Ancien Testament et archéologie : le point avec Matthieu Richelle

mardi 29 janvier 2013

Il est le nouveau professeur d’Ancien Testament de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine. Il est aussi chargé de conférence en épigraphie nord-ouest sémitique à la Sorbonne. Matthieu Richelle vient de publier La Bible et l’archéologie. L’occasion de faire le point sur un sujet délicat.

Voilà 10 ans dans le monde francophone paraissait un ouvrage qui allait faire date dans la manière d’envisager l’Ancien Testament. En 2002, les éditions Bayard publiaient en traduction française La Bible dévoilée d’Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, deux archéologues, spécialistes du Moyen-Orient ancien. L’ouvrage connaît un succès extraordinaire dans le monde occidental. Le livre se vend aujourd’hui en poche et un documentaire a même été réalisé à partir des thèses défendues par ces deux archéologues : les données archéologiques que l’on attribuait jusqu’ici à l’époque des rois David et Salomon seraient plus récentes. Elles dateraient du IXe siècle avant Jésus-Christ plutôt que du Xe. Par ailleurs, les textes du Pentateuque, les 5 premiers livres de la Bible, et l’histoire des débuts d’Israël dateraient en grande partie du VIIe siècle. Il s’agirait d’une rédaction idéologique a posteriori, écrite par des proches du roi Josias pour légitimer sa royauté.

 
Aujourd’hui, la majorité des archéologues en désaccord avec Israël Finkelstein
« Jusqu’au début des années 2000, commente Matthieu Richelle, chargé de conférence en épigraphie (1) nord-ouest sémitique à la Sorbonne et nouveau professeur à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine (FLTE), on acceptait assez facilement parmi les archéologues et les biblistes que, globalement, l’archéologie corroborait la Bible. Depuis, l’idée qui prédomine est l’inverse : l’archéologie infirme ce que dit la Bible ! »
Dans un petit livre qui vient de paraître, La Bible et l’archéologie, Matthieu Richelle fait le point dix ans après les affirmations fracassantes d’Israël Finkelstein. « Aujourd’hui, la majorité des archéologues ne sont pas d’accord avec son hypothèse de datation qu’ils jugent très personnelle. Il ne s’agit nullement de dire que c’est absurde. Ce sont des propositions intéressantes, mais qui ne collent pas avec l’ensemble des données. » Contre la thèse que David et Salomon n’étaient que des petits chefs locaux, le nouveau professeur d’Ancien Testament de la FLTE renvoie aux découvertes faites par Eilat Mazar, une archéologue qui prétend avoir découvert le palais du roi David à Jérusalem. « Cette archéologue a souvent tendance à vouloir confirmer la Bible. Certains archéologues restent prudents par rapport à ses propos, mais d’autres pensent que ce qu’elle a découvert pourrait même être plus ancien que David. » Si ces hypothèses s’avéraient exactes, cela signifierait que Jérusalem, du temps de David, était une petite ville dotée d’une forteresse suffisamment imposante pour dominer sa région.
Pour Matthieu Richelle, d’autres indices suggèrent que Jérusalem était au Xe siècle une ville d’importance : l’industrie minière de Khirbet en-Nahas au sud de la mer Morte. « A travers les datations au carbone 14, on s’est rendu compte que ces mines de cuivre étaient exploitées à l’époque de David et de Salomon. A ce moment-là, qui pouvait contrôler ces mines ? Israël Finkelstein avance qu’il s’agit du petit royaume de Moab. Pour ma part et pour de nombreux archéologues, il s’agit du royaume centré à Jérusalem ! Il y a donc débat, mais, en tout cas, une telle industrie ne concorde pas avec l’idée qu’à l’époque, dans la région, il y avait des royaumes en retard technologiquement. »
Matthieu Richelle ne se prive pas non plus de souligner l’évolution de la réflexion d’Israël Finkelstein. Le célèbre archéologue israélien a changé en partie sa chronologie. Il a remonté sa « chronologie basse » et admis qu’il avait des difficultés avec ses datations à cause des mesures faites grâce au carbone 14.
 
Une classification pour dépassionner le débat
« Il faut dépassionner le débat autour des rapports entre la Bible et l’archéologie, et regarder les choses de manière réaliste », relève Matthieu Richelle. Pour ce faire, il a élaboré une classification des manières d’envisager les relations entre Bible et archéologie, qui permet de percevoir où les discours des uns et des autres se positionnent.
1. La première approche cherche à faire de « l’archéologie la servante de la Bible ». Cette manière de voir, assez prisée en milieu évangélique, on la trouve dans l’attitude d’un Werner Keller dans son livre publié en 1955 : La Bible arrachée aux sables. Ce journaliste scientifique cherche à prouver que tel ou tel élément de l’Ancien Testament peut être retrouvé dans des fouilles archéologiques. Prouver la véracité de la Bible est l’horizon de cette approche, qui ne permet pas de mener des investigations véritablement scientifiques.
2. Le XXe siècle a été marqué par ce que Matthieu Richelle appelle « l’archéologie biblique ». Cette approche considère que, quand des fouilles sont entreprises, les archéologues se servent de la Bible comme source d’indications. Un nom est attaché à cette démarche, celui de William Albright. « Le risque, relève Matthieu Richelle dans son livre La Bible et l’archéologie, est cependant que l’exégèse devienne une discipline ‘invasive’ pour l’archéologie, non sans conséquences néfastes. » A plusieurs reprises lors de fouilles, des archéologues qui pratiquaient une telle manière de faire ont été influencés par une interprétation inexacte du texte biblique. William Albright avait une vision assez figée du livre de Josué. Pour lui, les Israélites ont conquis la terre promise en brûlant un grand nombre de villes. C’était une guerre éclair. Au début, une telle interprétation s’est vérifiée sur le terrain, mais petit à petit les spécialistes se sont rendu compte que cela ne collait pas. Certains ont même conclu que la Bible se trompait. « En réalité, cet archéologue véhiculait une interprétation caricaturale du livre de Josué, explique Matthieu Richelle. Dans ce livre biblique, on ne trouve mention que de trois villes brûlées par les Israélites. »
3. Il est donc important de ménager une sphère propre à l’archéologie indépendamment de la Bible. Et c’est la troisième manière d’envisager les rapports entre Bible et archéologie : « l’approche syro-palestinienne ». Là, les fouilles doivent être menées de manière autonome. Ce n’est pas sans difficulté parce que les pierres sont muettes. Si en final, les archéologues ne recourent pas à la Bible, ils sont dans l’impossibilité de tenir un discours historique.
4. Le quatrième type de rapports considère l’archéologie comme seule et unique source historique. Pour les tenants de cette manière de faire, la Bible hébraïque est un écrit extrêmement tardif. Elle aurait été rédigée entre les IIIe et IIe siècles avant Jésus-Christ et l’essentiel de ce qu’elle raconte serait une fiction. Pour Matthieu Richelle, ne serait-ce que du point de vue de l’évolution de la langue, cette approche est irréaliste.
5. La cinquième attitude se retrouve notamment dans les propos d’Israël Finkelstein : l’archéologie est juge de l’historicité de la Bible. L’archéologie permettrait de dire ce qui est historique et ce qui ne l’est pas. « L’archéologie ne peut pas dire cela. Elle a des limites qui ne lui permettent pas d’être aussi arrogante ! »
 
Plaidoyer pour une approche médiane
Selon Matthieu Richelle, l’ensemble des archéologues bien formés adopte aujourd’hui une approche qui se situe entre « l’archéologie biblique » et « l’archéologie syro-palestinienne ». « Il faut essayer, ajoute-t-il, de mener des fouilles de manière autonome, sans avoir la Bible à la main. Il importe de considérer ce que l’on trouve de manière ouverte, puis, au moment de la synthèse historique, de tenir compte de ce que dit la Bible. Elle est une source historique importante et même indispensable pour reconstituer l’histoire de l’Israël ancien. »
Globalement aujourd’hui, on peut dire que l’archéologie apporte souvent des confirmations à ce que dit la Bible. « Mais la première chose à noter, ajoute le professeur de la FLTE, c’est que le chevauchement entre ce que trouvent les fouilles archéologiques et la Bible est assez restreint. Il y a beaucoup de choses dont parle la Bible et dont on n’a pas l’espoir de trouver des traces par l’archéologie. Il faut donc ajuster ses attentes et ne pas avoir une approche trop passionnée qui déboucherait systématiquement sur une issue positive ou négative, pour ou contre la véracité de la Bible. »
A ceux que la lecture de La Bible dévoilée aurait troublés, Matthieu Richelle affirme qu’ils l’ont été inutilement ! « Il y a des réponses à toutes les questions soulevées par Israël Finkelstein. Malheureusement dans son livre, il affirme de manière péremptoire certaines choses, sans relever qu’il y a d’autres points de vue possibles ! »
Serge Carrel
 
Matthieu Richelle, La Bible et l’archéologie, Vaux-sur-Seine/Charols, Edifac/Excelsis, 2011, 152 p. Prix : 20.-
 
Note
(1)  L’épigraphie est l’étude des inscriptions réalisées sur des matières imputrescibles telles que la pierre, l’argile ou le métal.
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