Lettre à Lucie, responsable d’un groupe de jeunes, à propos du sens de la vie

Serge Carrel jeudi 20 septembre 2018

Le débat sur le sens de la vie traverse tous les âges. Ce questionnement est souvent le plus intense durant la période des études. Voici une lettre à une jeune chrétienne engagée dans l’une de nos Eglises. Elle devrait permettre à des jeunes, mais aussi à d’autres, de mieux entrevoir le débat entre agnostiques, athées et chrétiens.

 

     
  Jésus dit à Thomas : Moi, je suis le chemin,
la vérité et la vie (Jean 14.6).
 
     

 

Chère Lucie,

L’autre jour, tu as réagi très fort à ce texte biblique qui reprend une parole de Jésus où il affirme qu’il est le chemin, la vérité et la vie. Avec passablement de fougue, tu as suggéré que cet exclusivisme de Jésus renfermait des relents fanatiques, que Jésus laissait transparaître une certaine intolérance à l’endroit des autres manières de voir le monde, qu’il était audacieux de se profiler comme norme et dispensateur de la vie…

Tu es passé ces dernières années par toutes sortes d’états d’âme au gré de tes découvertes spirituelles, philosophiques ou théologiques. A ce point de ton existence, j’ai l’impression que ta foi en un Jésus vivant est comme emprisonnée dans une cage par les différentes perspectives que tu as croisées et que cette foi authentique peine à déployer tous ses effets dans ta vie.

J’aimerais te proposer d’ouvrir quelques pistes afin que tu puisses mieux percevoir ta situation et laisser à ta foi davantage d’espace pour qu’elle continue de transformer ton quotidien.

Les vérités scientifiques comme seul horizon

Lucie, dans le cadre de tes études au gymnase, tu as été confrontée à un professeur de sciences qui t’a fasciné par l’ampleur de ses connaissances. Au-delà de ses compétences scientifiques, il a affirmé qu’il n’y avait de vrai dans la vie que ce que la science pouvait prouver, que ce que la raison pouvait démontrer. Selon ce professeur, seules les vérités scientifiques sont vraies. Les autres affirmations sont au mieux de l’ordre de l’opinion, ou au pire de la légende. Elles ne méritent donc pas qu’on leur consacre du temps. Sans manifester d’hostilité à l’endroit de la foi, cet homme a affirmé que, vu que Dieu ne se manifestait pas dans le champ des expériences scientifiques, on ne pouvait rien en dire. Il a affiché ainsi son agnosticisme : « A propos de Dieu, on ne sait rien ; donc circulez : il n’y a rien à voir ! »

Il y a un point à propos duquel on peut souscrire à l’opinion de ton professeur, c’est que Dieu ne se donne pas à observer dans l’univers sensible comme une fourmi, un microbe ou une planète. Tu ne vas pas voir Dieu dans l’infiniment petit en étant derrière un microscope ultra-puissant, ou dans l’infiniment grand en te tenant derrière le plus puissant des télescopes. Les sciences donnent un compte rendu de la réalité, mais un compte rendu qui n’est pas complet.

Par ailleurs, à ce professeur très confiant dans la pertinence des vérités scientifiques, on peut aussi dire que le point de vue des sciences change. Au début du XXe siècle, les grands scientifiques du moment pensaient que l’univers avait toujours été là, qu’il n’avait ni début ni fin. Quelques années plus tard est apparu le modèle du Big Bang au travers d’un chanoine catholique, Georges Lemaître. Ce modèle concernant les origines de notre monde affirme que l’Univers a un début au travers d’une gigantesque explosion voilà quelque 14 milliards d’années. Les vérités scientifiques concernant les origines de l’Univers ont donc changé en l’espace de quelques années. Qui sait ce que seront les vérités scientifiques d’ici 20, 30, 50 ou 100 ans ? Certaines des convictions scientifiques fondamentales d’aujourd’hui seront certainement conservées, d’autres seront abandonnées.

C’est l’occasion de te mentionner la jolie image qu’utilise Alister MacGrath, un théologien britannique contemporain très compétent (1). Il aime dire que les scientifiques cherchent à s’installer sur un poste d’observation privilégié, sur une sorte de « balcon », pour voir le chemin sur lequel marchent les êtres humains, les pèlerins que nous sommes tous. C’est une illusion ! Ce que les scientifiques ne réalisent pas, c’est qu’ils sont autant que les autres, comme toi et moi, sur le chemin en train de se questionner sur le monde, sur le sens de la vie, sur la signification de notre existence. Se trouver sur le « balcon », c’est occuper la place réservée à Dieu !

Les humains et le monde, un accident non signifiant !

Durant tes années de gymnase, Lucie, il y a un autre professeur qui t’a marquée : ta professeure de philosophie. Cette jeune femme énergique a affirmé une fois : « Les êtres humains sont une présence accidentelle et non signifiante dans un univers tout autant accidentel et non signifiant ! » Cette phrase a tourné dans ta tête pendant des semaines. L’être humain, un accident ? Un accident non signifiant ! L’Univers, un phénomène accidentel autant que non signifiant… Toi qui es attachée aux grandes affirmations de la Bible : il y a un Dieu créateur, ce Dieu a un projet pour l’être humain, il s’est révélé en Jésus-Christ… Les affirmations de ta professeure t’ont surprise ; personnellement, j’ai l’impression qu’elles t’ont profondément troublée.

De plus, son athéisme militant qui a « passé à la moulinette » toutes les convictions qu’exprimaient ses étudiants, a aussi eu un grand impact sur tes convictions chrétiennes. Alors qu’une fois, tu t’étais permis de la questionner sur l’existence de Dieu, elle s’est lancée dans un plaidoyer vigoureux du genre : Dieu est une projection des êtres humains, une « objectivation » de leurs désirs les plus profonds, une chosification des souhaits de leur cœur. « Face au vide de l’existence, une grande partie des habitants de la planète ont besoin de se rassurer en se confectionnant un dieu à leur image », a-t-elle lancé.

Là où ta professeure de philosophie a raison, c’est dans le fait que ce n’est pas parce que le cœur humain a besoin de Dieu que Dieu existe vraiment. En écho à la célèbre formule d’Augustin d’Hippone (354-430) dans ses Confessions(2), ce n’est pas parce que « notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il se repose en Dieu »… que Dieu existe vraiment ! La « logique du désir » n’explique rien. En fait, tant Augustin que ta professeure partent d’une conviction non démontrable. Pour Augustin, Dieu existe et il est là pour être découvert et rencontré. Pour ta professeure, Dieu n’existe pas et certains compensent son absence en inventant un dieu qui vient combler leurs propres attentes ou désirs. 

En fait, face à la question de l’existence de Dieu, croyants et athées sont sur pied d’égalité. Ils ne peuvent nullement prouver par a plus b l’existence ou la non-existence de Dieu. Les deux font un pari… et leur existence bénéficie d’un tout autre éclairage, suivant le oui ou le non qu’ils donnent à l’existence de Dieu. Le théologien, Alister McGrath, ce professeur dont je t’ai parlé, était athée pendant une partie de sa jeunesse (3). Désireux d’expérimenter d’autres réponses aux grandes questions de la vie que celles que livre l’athéisme, il s’est tourné vers la foi chrétienne et a découvert qu’elle illuminait son quotidien et lui donnait sens de manière extraordinaire. C’est pour cela qu’après des études scientifiques, il s’est tourné vers la théologie. Ne serait-ce pas une piste à proposer à ta professeure de philosophie athée : se laisser éclairer par la lumière de l’Evangile ? L’espace d’un instant, le temps de voir comment son regard sur son quotidien pourrait en être changé…

Un « grand récit » qui donne sens

Comme tu l’as perçu, Lucie, il y a dans ces différentes approches un débat sur notre manière de connaître. Sur la route de notre pèlerinage humain, il y a bien entendu de la place pour les perspectives scientifiques. Et il importe que les chrétiens s’y investissent et y recourent pour toujours mieux connaître ce que le Seigneur a créé, et développer leur créativité. Le fait que notre intelligence ait la capacité de rendre la réalité de notre monde par le langage mathématique est une de ces indications, pour le chrétien, qu’il existe un Dieu créateur qui a donné cette intelligence à l’humanité.

Le tout de la connaissance ne s’épuise toutefois pas dans le discours scientifique. Il y a de la place pour d’autres manières de cerner la complexité de notre monde et de l’humanité. Nous avons besoin de donner sens à nos actions, et ce n’est pas la démarche scientifique qui va le faire. A côté d’une certaine objectivité scientifique, il y a de la place pour de la subjectivité. Et c’est sur ce terrain que la foi chrétienne intervient. Elle propose un « grand récit » ou une « grande fresque » qui donne sens à notre vie.

Cette grande fresque est construite sur une affirmation extraordinaire : le Dieu de l’Univers, qui voit tout depuis son balcon, a tissé des liens avec l’humanité au point de venir y habiter, au point de s’y incarner, comme l’affirme le cœur de la foi chrétienne. Jésus de Nazareth est venu marcher avec nous sur le chemin pour nous faire part de la vérité de la grande fresque, pour nous partager sa vie et nous donner la carte à utiliser pour la suite de notre voyage. L’incarnation de Dieu dans notre monde, ce n’est pas simplement le don de cette grande fresque du sens, mais c’est aussi le fait que Dieu marche avec nous sur le chemin de la vie.

« Tu comptes pour quelqu’un ! »

Cette « grande fresque » que propose la foi chrétienne nous permet de nous projeter en elle. Ce faisant, il s’agit d’expérimenter la capacité explicative et imaginative qu’elle renferme. Il s’agit aussi d’utiliser ce grand récit comme cadre à nos observations et à nos expériences. Dans un monde où de nombreuses personnes parlent de solitude, d’absence de sens à la vie, de désespoir ou d’absurdité de l’existence, découvrir que nous comptons pour quelqu’un, quels que soient notre histoire, nos mérites, notre intelligence ou nos comportements, cela change la face des choses. Prendre conscience que nous sommes aimés de Dieu change notre quotidien profondément. Beaucoup de jeunes ont l’impression de ne compter pour personne. Ils ont une estime d’eux-mêmes au « ras des pâquerettes » ! Prendre conscience que Dieu existe, qu’il nous aime, bouleverse et oriente notre vie différemment.

Dans un monde où la réalité du mal nous questionne et nous laisse parfois complètement démuni, le grand récit chrétien affirme que Dieu n’est pas à l’origine du mal, mais qu’il est avec nous sur la route pour nous soutenir dans nos peines et nos souffrances. Poser un tel regard sur les deuils que nous vivons ou sur les pertes que nous traversons nous permet d’être résilients, de survivre aux plus grandes tragédies, puis de nous reconstruire. Le Dieu de consolation (2 Corinthiens 1.3 et 4) nous accompagne. Sa mystérieuse présence ne nous laisse jamais seul. Jamais seul !

Dans un monde où la plupart des humains aspirent à un ailleurs, le sage de l’Ecclésiaste a dit : « Dieu a mis dans le cœur humain la pensée de l’éternité » (Ec 3.11). Dans un monde où nous ne nous sentons pas nécessairement pleinement à la maison, le grand récit chrétien apporte une espérance : celle de vivre un jour en présence de Dieu, dans une communion que nous ne connaissons pas actuellement, mais qui nous est promise par Jésus-Christ, le Sauveur. 

Emerveillement, humilité et générosité

Chère Lucie, affirmer que Jésus est le chemin, la vérité et la vie, ce n’est pas faire preuve d’arrogance, c’est donner au grand récit chrétien la plénitude de son sens. Toi qui te projettes dans la suite de ta vie avec entrain, garde ta capacité à t’émerveiller devant les beautés et les majestés de la Création, mais aussi devant l’extraordinaire beauté de ce Jésus qui montre le chemin. Le fait que tu te laisses éclairer par le grand récit chrétien ne doit pas – c’est vrai ! – te rendre arrogante. L’humilité de Jésus doit t’inspirer, lui qui a renoncé à la gloire céleste pour marcher sur nos routes afin de témoigner humblement de la vérité. Enfin, n’hésite pas à être généreuse par rapport aux convictions que tu as reçues. Les partager, c’est permettre à d’autres de se projeter dans ce grand récit et de donner sens à leur vie !

Serge Carrel

Notes
1 Voir le livre d’Alister McGrath, The Great Mystery. Science, God and the Human Quest for Meaning, Londres, Hodder & Stoughton, 2017, 248 p.
2 Augustin d’Hippone, Confessions, livre 1.3.
3 Voir son interview ici.
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