« Dans l’est de la République démocratique du Congo, il faut multiplier les Denis Mukwege ou les Fanny Ukety. Il faut multiplier les gens de bien qui ont envie de changer les choses ! » Bungishabaku Katho est une personnalité de la société civile de l’Ituri, cette province créée en 2015 avec pour capitale Bunia.
Pendant 14 ans, ce professeur d’Ancien Testament, spécialiste du prophète Jérémie, a dirigé l’Université Shalom à Bunia. Institut supérieur de théologie de Bunia (ISTB) en 2004 avec 62 étudiants, cette institution est aujourd’hui un lieu de formation universitaire qui compte plus de 900 étudiants, avec des facultés comme informatique et gestion, agronomie, administration ou développement. A la surprise de beaucoup, cet homme de 55 ans a souhaité passer la main pour permettre à la nouvelle génération de prendre sa place. Il vient de faire de même avec le poste de représentant légal et président communautaire des quelque 267 « Communautés Emmanuel » (Eglises soeurs de la FREE), membre de l’Eglise du Christ au Congo (ECC/39CE). L’homme ne s’accroche pas aux postes à responsabilité. Il souhaite simplement que le pouvoir change de mains.
Multiplier les gens de bien
« Imaginez 2000 Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, poursuit notre homme installé dans son bureau tapissé de livres en lien avec l’Ancien Testament. Imaginez 500 femmes comme Fanny Ukety, la directrice de l’institution de microcrédits CEMADEF… Voilà mon rêve ! En République démocratique du Congo, le changement ne peut commencer que comme cela : en forgeant des personnalités fortes à même d’agir avec justice et équité. Ce ne sera pas rapide. Il nous faut de la patience et de la persévérance. Le mal est tellement présent dans le système congolais qu’il pourrit tout de l’intérieur. »
En février dernier, l’évangélique Bungishabaku Katho s’est permis de dénoncer dans les médias locaux l’analyse de politiciens qui voyaient dans des troubles qui avaient vu affluer 30 à 40'000 personnes dans la ville de Bunia, le retour de conflits ethniques. « Je suis né ici. Je sais comment ces conflits commencent, explique-t-il. Souvent cela débute dans un village avec deux personnes de groupes ethniques différents qui se querellent. Leur groupe respectif les soutient et le conflit s’embrase. Mais cette fois-là, en décembre ou janvier dernier, ce n’était pas cela. Il y avait des tueries qui survenaient brusquement dans des villages et qui étaient fomentées par des acteurs extérieurs, et des masses de gens prenaient la fuite. »
Convoqué à l’Agence nationale de renseignements
Dans ce contexte extrêmement tendu, Bungishabaku Katho appelle à l’unité des Congolais et dénonce les propos de membres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui voient dans ces troubles une menace pour la tenue des élections, annoncées pour le 23 décembre prochain. Mal lui en prend. Il est invité à venir à l’Agence nationale de renseignements (ANR) de Bunia et passe 4 heures et demie dans leurs locaux afin de répondre aux questions posées.
« Dans le milieu évangélique, une telle attitude est un peu neuve, relève le spécialiste de l’Ancien Testament, j’ai été applaudi par une bonne partie de la population, notamment par les catholiques très mobilisés pour la justice dans notre pays. Mais certains de mes frères et sœurs dans la foi ont eu peur. L’enseignement que nous avons reçu, c’est : « Soyez en paix avec tous les hommes ! » Même si les gens meurent ou s’entretuent autour de vous, continuez à prier et soyez en paix… »
Un centre de retraite et de réflexion
Pour initier une nouvelle dynamique de changement, Bungishabaku Katho a lancé l’été dernier une démarche qu’il a appelée « Centre Jérémie pour la foi et la société ». En juillet, il a rassemblé une vingtaine de personnalités actives pour reconstruire la République démocratique du Congo, des gens issus de toutes les professions et de toutes les confessions chrétiennes, des catholiques, des anglicans et des évangéliques de toutes sortes. « Nous souhaitons créer un lieu de retraite et de réflexion où les gens qui se sentent mal actuellement dans notre pays et qui luttent pour que les choses changent puissent se retrouver, analyser la situation et développer ensemble une vision pour l’avenir. C’est bien de travailler chacun dans son coin, mais seul on se fatigue, seul on se décourage, seul on est parfois terrorisé… »
Le Centre Jérémie dispose déjà de locaux à Nyankunde, à une trentaine de kilomètres au sud de Bunia, le village dont est originaire Bungishabaku Katho. Signe fort : ce lieu de retraite et de réflexion s’est installé dans les locaux d’une école saccagée en 2002 lors de la guerre de l’Ituri. Des locaux qui ont commencé à être réhabilités !
Serge Carrel
En reportage à Bunia (RDC)