InfoSekta : une certaine « éducation évangélique » épinglée

vendredi 03 mai 2013 icon-comments 1

Le centre de compétences sur les sectes InfoSekta publie une étude qui critique le recours aux châtiments corporels et les pressions psychiques recommandés par des ouvrages évangéliques en Suisse allemande. Mises au point.

Un tiers des quelque 800 à 900 demandes annuelles d'information qui sont adressées à InfoSekta concernent des milieux évangéliques, dont près de la moitié mentionnent des enfants ou des jeunes. Conjointement, l'association a été interpellée et amenée à se prononcer sur des ouvrages évangéliques en matière d'éducation à disposition dans des Eglises suisses alémaniques et dont le 80% prônent la violence physique. « Face à ce constat, nous n'avons pas voulu discriminer une minorité mais proposer une autre perspective aux membres de ces Eglises, notamment aux parents », indique Suzanne Schaaf, directrice de ce centre de compétences basé à Zurich.
Dans un rapport publié le 5 avril en collaboration avec la Fondation pour la protection de l'enfant, InfoSekta passe en revue différentes méthodes éducatives préconisées dans 21 ouvrages ou cours de référence*. Sur une cinquantaine de pages, elle se penche sur quatre « types idéaux » développés par des spécialistes, allant de l'attitude « ultradogmatique » à l'approche « ouverte », et en souligne les contradictions.

Violence psychique dans le collimateur
Suite à la diffusion de ce rapport, l'Alliance évangélique suisse allemande a réagi en relevant qu'elle avait pris position clairement en septembre dernier contre le recours à la violence physique dans l'éducation des enfants. L'association suisse des Eglises libres (VFG) et le Réseau évangélique suisse (RES) se distancient également du châtiment corporel, précise Suzanne Schaaf.
En matière de violence psychique en revanche, l'attitude de la VFG et du RES est selon elle moins claire : « Il existe un conflit entre le dogme évangélique, qui considère l'enfant comme un pécheur par nature, et le droit à un épanouissement libre et une autonomie de l'enfant, réclamés par la société. » Les cercles évangéliques doivent en discuter, estime-t-elle. « Plusieurs parents croyants sont soutenus dans une lecture de la Bible qui les pousse aux châtiments corporels, ou qui les contraint à amener leurs enfants à la foi : il y a aussi une forte pression à leur encontre. Or, une autre lecture de l'éducation, notamment à la lumière du Nouveau Testament, est possible, non ? »

Ouvrages américains
Membre de l'Eglise évangélique de Fribourg (FREE), la psychologue Elisabeth Ansen Zeder s'est plongée dans le rapport d'InfoSekta (voir encadré ci-dessous). En référence à son métier, elle souligne d'emblée que les besoins fondamentaux des enfants, découverts par des chercheurs du XXe siècle, ne sont pas en contradiction avec les propos de l'Evangile. « A l'image du Père de la parabole du fils prodigue, il nous faut redécouvrir une discipline basée sur la grâce et le pardon dans nos milieux évangéliques », souligne-t-elle néanmoins. Non sans ajouter que les chrétiens évangéliques se doivent d'être critiques concernant les ouvrages donnant des conseils sur l'éducation en provenance d'outre-Atlantique.
Les livres considérés comme hautement problématiques dans l'étude d'InfoSekta sont en effet signés notamment par des auteurs comme Tedd Tripp (Prendre soin du cœur de l'enfant), Anne-Marie et Gary Ezzo (L'éducation selon le plan de Dieu), Michael et Debi Pearl (Pas de plus grande joie) et par Lou Priolo (Enseigner au cœur des enfants), tous Américains.

Partialité du rapport
En ce qui concerne l'éducation pratiquée au sein des familles en général dans la société helvétique, l'étude par ailleurs ne dit rien. « Nous aurions pu élargir le champ, reconnaît Suzanne Schaaf, mais notre objectif n'était pas de faire une étude complète sur la violence en Suisse. » Pour Elisabeth Ansen Zeder, s'en dégage dès lors une partialité certaine : « Pour comprendre ce qui se passe dans un groupe cible, encore faudrait-il le comparer à un groupe témoin », déclare-t-elle.
Bien sûr, le but de l'étude est avant tout la protection de l'enfant : « Nous voulons éviter que les communautés religieuses proposent des ouvrages problématiques par ignorance », explique encore Suzanne Schaaf. Pour Elisabeth Ansen Zeder, si les situations de violence faite aux enfants ne peuvent se justifier, il conviendrait cependant de dénoncer également les conséquences des situations de négligences parentales auxquelles doivent faire face de plus en plus d'éducateurs et d'enseignants.
L'étude d'InfoSekta est financée par des fonds publics de la ville et du canton de Zurich, ainsi que par des dons privés.
Gabrielle Desarzens
* Sur les 21 livres ou cours examinés par les auteurs du rapport, aucun n'est disponible en français.
Infosekta, Erziehungsverständnisse in evangelikalen Erziehungsverständnisse in evangelikalen Erziehungsratgebern und -kursen, 2013.

  • Encadré 1:

    Un changement de mentalité général est préconisé
    Selon une étude demandée par le Conseil fédéral et livrée en 1992*, « le recours à la violence en famille n'est pas sans pouvoir prétendre à un certain statut de normalité ». La violence familiale est ainsi acceptée culturellement. Aussi, 60% des familles emploient la violence comme méthode éducative. Les petits enfants sont les plus touchés (19,6% de 0-2,5 ans sont frappés entre « rarement » et « très souvent », dont 2,44% avec des objets).
    En 2004, l'Université de Fribourg a publié les résultats d'une étude sur l'emploi des châtiments corporels en famille, étude commanditée par l'OFAS**. Selon cette recherche, les parents emploient moins souvent les châtiments corporels par rapport au début des années 1990, bien que l'acceptation culturelle soit toujours présente. Les jeunes enfants restent les plus touchés, et la désobéissance est la cause la plus fréquente de ces punitions.
    Ces deux documents laissent entrevoir qu'un réel problème existe et qu'un changement de mentalité et de comportement est souhaitable, bien au-delà des sphères purement « évangéliques », comme mises à l'index par InfoSekta.
    G.D.
    *Enfance maltraitée en Suisse, Rapport final présenté au chef du Département fédéral de l'Intérieur, Office central des imprimés et du matériel, Berne, 1992
    **Bestrafungsverhalten von Erziehungsberechtingen in der Schweiz : Eine vergleichende Analyse des Bestrafungsverhaltens von Erziehungsberechtingen 1990 und 2004, Universität Freiburg, Fribourg, 2004.

  • Encadré 2:

    L'expertise d'Elisabeth Ansen Zeder
    InfoSekta met en évidence qu'il existe un clivage au sein du monde évangélique. Son rapport distingue quatre tendances types d'éducation qui pourraient être mises en lien avec les styles éducatifs décrits dans la littérature psychologique. Celle-ci distingue les styles autoritaire, directif, permissif et négligent (Berk 2011, p. 374), tout en indiquant qu'un style autoritaire participatif est préférable pour l'apprentissage du respect mutuel et des règles et l'épanouissement de l'enfant (Hurrelmann, 2006, p. 161).

    Exégèse plus fine à faire
    Selon la Convention internationale des droits de l'enfant, celui-ci doit avoir droit au soin et à la sécurité. De plus il convient d'agir envers lui de manière respectueuse et de ne pas lui infliger de punition corporelle ou autre traitement humiliant. C'est ce qui peut poser problème dans la culture de milieux évangéliques qui appliquent une lecture littérale des textes bibliques, notamment du livre des Proverbes, où il est question de châtiment corporel. Or, le livre des Proverbes est attribué à Salomon ; et il ne faudrait pas oublier que son fils, Roboam, est devenu un dictateur tyrannique et oppressif, qui a échappé de peu à la mort par lapidation à cause de sa cruauté (2 Chroniques 10, 17-18). L'éducation prônée par son père a produit un résultat peu enviable. Faut-il alors prendre les conseils de Salomon au pied de la lettre ? Ne serait-il pas judicieux de faire une exégèse plus fine de ces textes, à la lumière de ce que prône le Christ dans les évangiles ? Ici, Jésus incite à la pitié, au pardon, à l'humilité et à la non-violence.

    Voir les enfants comme Jésus
    Jésus voyait les enfants comme étant proches de Dieu et a exhorté à l'amour, et non pas au châtiment. Il présente même les enfants comme des modèles à imiter (Matthieu 18,1). L'attitude de Jésus à l'égard des enfants est tout à fait nouvelle pour son époque. Dans l'évangile de Luc, Jésus s'assimile même à l'enfant : « Quiconque accueille ce petit enfant à cause de mon Nom, c'est moi qu'il accueille ! » (Luc 9,48). C'est dire que l'enfant, s'il est l'image de Jésus, lui-même image de Dieu, doit être respecté absolument. Propos confirmé par une autre parole : « Si quelqu'un doit scandaliser l'un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d'être englouti en pleine mer ! » (Matthieu 18,6). Autrement dit : le péché de celui qui scandalise un enfant mérite la mort.

    Revenir à l'amour
    Nous assistons à un curieux retournement de situation. Comment est-il possible qu'au nom du christianisme et de la Bible, nous puissions trouver au XXIe siècle des ouvrages d'éducation chrétienne qui donne des conseils sur la manière de frapper un enfant dès l'âge de 6 mois pour corriger ses mauvaises conduites ? Comment est-il possible que des enfants puissent mourir d'hypothermie et de malnutrition suite aux « corrections infligées » au nom d'une éducation chrétienne ? (Voir ci-dessous l'article du Courrier international)
    Il est urgent de revenir à la plus ancienne tradition chrétienne qui nous enseigne : « La crainte n'est pas dans l'amour, mais l'amour parfait exclut la crainte, parce que la crainte suppose un châtiment. Celui qui craint n'est pas parfait dans l'amour » (1 Jean, 4,18).
    Elisabeth Ansen Zeder, psychologue

    L. E. Berk, Entwicklungspsychologie, Munich, Pearson, 2011.
    Erik Eckholm, « Un livre qui tue », Courrier International (2011).
    K. Hurrelmann, Einführung in die Sozialisationstheorie, Weinheim, Beltz, 2006.

1 réaction

  • Raymond F mercredi, 08 mai 2013 15:55

    Dommage que la seule documentation disponible en français (un livre qui tue) date de deux ans et concerne une minorité américaine avec laquelle très peu d'entre nous pourront s'identifier. Si Infosekta prétend vouloir informer la Suisse, le moins qu'on puisse attendre est qu'elle analyse aussi la documentation et les pratiques de notre côté de la Sarine.

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