Un tiers des quelque 800 à 900 demandes annuelles d'information qui sont adressées à InfoSekta concernent des milieux évangéliques, dont près de la moitié mentionnent des enfants ou des jeunes. Conjointement, l'association a été interpellée et amenée à se prononcer sur des ouvrages évangéliques en matière d'éducation à disposition dans des Eglises suisses alémaniques et dont le 80% prônent la violence physique. « Face à ce constat, nous n'avons pas voulu discriminer une minorité mais proposer une autre perspective aux membres de ces Eglises, notamment aux parents », indique Suzanne Schaaf, directrice de ce centre de compétences basé à Zurich.
Dans un rapport publié le 5 avril en collaboration avec la Fondation pour la protection de l'enfant, InfoSekta passe en revue différentes méthodes éducatives préconisées dans 21 ouvrages ou cours de référence*. Sur une cinquantaine de pages, elle se penche sur quatre « types idéaux » développés par des spécialistes, allant de l'attitude « ultradogmatique » à l'approche « ouverte », et en souligne les contradictions.
Violence psychique dans le collimateur
Suite à la diffusion de ce rapport, l'Alliance évangélique suisse allemande a réagi en relevant qu'elle avait pris position clairement en septembre dernier contre le recours à la violence physique dans l'éducation des enfants. L'association suisse des Eglises libres (VFG) et le Réseau évangélique suisse (RES) se distancient également du châtiment corporel, précise Suzanne Schaaf.
En matière de violence psychique en revanche, l'attitude de la VFG et du RES est selon elle moins claire : « Il existe un conflit entre le dogme évangélique, qui considère l'enfant comme un pécheur par nature, et le droit à un épanouissement libre et une autonomie de l'enfant, réclamés par la société. » Les cercles évangéliques doivent en discuter, estime-t-elle. « Plusieurs parents croyants sont soutenus dans une lecture de la Bible qui les pousse aux châtiments corporels, ou qui les contraint à amener leurs enfants à la foi : il y a aussi une forte pression à leur encontre. Or, une autre lecture de l'éducation, notamment à la lumière du Nouveau Testament, est possible, non ? »
Ouvrages américains
Membre de l'Eglise évangélique de Fribourg (FREE), la psychologue Elisabeth Ansen Zeder s'est plongée dans le rapport d'InfoSekta (voir encadré ci-dessous). En référence à son métier, elle souligne d'emblée que les besoins fondamentaux des enfants, découverts par des chercheurs du XXe siècle, ne sont pas en contradiction avec les propos de l'Evangile. « A l'image du Père de la parabole du fils prodigue, il nous faut redécouvrir une discipline basée sur la grâce et le pardon dans nos milieux évangéliques », souligne-t-elle néanmoins. Non sans ajouter que les chrétiens évangéliques se doivent d'être critiques concernant les ouvrages donnant des conseils sur l'éducation en provenance d'outre-Atlantique.
Les livres considérés comme hautement problématiques dans l'étude d'InfoSekta sont en effet signés notamment par des auteurs comme Tedd Tripp (Prendre soin du cœur de l'enfant), Anne-Marie et Gary Ezzo (L'éducation selon le plan de Dieu), Michael et Debi Pearl (Pas de plus grande joie) et par Lou Priolo (Enseigner au cœur des enfants), tous Américains.
Partialité du rapport
En ce qui concerne l'éducation pratiquée au sein des familles en général dans la société helvétique, l'étude par ailleurs ne dit rien. « Nous aurions pu élargir le champ, reconnaît Suzanne Schaaf, mais notre objectif n'était pas de faire une étude complète sur la violence en Suisse. » Pour Elisabeth Ansen Zeder, s'en dégage dès lors une partialité certaine : « Pour comprendre ce qui se passe dans un groupe cible, encore faudrait-il le comparer à un groupe témoin », déclare-t-elle.
Bien sûr, le but de l'étude est avant tout la protection de l'enfant : « Nous voulons éviter que les communautés religieuses proposent des ouvrages problématiques par ignorance », explique encore Suzanne Schaaf. Pour Elisabeth Ansen Zeder, si les situations de violence faite aux enfants ne peuvent se justifier, il conviendrait cependant de dénoncer également les conséquences des situations de négligences parentales auxquelles doivent faire face de plus en plus d'éducateurs et d'enseignants.
L'étude d'InfoSekta est financée par des fonds publics de la ville et du canton de Zurich, ainsi que par des dons privés.
Gabrielle Desarzens
* Sur les 21 livres ou cours examinés par les auteurs du rapport, aucun n'est disponible en français.
Infosekta, Erziehungsverständnisse in evangelikalen Erziehungsverständnisse in evangelikalen Erziehungsratgebern und -kursen, 2013.