sel de la terre! »... en participant à la vie de la société. C'était une boutade! Mais il y a une évolution sociale. Il y a eu une époque où, pour des raisons culturelles, on devait aller au culte. La fin de cette obligation culturelle ouvre la porte à plus d’authenticité lorsque nous participons à la vie d'une Eglise.
Jörg Geiser – En 15 ans, nous avons quitté un lien un peu «tribal» à nos communautés – pas toujours très spirituel. Si nous évoluons vers une perception spirituelle plus profonde de notre lien à l'Eglise locale, ce sera une bonne chose. Mais si nous délaissons le système « clanique » pour mettre le « moi » au centre, nous n'aurons pas fait de progrès!
Jean-Marc Houriet – Il y a 40 ans, nos communautés étaient souvent dirigées par quelques familles. Il y avait des membres du conseil à vie. Ceux-ci ne libéraient la place qu'ils occupaient qu'à leur mort. Depuis, on a parlé de mandats, de pourcentages. Cela a permis de casser l'esprit clanique de certaines assemblées où des familles étaient au pouvoir quasiment de père en fils.
Et que dire de l'évolution pentecôtisante de nos Eglises?
Jean-Jacques Meylan – Cela a constitué un grand changement! Dans les années 60, le clivage entre tendance pentecôtiste et évangélique était très marqué. Le monde pentecôtiste – dont je suis issu – se considérait comme une élite spirituelle face à des chrétiens inachevés. Mais nos Eglises ont vécu la confrontation aux mouvements pentecôtiste et charismatique de manière plutôt paisible. Nous aurions pu connaître des ruptures sévères, mais Dieu nous a fait la grâce de nous accueillir mutuellement, à l'intérieur même de nos Eglises. En fait, beaucoup de polarisations sont plutôt liées à la forme culturelle de nos rencontres – le culte dominical en particulier – qu'à des questions de fond.
Jean-Marc Houriet – Je suis heureux d'avoir vu se développer une ouverture sans que cela provoque de grosses divisions entre charismatiques et non-charismatiques. En 40 ans, même au moment de la vague de Toronto durant laquelle nous avons vécu des tensions, nous n'avons pas connu de grosses divisions. Cette capacité à gérer des mouvements différents et à se respecter a porté du fruit. Cela nous a ouvert le chemin d'une franche collaboration avec les Eglises de réveil et les Eglises apostoliques. D'autres milieux ont par contre connu de graves divisions.
Jörg Geiser – A la Pélisserie, des personnes de milieux charismatiques sont venues chez nous. Elles avaient généralement connu des parcours difficiles dans leur milieu. Désormais, elles prennent une part très active à la vie de notre communauté: dans l'évangélisation, dans la prédication, etc. Ces personnes ont fait un tri entre différents aspects du « charismatisme ». Elles ont gardé ce qui leur semblait bon et délaissé le reste. Et nous avons pleinement respecté leur choix.
Marc Luthi – Lorsque j'étais à Morges – il y a déjà bien des années – nous avons connu un petit réveil accompagné d'une ouverture charismatique. Nous avons appris à gérer des nouveautés telles que les prophéties. Les responsables de l'Eglise ont décidé de refuser la division, mais d'apprendre les uns des autres. D'une manière plus générale, en Suisse romande, nous avons connu un climat favorable au dialogue. Ce fut une situation très différente de celle qui a prévalu en France où les clivages ont été très forts.
Jean-Jacques Meylan – Je n'oublierai jamais la magnifique expérience vécue avec les jeunes à Meyrin. Ceux-ci ont des copains dans toutes sortes d'Eglises de tendances très différentes. Ils ont voulu organiser une soirée autour de l'expérience de Toronto. Pour cela, ils ont demandé à Richard Fosserat de venir leur parler. Celui-ci a été d'accord, à condition que je sois de la partie. Nous avons vécu une soirée magnifique. L'harmonie y était parfaite. Les jeunes ont été rejoints dans leur recherche, sans que cela ne crée de fracture.
Dans nos Eglises, il y a une grande diversité à gérer...
Jean-Marc Houriet – Il faut aussi souligner que les quinze Assemblées ex-darbystes qui ont rejoint nos Eglises étaient pédobaptistes. La question du baptême a été réglée tout gentiment au cours des années. Dans nos Eglises, on trouve des chrétiens non baptisés par immersion. Mais ils sont reconnus au même titre que ceux qui le sont, y compris dans les conseils. Rappelons-nous que, dans l'histoire de l'Eglise, le baptême a été une grande cause de divisions.
Jörg Geiser – A la Pélisserie, certaines personnes ont été baptisées enfants. Nous ne leur avons pas demandé un baptême d'adulte, même si la confession de foi de notre Eglise est baptiste.
Jean-Marc Houriet – Il est quand-même miraculeux de voir cohabiter, dans une même fédération, les Eglise de Meyrin, de la Pélisserie et d'Oron.
Jörg Geiser – J'ai toujours défendu mordicus l'attachement de l'Eglise de la Pélisserie à notre fédération. Nous participons joyeusement et fraternellement aux régionales d'anciens.
Marc Luthi – Cette grande diversité est une caractéristique de la FREE. Mais elle se retrouve aussi à l'intérieur des communautés. Ainsi, il est nécessaire d'accorder l'identité des pasteurs avec celle des communautés dans lesquelles ils servent. A la Pélisserie, Jörg a rejoint l'Eglise là où celle-ci se trouvait, afin de lui permettre d'évoluer.
Que pensez-vous de l'unité à l'intérieur de nos communautés?
Jean-Jacques Meylan – J'ai regretté le manque de ministères et de dynamiques d'unité dans nos Eglises. Nous fonctionnons comme si une collaboration harmonieuse devait venir de manière naturelle et spontanée, simplement parce que nous sommes chrétiens. Mais ce n'est pas le cas: les différentes composantes de la communauté et les différents ministères doivent apprendre à bien collaborer. Dans ce but, nous avons besoin de formateurs capables de prendre un groupe, tel qu'il est, et de lui apprendre à travailler harmonieusement ensemble. Il ne doit pas s'agir de personnes qui ont de l'autorité au sein de nos Eglises, mais des personnes qui ont des compétences de coaching, d'analyse institutionnelle et de la clairvoyance. Soyons clairs: cela n'a rien à voir avec un débat sur le ministère d'apôtre dans nos Eglises.
Jean-Marc Houriet – Au cours de mon ministère, j'ai connu des situations où le conseil d'Eglise à mal fonctionné et perdu du temps, parce que nous ne savions pas qu'il existe des outils efficaces pour mieux travailler ensemble. Mais nous assistons heureusement à une prise de conscience dans ce domaine: à savoir que nous ne sommes pas automatiquement bien ensemble, par le seul fait que nous partageons la même foi. Ainsi, beaucoup de gens de nos Eglises se forment dans toutes sortes de séminaires psy. Ils sont conscients de l'importance de travailler au relationnel. Et notre fédération commence de répondre à ce besoin avec le ministère de Philippe Bottemanne.
Marc Luthi – J'ai vécu des expériences réjouissantes d'unité naissante: par exemple à Morges ou à Reconvilier. Dieu nous a fait la grâce de vivre quelque chose ensemble, et cela a demandé des soins.
Mais il est vrai que nous vivons des défis concernant l'unité dans nos Eglises: entre les différentes générations... entre les différentes cultures qui cohabitent. Cela dit, une communauté est comparable à une famille: les différentes générations sont nécessaires les unes aux autres. Ainsi, les Eglises de jeunes manquent de pères spirituels. Le simple fait que Dieu est Père et qu'il a un Fils montre que, dans nos Eglises, nous devons développer des relations de ce type-là.
Jörg Geiser – L'expérience de Marc montre qu'un pasteur exerce un ministère d'unité. Il est aussi possible de développer, au sein de la communauté, u-----------------21870239213865823271944116292 Content-Disposition: form-data; name="K2ExtraField_3"