Que dire de l'horreur des camps de concentration qui ne l'a déjà été ? « Contre le mur d'en face, une douzaine de cadavres nus gisaient côte à côte sur le dos. Certains avaient les yeux ouverts et semblaient fixer le plafond. Je restai là, pétrifiée d'horreur. » C'est ce qu'a écrit Corrie ten Boom concernant son passage en enfer, où elle a connu la terreur, la faim, le froid, l'indignité, comme le deuil de sa soeur. Avec sa foi pour tout bagage, elle y a pourtant aussi découvert tout un champ de partage chrétien. Un champ qu'elle a par la suite étendu à la terre entière.
La foi chrétienne au coeur de la vie familiale
La famille ten Boom était membre de l'Eglise réformée néerlandaise. La foi chrétienne y était vécue au quotidien par la lecture de la Bible, de façon pratique et conséquente. A la tête d'une maisonnée toujours ouverte notamment à celles et ceux dans le besoin, Casper, le père de Corrie, n'a pas craint de dénoncer dans les années 30 les persécutions des juifs comme une injustice faite à des êtres humains et un affront à l'autorité divine. A sa suite, Corrie a plusieurs fois exprimé sa conviction que tous les êtres humains sont égaux devant Dieu. Par ses activités religieuses, la famille avait développé des contacts personnels avec des membres de la communauté juive. Le frère de Corrie, Willem, pasteur de l'Eglise réformée, gérait une maison de santé pour personnes âgées, où des gens de toutes religions étaient accueillis. A la fin des années 1930, cette maison devint un refuge pour les juifs fuyant l'Allemagne.
Après le début de la Seconde Guerre mondiale et sous l'occupation allemande, Corrie s'impliqua personnellement en faveur des juifs. Avec son père et sa soeur Betsie, célibataire comme elle et son aînée de 7 ans, elle décida d'en cacher dans leur maison familiale à Haarlem, aux Pays-Bas. Utilisant comme couverture son travail d'horlogère dans le magasin de son père, elle établit des contacts avec des membres de la résistance, qui l'aidèrent à se procurer des carnets de rationnement et à installer une cachette derrière les parois d'une chambre. Six personnes, des juifs et des membres de la résistance, s'y trouvaient lorsque la gestapo, la police secrète allemande, fit une descente fin février 1944. Elles ne furent pas découvertes.
Tous arrêtés par les nazis
Mais les nazis arrêtèrent les membres de la famille ten Boom. Et débuta pour Corrie une véritable descente aux enfers. Les moments les plus durs, elle les connut d'abord au fond d'une cellule en Hollande. Puis dans un premier camp de concentration construit par l'occupant pour les prisonniers politiques à Vught. Et enfin en Allemagne derrière quatre rangs de barbelés électrifiés, dans le camp de concentration réservé aux femmes de Ravensbrück, à 80 kilomètres au nord de Berlin. « A chaque entrée se tenaient des gardes, la mitraillette à la main. Chaque jour, des centaines de femmes mouraient et leur cadavre allait nourrir le feu des fours crématoires. » Au total, quelque 96'000 femmes y ont trouvé la mort.
Casper, véritable patriarche, était un homme pieux. Arrêté en même temps que Corrie et Betsie, il a récité les paroles du Psaume 91 en boucles pendant son emprisonnement et juste avant de mourir 10 jours plus tard : « Celui qui demeure sous l'abri du Très-Haut, repose à l'ombre du Tout-Puissant. Je dis à l'Eternel : Mon refuge et ma forteresse, mon Dieu en qui je me confie ! » Puis il a ajouté à l'adresse de ses gardiens : « Ne sommes nous pas une génération privilégiée ? Ce sera un honneur pour moi de donner ma vie pour le peuple juif. » Suite à son décès, les deux soeurs ont été transférées en juin 44 à Vught, puis à Ravensbrück en septembre. Betsie y est morte en décembre, usée par le travail et les mauvais traitements.
Des moments de culte à Ravensbrück
« Ta parole est une lampe à mes pieds et une lumière sur mon sentier... Tu es mon refuge et mon bouclier... J'espère en ta parole... » Ces versets, lus par son père à la table familiale, ont résonné dans l'esprit fatigué de Corrie à Ravensbrück, où avec sa soeur elle a initié des moments de culte avec une Bible qu'elles avaient réussi à sauvegarder. Les femmes du camp ont été toujours plus nombreuses à suivre avec avidité ces moments.
« A Ravensbrück, la vie s'est déroulée sur deux plans distincts, a plus tard témoigné Corrie. D'un côté il y avait la réalité tangible, la vie extérieure dont l'horreur croissait chaque jour. Et de l'autre, la vie cachée en Dieu, celle qui, vérité après vérité, victoire après victoire, progressait sans cesse ». Dans un dortoir pouilleux et nauséabond où les surveillants ne venaient pas par peur d'être infectés, des femmes rendues misérables y ont trouvé, « comme le prophète Esaïe, un abri contre le vent, un refuge contre la tempête, l'ombre d'un grand rocher dans une terre altérée »...
« Jésus peut changer la détresse en bénédiction »
Libérée suite à une erreur administrative quelques jours après le décès de sa soeur, Corrie ten Boom voyagea jusqu'à Berlin. Puis rejoignit la Hollande, où elle retrouva les survivants de sa famille. « Après la prison, c'est le monde entier qui est devenu ma salle de classe », dit-elle dans l'une de ses biographies. Pendant une trentaine d'années, elle a en effet continué à puiser dans la Bible comme une énergie nouvelle, sillonnant plus de 60 pays en répétant que « Jésus peut changer la détresse en bénédiction ». Elle l'avait expérimenté dans les camps : le Christ est celui qui amène la paix et l'amour. Et elle s'est appuyée sur les promesses de ces textes millénaires de la Bible pour en dégager que le pardon et la réconciliation entre ennemis sont féconds et libérateurs.
A plus de 80 ans, elle a pu dire qu'elle voyait que Dieu tissait son existence. Et qu'elle comprenait que les fils sombres de ses expériences les plus pénibles avaient en fin de compte été aussi utiles que les fils d'or ou d'argent. Convaincue que le Créateur a des projets pour chacun, elle a toujours exhorté les gens qu'elle rencontrait à les découvrir. Dans le film « The Hiding Place » (La Cachette), tiré du livre du même nom et qui fait référence à sa vie, on la voit en colère contre une gardienne qui brutalise sa soeur et incapable de prier ou de lire les Ecritures. Puis, avec la maladie de Betsie, elle prend le relais de sa soeur au milieu des prisonnières. Elle lit la Bible à voix haute, témoigne ; et incarne l'Evangile qui deviendra sa raison de vivre.
« Juste parmi les nations »
Reconnue par l'institution israélienne Yad Vashem comme « Juste parmi les nations » en 1967, Corrie s'est retirée aux Etat-Unis
à l'âge de 85 ans. Après quelques attaques cérébrales, dont elle est sortie infirme et aphasique, elle est décédée le 15 avril 1983, le jour même de son 91
e anniversaire.
« Corrie parlait toujours de mémoire et avait plusieurs ustensiles pour imager ce qu'elle disait », se souviennent des membres de sa famille. Par exemple, elle prenait un bête crayon et montrait qu'il tombait si on ne le tenait pas. Ainsi sommes-nous comme ce crayon, disait-elle : il faut la main de Dieu qui nous tienne fermement afin que nous puissions tenir debout... et être utile. Munie d'une lampe de poche, elle proclamait aussi que le chrétien devait être une lumière dans ce monde. Elle pressait le bouton, mais... rien ne se passait. Avec un peu de malice dans les yeux, elle ouvrait la lampe de poche pour en extirper une seule pile. Et un bout de tissu. Une étoffe qui symbolisait pour elle des sentiments comme la jalousie ou la rébellion... « J'ai une autre pile, disait-elle. Mais si vous n'enlevez pas le tissu, cela ne fonctionnera pas. » Une fois les deux piles mises en place, elle pressait à nouveau le bouton... toujours sans succès. Alors elle dégageait un dollar coincé entre les deux piles et le point de contact. Elle riait : « Il n'y a rien de mal avec ce dollar, il n'est juste pas à la bonne place. » Elle voulait dire que parfois, l'argent nous empêche de remplir notre fonction. Une fois le dollar enlevé, elle pressait le bouton de la lampe de poche qui s'allumait enfin. Et elle encourageait son auditoire : « Ne laissez rien ni personne s'immiscer entre vous et Dieu. »
Le pardon octroyé aux gardiens et aux traîtres
A l'issue d'une conférence, Corrie a pu serrer la main d'un des gardiens de Ravensbrück. Puis pardonner à celui qui les avait dénoncés en Hollande. L'amour de ses ennemis qu'elle a réussi à mettre en pratique par sa foi chrétienne est quelque chose d'essentiel et de très fort qu'elle a transmis. Dans l'un des derniers ouvrages écrits sur cette femme, ses propres paroles sont rapportées de la façon suivante : « Nous sommes des canaux de l'amour de Dieu, pas des réservoirs. C'est dans la mesure où nous vivons notre foi que nous sommes en mesure de pardonner. » A un journaliste télévisé qui mettait en avant sa puissante et grande foi, elle rétorqua du tac au tac ne pas en bénéficier du tout. Mais avoir par contre foi en un Dieu qui, lui, est puissant et fort.
Et sur sa tombe, ces seuls mots : « Jésus est victorieux – Corrie ten Boom, 1892-1983. »
Gabrielle Desarzens