J’étais à ses côtés, témoin de ses souffrances, cherchant à lui apporter de l’amour et du réconfort. J’avais l'habitude de l'appeler régulièrement pour écouter sa voix, me rassurer à propos de son état de santé, lui parler de moi et de ses petits-enfants. Maintenant, il m’arrive de sentir une incroyable envie de l'appeler. Mais elle n’est plus ! Voilà déjà deux ans que j’ai perdu ma maman. Je sens fortement son absence et, parfois, j’oublie qu’elle n’est plus là.
C’était une semaine avant son décès. Je me tiens auprès d’elle. Je lui tiens la main et nos regards semblent être très bavards. Elle arrive à peine à murmurer une phrase que, jamais, je n’aurais voulu entendre : « Je vais m’en aller, je n’en peux plus ». Ses paroles sont difficiles à entendre, bien que je puisse m’efforcer de les comprendre. Depuis des années, son état de santé est précaire. Ses souffrances chroniques sont devenues insupportables. Tout cela m’apporte des arguments rationnels pour accepter ses paroles. C’est souvent le cadre clinique qui nous aide à comprendre et à accepter de tels désirs. Mais cela nous bouleverse malgré tout.
Se séparer d’une personne aimée est compliqué. Se séparer de sa propre mère est terriblement difficile à accepter. Nous sommes embarqués dans une trajectoire de vie, de la naissance à la mort, qui est parfois brutalement bousculée par les événements. Passer notre existence sans à-coups est quasiment impossible : nous sommes secoués par trop de souffrances.
Marqués par de multiples événements, notre existence est soigneusement enregistrée dans notre mémoire et dans celle de nos proches. En particulier, la naissance et le décès sont deux moments importants de notre existence. Ce sont des moments précis, enregistrés à la minute près dans les registres d’état civil, sur lesquels nous n’avons pas de prise. Nous n’avons pas le pouvoir de choisir les moments où ils surviennent. À notre naissance, nous n’avons pas encore les facultés qui nous permettraient d’agir et, à notre mort, nous venons de les perdre.
Le temps qui passe
Le temps s'enfuit sans que nous puissions le contrôler. Nous pouvons donner du sens à notre existence, essayer d’améliorer nos jours, augmenter la qualité de notre vie, mais nous sommes incapables de modifier les moments de notre naissance et de notre mort. Certains tentent d’avoir une influence sur leur décès en cherchant à avancer l’heure de leur départ. Le psalmiste nous rappelle : « Enseigne-nous à bien compter nos jours, afin que nous conduisions notre cœur avec sagesse » (Ps 90.12).
Le monde chrétien s'apprête à célébrer la fête de Pâques, commémoration de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, fin de sa vie terrestre. Durant sa vie, Jésus était très conscient du temps qui passait. Au début de son ministère public, il a participé à une fête de mariage. Et, lorsque le stock de vin s'est épuisé, sa mère lui a demandé d’intervenir. Jésus lui a répondu : « Mon heure n'est pas encore venue » (Jn 2.4). Par cette parole, il a montré qu’il avait une grande conscience de la fin de vie qui l’attendait. Souvent, il en a parlé à ses disciples, semblable à un malade en phase terminale.
Pourtant, Jésus n’a fait rien pour changer le moment de sa mort. L’évangéliste Jean relate : « Jésus parcourait la Galilée, il ne voulait pas parcourir la Judée, parce que les Juifs cherchaient à le tuer. [...] Ses frères lui dirent : ‘Pars d'ici et va-t'en en Judée, pour que tes disciples aussi voient les œuvres que tu fais’. [...] Jésus leur dit : ‘Mon temps n'est pas encore venu’ » (Jn 7.1-6). Non, Jésus ne voulait pas mourir avant son heure. Il a décidé de ne pas se rendre à la fête qui se tenait à Jérusalem.
En fait, il y est allé quand-même, afin d’accomplir sa mission. Il s’y est rendu en cachette, puis il s’est montré publiquement au Temple. Ses adversaires « cherchait à l'arrêter, mais personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue » (Jn 7.30). Quelques jours plus tard, pendant qu’il prêchait à nouveau au Temple, une nouvelle tentative de l’arrêter a échoué : « Personne ne vint l'arrêter, parce que son heure n'était pas encore venue » (Jn 8.20).
Brièveté de la vie
Jésus savait que sa vie sur terre était de très courte durée. Peut-être trouvez-vous bizarre d’associer sa vie à celle d’un malade en phase terminale. Pourtant, dans les deux cas, il existe une conscience de la durée limitée de la vie.
En prière dans le jardin de Gethsémané, Jésus avoue à son Père son désir que l’heure de sa mort soit carrément effacée : « Mon Père, si c'est possible, que cette coupe s'éloigne de moi ! Toutefois, non pas comme moi, je veux, mais comme toi tu veux » (Mt 26.39). Sa demande exprime toute son humanité, mais aussi toute sa disponibilité pour accepter sa fin annoncée. Et, après avoir prié, « il vient vers les disciples et leur dit : ‘L'heure s'est approchée ; le Fils de l'homme est livré aux pécheurs’ » (v. 45).
Jésus a tenté de remettre en question la date de sa mort, mais il a accepté et respecté les délais établis par son Père. Il a accepté l’heure de sa fin, car chaque seconde, chaque minute était à vivre jusqu’au bout. Et finalement, il a annoncé à ses disciples : « L'heure est venue où le Fils de l'homme doit être glorifié » (Jn 12.23).
La fête de Pâques approche. Jésus vit sa dernière semaine avant sa mort par crucifixion. Il rencontre ses disciples pour le repas de la Pâque. Il est conscient que son temps touche à sa fin. « Avant la fête de la Pâque, sachant que l'heure était venue pour lui de passer de ce monde au Père, Jésus, qui avait aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'au bout » (Jn 13.1). Plus tard, il prie son Père : « Père, l'heure est venue. Glorifie ton Fils, pour que le Fils te glorifie » (Jn 17.1).
Si on laissait Dieu s’en occuper...
Affaiblie par la maladie, ma mère arrivait à peine à chuchoter : « Je veux m’en aller ». Je lui ai répondu : « Maman, tu souffres depuis de longues années, et je ressens toute ta fatigue. Et chaque instant de ta vie nous appartient : c’est ta vie, mais aussi la nôtre, avec toi. Qu’en dis-tu maman ? Si on laissait Dieu s’occuper d'ajuster la date et l’heure de la durée de ta vie ? Faisons-lui confiance ».
Depuis, elle a passé ses derniers jours à demander à Dieu d’agir et de mettre fin à ses souffrances. Elle n’a rien fait pour abréger ses jours. Elle avait envie de partir. Elle avait besoin de ne plus souffrir. Elle a laissé Dieu s’en occuper. Ses dernières paroles : « Viens vite ».
Voici quelques pistes de réflexion qui, je l’espère, pourront vous encourager dans votre vie de tous les jours. Accepter la durée accordée à notre vie nous aide à donner sens à notre existence, à nos relations, à notre foi. Faire confiance à Jésus-Christ fait partie de l'espérance qui nous projette au-delà de la mort. Jésus nous dit : « C'est moi qui suis la résurrection et la vie. Celui qui met sa foi en moi, même s'il meurt, vivra ; et quiconque vit et met sa foi en moi ne mourra jamais » (Jn 11.25-26).