La prière humble et tranquille

Jacques Blandenier vendredi 12 septembre 2025

La prière est multiple. Après nous avoir accompagné sur le chemin de la prière qui nous engage, Jacques Blandenier nous conduit dans le « lieu secret » qui nous permet de vivre une prière « un à un » avec le Père.

Texte biblique

Mais toi, quand tu veux prier, va dans ta pièce la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le lieu secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

Dans vos prières, ne rabâchez pas des tas de paroles, à la manière des païens ; ils s’imaginent qu’à force de paroles Dieu les entendra. Ne les imitez pas, car votre Père sait ce qu’il vous faut, avant que vous le lui demandiez » (Matthieu 6.6-8).

 

Au détour d’une autre étude biblique, je proposais une façon d’envisager la prière comme un chemin qui conduit à l’action envers les autres, en particulier les plus pauvres. Je ne renie certainement pas ces réflexions centrées sur la parabole de Luc 11.5 à 8, où Jésus nous invite à persévérer dans la prière, une prière qui nous incite en même temps à nous engager en faveur d’autrui. « Seigneur, apprends-nous à prier » (v.1), et Jésus répond en enseignant le « Notre Père », puis enchaîne avec la parabole dont nous avons perçu la dynamique.

 

Pourtant il est nécessaire de nous arrêter sur un autre enseignement de Jésus à propos de la prière, qui paraît nettement contrasté. Il se trouve dans le Sermon sur la Montagne et nous invite à une confiance paisible, au calme et au recueillement. Sans doute aurait-il été plus logique que cet enseignement de Jésus en Matthieu 6 précède, plutôt qu’il ne suive, celui qui nous invite à l’audace et à l’action dans la prière selon Luc 11 ! D’autant plus que les paroles de Jésus que nous voulons écouter aujourd’hui précèdent immédiatement le Notre Père, selon Matthieu, alors que la parabole de Luc 11 s’inscrit juste après le « Notre Père ». Je me suis donc rendu coupable d’avoir mis la charrue devant les bœufs ! Un anachronisme que vous me pardonnerez, je l’espère.

Le premier constat qui saute aux yeux, c’est qu’il n’y a pas une unique bonne façon de prier : la richesse de la prière ne se laisse pas enfermer dans un schéma-type. Songez aux Psaumes : on y rencontre une infinie variété de prières – louange ou révolte, joie ou tristesse, angoisse ou confiance paisible.

En l’occurrence, Jésus dénonce à la fois la prière-spectacle des pharisiens, soucieux de leur standing religieux, et la prière anxieuse et bavarde des païens qui tentent de fléchir une divinité dont ils ignorent encore qu’il est un Père plein de compassion.

Mais, direz-vous, nous ne sommes ni pharisiens ni païens. Pas si sûr ! Quand Jésus vise les pharisiens (v. 5-6), la flèche ne passe pas très loin de nos oreilles. Et il paraît qu’il y a un païen qui sommeille en chacun de nous, y compris chez les chrétiens les plus sincères !

Un libre accès

Tout d’abord, Jésus nous invite à une prière intime, humble, confiante. Il nous autorise un face à face, ou plutôt un seul-à-seul, avec notre Père céleste. Une prière dont autrui ne sera pas au courant, qui ne donnera à personne l’occasion d’admirer notre piété – ou notre spiritualité, comme on dit aujourd’hui de façon très vague – et qui ne donnera même pas les apaisements et les encouragements dont nous pourrions bénéficier : « Et ton Père te le rendra ».

Le Père nous fait la grâce d’un cadeau presque incroyable : être là, disponible, attentif, tout près de nous (v. 6). Il me connaît par mon nom, me regarde et m’écoute comme si j’étais la seule personne importante de sa création ! Il est présent tout entier pour chacune et chacun de nous, nous permettant de le rencontrer sans cérémonie ni spectateurs, en vue d’une relation vivifiante et transformatrice. Il nous accueille tels que nous sommes, mais aussi tel qu’il veut nous façonner à l’image de son Fils : graciés et, sans cesse, appelés à une vie nouvelle.

Pour moi, pour toi, il s’agit d’un moment dépourvu de toute ambition de polir son image de bon évangélique, de toute inquiétude de ne pas être accueilli et écouté. Il s’agit d’une occasion de prendre conscience de qui je suis et de ce qu’il m’offre de devenir par la présence du Saint-Esprit dans mon être le plus intime.

Lorsque Jésus expira à Golgotha, le voile du Temple se déchira (Marc 15.37-38). Et le texte précise « du haut jusqu’en bas ». Ce n’est pas l’humain qui prétend pouvoir entrer par effraction dans la présence de Dieu, dans le Lieu très Saint, en vertu de je ne sais quel rite, onction ou sacrifice autre que celui de son Fils, mourant en endossant notre indignité. L’obstacle de mon péché est aboli, expié sur la Croix. « Seigneur Jésus, tu es ma justice et je suis ton péché. Tu prends ce qui est à moi et tu me donnes ce qui est à toi » (Martin Luther). Ce n’est pas une religion, c’est la Bonne Nouvelle d’une liberté unique, apaisante, incomparable face à toute pratique religieuse, même celles qui prétendraient se réclamer du christianisme. Lorsque Jésus nous invite à nous retirer dans un lieu à part, porte fermée, il nous donne rendez-vous en présence non d’un juge que nous devrions affronter, mais d’un Père « qui est là dans le lieu secret. »

C’est doux, c’est apaisant, c’est authentique, c’est nécessaire. Jésus lui-même, à de nombreuses reprises, a fait retraite, se retirant à l’écart de la foule et même de ses disciples, pour un rendez-vous dans le calme et le silence avec son Père (voyez Mt 14.13 ; Luc 5.16 ; Jn 6.15). Il en avait besoin, lui aussi, dans son incarnation !

Mais pas si facile !

Mais ce n’est pas un doux flottement dans les sphères célestes, une forme de nirvana chrétien ! Car ce n’est pas toujours sans larmes ni remises en question. C’est une nécessité parfois douloureuse, si nous acceptons le fait que notre Père veut nous construire intérieurement. Et ne nous leurrons pas ! Si cela peut paraître simple et naturel, est-ce une expérience que nous pouvons vivre aisément et en toute spontanéité ? Je confesse que je n’en suis pas vraiment là, même après 70 ans de vie de baptisé ! Il y a un « pas encore ».

Si l’apôtre Paul invite ses lecteurs à ne pas se laisser modeler par le monde actuel (Rm 12.2), c’est qu’il sait à qui il s’adresse : aux chrétiens de Rome en premier lieu, mais à tous leurs semblables, 2000 ans plus tard, y compris dans notre beau pays. Car nous vivons dans un monde du paraître, de l’avoir, de l’urgence, de la puissance, et personne n’y est imperméable. Société bruyante, pressée par toutes sortes de concurrences et de rivalités, de spectacles assourdissants : tout cela déteint sur nous, qu’on le veuille ou non. Nous sommes manipulables – sans même parler de ceux qui se prétendent « influenceurs ». Montrer des signes extérieurs de richesse, pour masquer une pauvreté intérieure ? Ayant perdu le sens de la spiritualité, nous risquons la superficialité et une liberté illusoire, car elle ne mène nulle part.

Le monde court et ne cesse d’accélérer sans savoir où il va. Ou pire, en le sachant : un monde où la personne humaine pourrait être au service de l’intelligence artificielle, où la relation interpersonnelle risque d’être de plus en plus absente. Certes, je ne méprise pas l’informatique et les immenses progrès qu’elle propose. Mais il en va comme pour l’argent : c’est un bon serviteur, mais un mauvais maître.

Est-ce que j’exagère ? Pas tant que ça, me semble-t-il. Et un plus grand que moi en a fait le constat il y a plusieurs siècles. Blaise Pascal (1623-1662) écrivait déjà : « Tout le malheur des hommes vient de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre ».

La prière « paganisante »

Ensuite (v.7-8) méfions-nous de la prière « paganisante » ! Car le fait de prier n’est pas spécifiquement chrétien ! Les païens s’efforcent, par toutes sortes d’efforts et de moyens répétitifs, d’obtenir ce qu’ils désirent de la part d’une divinité dont personne ne leur a fait découvrir la compassion et la bienveillance paternelle. Et les « divinités laïcisées » d’aujourd’hui n’ont pas d’oreilles, et encore moins de cœur, mais des algorithmes !

Il n’est pas rare que nos prières multiplient les paroles, à en devenir bavardes et répétitives, et même, et surtout, dans le contexte d’une « réunion de prières » où nous risquons de fatiguer nos frères et sœurs. Pourquoi tant de mots, de phrases qui ne sont guère preuve de confiance et de sérénité ? Pensons-nous que Dieu ait besoin de nos explications théologiques, ou alors de précisions avec moult détails sur ce que nous voulons obtenir de Lui. Car il nous connaît bien mieux que nous-mêmes. Il sait quels sont nos réels besoins « avant même que vous le lui demandiez » ? (v. 8)(1). Cette manière de prier « bavarde » est peut-être une réaction contre les prières lues, parfois sans implication personnelle, comme des formules répétitives, telles qu’on les pratique dans d’autres traditions chrétiennes. Le problème, c’est qu’on ne répare pas un défaut en abondant dans le défaut inverse ! Jésus nous invite plutôt à apprendre le silence et l’écoute confiante en sa compassion, porte fermée, tablette numérique éteinte(2)…

Après cet enseignement sur la prière individuelle, spontanée et cachée, Jésus enseigne une prière de la communauté tout entière, modèle de sobriété : elle va à l’essentiel, selon son échelle de valeur qui n’est pas forcément la nôtre (v.9-13) : le « Notre Père » – dans une version écourtée. Pourquoi est-elle si peu priée dans nos communautés évangéliques ? Nulle part, bien entendu, elle n’est envisagée comme la seule prière légitime, mais elle donne des priorités et nous conduit au cœur d’un essentiel qui, sous une forme ou une autre, doit inspirer nos prières. Nous sommes des disciples – des élèves – et, comme tels, nous avons besoin d’être guidés, tant que nous vivons sur cette terre. Cela aussi, Paul le sait, lorsqu’il écrit aux Romains et à nous : « l’Esprit vient nous aider dans notre faiblesse. En effet, nous ne savons pas prier comme il faut, mais l’Esprit lui-même intercède par des soupirs inexprimables » (Rm 8.36).

 

(1) J’ai appris il y a assez longtemps que le pasteur de la plus grande Église de Corée conseillait aux chrétiens qui avaient besoin d’une bicyclette de prier, en précisant quelle devait être la couleur de l’engin…

(2) À moins que ce soit pour y lire un texte biblique !

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