Beau succès samedi 2 juin à Nyon pour la 8e édition de la journée de réflexion du Réseau des scientifiques évangéliques de Suisse romande. Avec un thème très actuel, qui suscite autant d’espoirs fous que de craintes de déshumanisation, il a rassemblé environ 70 participants.
Une matinée scientifique
La matinée était consacrée à des exposés donnés par deux chercheurs dans les domaines de l’intelligence artificielle et de la robotique, présentés avec un enthousiasme manifeste. Ces deux chercheurs sont engagés dans des Églises de Suisse romande (évangélique et réformée).
C’est le Dr Jean-Pascal Pfister, spécialiste en neurosciences et professeur à l’Université du Zurich et à l’École polytechnique fédérale de cette ville (EPFZ), qui ouvrait le bal. Il nous a invités à prendre du recul sur ce que sait et ne sait pas faire une « intelligence artificielle » (IA). Une IA qui reste « faible » en l’état du développement de la recherche – très performante dans certains domaines, limitée dans sa capacité de généralisation.
Un progrès significatif a cependant été réalisé en 2017, avec le programme AlphaGo Zero, capable d’apprendre seul à jouer à un jeu réputé extrêmement complexe, en jouant contre lui-même, uniquement à partir des règles et d’un algorithme d’auto-apprentissage. Cette faculté d’auto-apprentissage ouvre des perspectives fabuleuses, qui vont toucher de nombreux domaines de la vie courante et de l’économie. Mais elle va aussi poser des défis majeurs, notamment en ouvrant des outils rêvés aux régimes totalitaires. Faut-il avoir peur ? « J’ai moins peur des machines que des gens qui sont derrière », nous dit le conférencier
Le second intervenant, le Dr Auke Ijspeert, est titulaire d’un doctorat en IA et professeur à l’EPFL, où il dirige le Laboratoire de biorobotique. C’est aussi avec enthousiasme qu’il expose les avancées de la recherche, combinant mécanique, informatique et biologie. L’imitation des mécanismes biologiques de la locomotion (terrestre et aquatique) et de son évolution, de la salamandre à la bipédie, permet d’obtenir des résultats spectaculaires. Plus surprenant, cela permet en retour de mieux comprendre ces mécanismes biologiques, en ouvrant des pistes prometteuses dans les applications médicales, en particulier par rapport au handicap.
Pour le conférencier, c’est aussi une source d’émerveillement devant la création et les mécanismes de l’évolution. Ces mécanismes sont pour lui un outil utilisé par le Créateur, et les chercheurs les imitent d’ailleurs aussi pour travailler à l’optimisation des robots…
Regards sociologiques et théologiques l’après-midi
Changement de lunettes pour l’après-midi. L’apport de la sociologie, de la philosophie et de la théologie sont indispensables à la réflexion sur le sujet, alors que parfois, comme nous le rappellera le premier intervenant, « les ingénieurs ne perçoivent pas le problème ».
Frédéric de Coninck a enseigné la sociologie et dirigé des recherches dans une école d'ingénieurs en région parisienne. Membre d’une Église mennonite, il s’attache à construire un dialogue entre les sciences sociales et les enjeux de la foi. Il nous livre son regard de sociologue, marqué par une vision anabaptiste pour laquelle la théologie concerne très directement la manière dont on vit les uns avec les autres en société. Plusieurs questions se posent : les robots signent-ils la fin du travail humain, vont-ils prendre le pouvoir, sont-ils dangereux… ?
L’orateur nous invite à prendre un peu de recul. L’innovation technologique fait disparaître des emplois depuis toujours… et en crée d’autres. Sur ce plan, il ne voit pas de discontinuité majeure. Mais ce que les études montrent, c’est l’évolution des types d’emplois, avec la disparition progressive des emplois moyennement qualifiés, au profit des emplois très qualifiés d’une part, et très peu qualifiés d’autre part. Le risque est donc celui d’une société coupée en deux, avec des inégalités croissantes, qui font le lit du populisme. Par ailleurs, les rêves de démocratisation par l’accès généralisé aux moyens d’information sont plutôt contredits dans les faits par la centralisation croissante des lieux de décision. C’est au niveau de notre organisation de la vie collective, de nos choix de vie et des réglementations indispensables à mettre en place qu’il faut chercher les réponses.
Prendre au sérieux le transhumanisme
Le dernier intervenant, Fabrice Hadjadj, est né dans une famille juive. Athée dans sa jeunesse, il devient chrétien en 1998. Philosophe et théologien, il est depuis 2012 directeur de Philanthropos, un institut universitaire catholique d’étude de l’anthropologie chrétienne, partenaire de l’Université de Fribourg.
Fabrice Hadjaj invite à prendre au sérieux le phénomène du transhumanisme pour le critiquer à la lumière de l’histoire, de la philosophie et de la théologie. Selon lui, le critiquer à partir de critères éthiques est contre-productif. Au nom du bien, pourquoi pas une sélection des enfants à travers la fécondation in vitro, remplacer la famille par une équipe éducative plus performante, ou encore se fabriquer un corps augmenté ? Au nom du bien, mais au détriment de l’être. C’est donc le paradigme technocratique dans l’ensemble qu’il s’agit de critiquer. L’orateur brosse alors un portrait de l’évolution de la pensée et de la spiritualité qui débouche aujourd’hui sur le transhumanisme, en nous invitant à retrouver la vraie source de notre humanité. Celle-ci se trouve dans la vie ordinaire, dans l’acceptation de notre finitude et de notre fragilité, et dans une espérance en ce Dieu fait homme en Jésus Christ, qui rachète l’être humain. Il ne s’agit donc pas de diaboliser la technologie, ni de se replier sur un passé révolu, mais de la subordonner à l’humain.
La journée s’est conclue par une table ronde, permettant au public de soulever quelques questions complémentaires, aux orateurs d’apporter certaines précisions, et à tout un chacun de repartir enrichi par la qualité des exposés et stimulé par les questions ouvertes et les enjeux des temps actuels.
Silvain Dupertuis