Olivier Cretegny, le 9 avril vous allez déposer officiellement la demande de reconnaissance d’intérêt public des évangéliques vaudois auprès du Conseil d’Etat. Dans quel état d’esprit êtes-vous peu avant cette échéance importante ?
Je suis très heureux d’arriver à cette échéance et d’avoir pu assumer ce dépôt de la Déclaration liminaire d’engagement qui met en route la reconnaissance d’intérêt public des évangéliques vaudois.
Ce parcours a été long. La nouvelle constitution vaudoise a été adoptée en 2003 par le peuple vaudois…
Oui, ça a été long. Il faut savoir qu’en 2007, la FEV a déposé une première demande… Le règlement d’application de la loi n’est sorti qu’en 2016, donc nous avons dû attendre ce règlement pour déposer un nouveau dossier.
Quel bilan tirez-vous de ce processus de mise en place de cette demande de reconnaissance ?
A titre personnel, j’ai été passionné par ce sujet. Cela m’a permis d’entrer en relation avec beaucoup de responsables d’Eglises évangéliques que je ne connaissais pas, de rencontrer des délégués de l’Etat et des politiciens, ainsi que les membres de la Plate-forme interreligieuse. Ces rencontres avec des personnes très différentes ont été extraordinaires.
Combien d’Eglises ont signé cette Déclaration liminaire d’engagement ?
Parmi les membres de la FEV, il y a 42 Eglises et postes sur un total de 53 qui ont signé la Déclaration liminaire. La porte n’est pas fermée. Nous allons étudier comment rester en relation avec les 11 membres qui n’ont pas signé De plus, la porte est toujours grande ouverte pour de nouvelles Eglises qui souhaiteraient se joindre à nous dans ce processus de reconnaissance d’intérêt public. Rappelons que seulement 40 pour cent des Eglises évangéliques vaudoises sont, à mon sens, membres de la FEV. Ce printemps, une nouvelle Eglise de la Riviera vaudoise est d’ailleurs devenue membre de notre fédération.
Concrètement, qu’attendez-vous de cette demande de reconnaissance ?
La première chose que nous attendons, c’est la reconnaissance officielle de pouvoir exercer un ministère d’aumônerie dans les hôpitaux et les prisons vaudoises. Nous nous réjouissons aussi de pouvoir participer aux débats publics sur les questions religieuses et d’être consultés sur les sujets nous concernant au plan communal ou cantonal.
Nous comptons aussi, grâce à cette reconnaissance, participer à la construction de la paix religieuse et à la mise en place de valeurs fondamentales dans ce canton.
La Déclaration liminaire d'engagement a été envoyée à la FEV par le Conseil d'Etat en novembre 2017. Cette Déclaration a suscité passablement de discussions, notamment à cause de l’ajout d’une clause de non-discrimination en fonction de l’orientation sexuelle. Pourquoi cette clause de non-discrimination à l’endroit des homosexuels notamment a-t-elle fait difficulté ?
C’est un sujet délicat pour les évangéliques, alors qu’il est régulièrement abordé dans les médias. La clause de non-discrimination en fonction de l’orientation sexuelle, qui se trouve par ailleurs dans la Constitution vaudoise, devrait amener les évangéliques à se positionner de manière plus claire sur cette question. Cette non-discrimination entraîne pour nos Eglises d’accueillir chaque personne, quelle que soit son orientation sexuelle. Les conditions à appliquer pour devenir membre figurent dans les statuts de chacune de nos associations d’Eglise. Or, l’orientation sexuelle n’en est pas une à ma connaissance. Donc une personne qui n’est pas hétérosexuelle peut tout à fait être accueillie et devenir membre d'une communauté évangélique.
Si on se réfère à la Bible, nous croyons que la sexualité se vit dans le cadre du mariage entre un homme et une femme. Ce qu’il est important d’avoir à l’esprit, c’est qu’il y a l’orientation sexuelle et la pratique. Il faut séparer les deux choses. Prenons l’exemple d’un homme ou d’une femme célibataire dans nos Eglises. Si cette personne pratique sa sexualité hétérosexuelle de manière active en dehors du mariage et que cela se sait, cela posera problème à cette Eglise. Il ne faut donc pas avoir deux poids deux mesures, mais être cohérent.
Quelles vont être les prochaines étapes de ce partenariat qui débute avec l’Etat ?
Une loi doit être mise en place pendant une période d’observation de 5 ans au maximum. La Commission consultative en matière religieuse (CCMR) va étudier notre dossier. Il y aura donc des échanges avec l’Etat pour aboutir – nous l’espérons – à ce projet de loi qui sera soumis au Grand Conseil et à référendum. Si nous n’arrivons pas à nous entendre, le projet n’aboutira pas.
Qu’est-ce que vous espérez pour les évangéliques vaudois dans leurs relations à l’Etat et à la société d’ici une dizaine d’années ?
Au vu de l’évolution des mentalités, il est important que nos Eglises puissent se profiler d’une manière plus précise pour continuer de pouvoir être sel et lumière dans notre société. Il est aussi important que nous puissions être plus visibles sur le plan politique, afin de participer au débat religieux de manière plus concrète. Nous savons aussi que des Eglises qui ne sont pas reconnues peuvent être marginalisées par le fait de n’avoir aucun contact clairement défini avec l’Etat.
Est-ce la peur d’être marginalisé qui vous a fait vous lancer dans ce processus de reconnaissance d’intérêt public ?
Non, ce n’est pas la peur, mais c’est l’histoire du développement des évangéliques en Suisse romande durant ces cinquante dernières années qui nous a poussés à cela. Nous avons vraiment le désir d’être un vis-à-vis pour les autorités, les médias et les autres partenaires religieux.
Il s’agit donc pour les évangéliques de participer davantage au débat public et au bien-être de notre société…
Oui. Je mentionnerai aussi que nous sommes toujours très contents de voir un conseiller national, des députés au Grand Conseil, des municipaux… être issus des milieux évangéliques. Notre demande de reconnaissance est un appui pour ces personnes engagées dans une action politique.
Propos recueillis par Serge Carrel