«Virage missionnel: mission de Dieu et mission de l’Eglise» (3) par Daniel Liechti

Daniel Liechti mardi 10 mars 2020

Une Eglise « missionnelle » sait que son public-cible se trouve à l’extérieur de la communauté. Et cela change radicalement sa manière de penser et d’agir (1).

A l’époque de la Chrétienté (2), les Eglises ont malheureusement pris l’habitude d’opérer une séparation entre les activités de l’Eglise « rassemblée » (3) – surtout centrées sur les besoins des chrétiens – et l’évangélisation. Ainsi, aujourd’hui encore, l’évangélisation est pratiquée à l’extérieur de la communauté, lors d’actions spéciales, ou grâce à des croyants qui témoignent de leur foi. En repoussant l’évangélisation à l’extérieur de leurs murs, les Eglises ont développé une présence au monde très peu « missionnelle ».

En missiologie, les non-chrétiens qui côtoient une communauté et ses membres sont qualifiés de « public-cible ». Le mot peut déranger parce qu’il fait penser à des techniques de marketing, mais il a l’avantage d’être clair. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : nous voulons cibler les non-chrétiens que Dieu place autour de nous au lieu de considérer les membres de l’Eglise comme public-cible. Et nous voulons cultiver cette attitude à la fois lorsque l’Eglise est « dispersée » et lorsqu’elle est « rassemblée » (3).

Tous les chrétiens sont témoins du Christ dans le monde, à l’exception de quelques-uns, les pasteurs, dont le ministère est tourné principalement vers l’Eglise. Il serait possible de libérer un grand potentiel d’évangélisation si les Eglises savaient concentrer leurs efforts sur leur public-cible.

Chaque activité tournée vers l’extérieur

Le meilleur service qu’un pasteur puisse rendre à sa communauté, c’est de l’accompagner dans son désir d’être missionnelle, c’est d’œuvrer afin que chaque activité de l’Eglise soit tournée vers l’extérieur, au service du quartier, de la ville ou de la région. La question n’est pas de savoir si le pasteur doit s’occuper plutôt de sa communauté ou plutôt du monde autour. La seule véritable question est de savoir comment le pasteur aide l’Eglise à être en état de marche, capable de servir le monde. Quant aux chrétiens engagés, ils doivent recevoir de leur communauté le soutien nécessaire à l’exercice de leur ministère dans le monde.

Les Eglises qui ne considèrent pas l’évangélisation comme un domaine spécifique de leurs activités développent un énorme potentiel. Comment font-elles ? Elles s’organisent afin que toutes leurs activités contribuent à l’évangélisation : le culte, l’étude biblique, le groupe de jeunes, la chorale, etc. Chaque secteur de la communauté est donc appelé à réfléchir à sa manière de partager l’Evangile avec les non-chrétiens des alentours. Ces derniers ont besoin de voir comment vivent et agissent les chrétiens, afin de juger de la crédibilité de l’Evangile et de s’y intéresser éventuellement. C’est cela, la post-chrétienté !

Ainsi, dans une Eglise missionnelle, la prédication ne doit plus être un simple lieu d’informations destinés à des auditeurs bienveillants, voire déjà convaincus. Pour être efficace, elle doit devenir un lieu d’enseignement, immédiatement suivi d’une mise en pratique par la communauté. Par exemple, au lieu de simplement parler de l’amour de Dieu, la communauté exerce cet amour vis-à-vis des amis à proximité. Il faut donner des mains et des pieds à l’annonce de l’Evangile, afin que les non-chrétiens comprennent.

Connaître son public-cible

Une Eglise missionnelle doit donc impérativement savoir quel est son public-cible, afin de pouvoir s’adresser à celui-ci en priorité. Cela ne signifie pas que les membres de l’Eglise qui ne font pas partie du public-cible soient écartés. Ils sont les bienvenus et n’ont en aucun cas une importance moindre dans la communauté. Mais, avoir un public-cible signifie que les questions de style, d’atmosphère, d’ambiance, d’esthétique et de contextualisation de l’enseignement sont déterminées de manière à rejoindre en priorité la sensibilité du public visé.

Si nous désirons que les chrétiens, lorsqu’ils sont en mode « dispersé », nouent des amitiés et puissent être des personnes de confiance pour des amis non chrétiens, si nous désirons qu’ils se sentent libres d’amener ensuite ces amis non-chrétiens à l’Eglise, il faut bien que la communauté ait changé de paradigme en s’adaptant à son public-cible.

Lorsqu’une Eglise n’a pas défini son public-cible, elle en a quand même un : il s’agit de la minorité la plus bruyante de la communauté qui dicte le style et les priorités. Lorsqu’une Eglise n’a pas défini son public-cible, une sorte d’inertie fait que ses membres deviennent petit-à-petit le centre et le but de la communauté.

Nous sommes habitués à croire que l’Eglise est faite pour les chrétiens. En fait, elle n’est faite pour les chrétiens que dans la mesure où ces derniers sont en mode « service et mission pour le monde ». Et, ainsi, l’Eglise et la foi des croyants grandit. J’accompagne des Eglises de plusieurs dénominations. Je rencontre des communautés dans lesquelles on réfléchit « bâtiment », « nomination des anciens », « nomination du pasteur », en croyant que nous sommes notre propre public-cible.

A partir du moment où nous comprenons que le public-cible de notre Eglise est à l’extérieur, cela change toute la réflexion à propos des réunions, de la nomination du pasteur, de la nomination du conseil pastoral, des finances, de l’emplacement du bâtiment, des besoins réels, etc. Je vois malheureusement des Eglises s’établir loin de la population et, finalement, s’en éloigner dangereusement parce que c’est plus confortable !

Le public-cible est constitué de deux cercles

Quel est le public-cible de votre Eglise ? Il s’agit d’abord des gens qui vous côtoient et vous voient vivre au quotidien. Il s’agit ensuite des gens qui vivent près des locaux de l’Eglise et qui voient vivre la communauté. Le public-cible comprend donc deux cercles : le premier, constitué des amis des chrétiens de l’Eglise, et le second, constitué des personnes proches du lieu de réunion de la communauté.

Le premier cercle est le plus important. C’est celui où le témoignage est le plus efficace. En effet, il est formé de vos amis non chrétiens qui vous voient vivre, aller à la boulangerie, chercher vos enfants à l’école, développer des relations et... aller à l’église. Ils comprennent ainsi que l’Eglise est un lieu fréquenté par des gens normaux, voire sympathiques et intéressants, et ils ne craignent pas de venir découvrir ce qui s’y passe.

L’idéal serait que les personnes non chrétiennes qui constituent le public-cible d’une Eglise puisse voir les chrétiens à la fois en mode « dispersé » et aussi en mode « rassemblé ». Lorsque ce n’est pas possible, ces personnes ne vous voient malheureusement jamais dans les deux situations. Soit elles vous connaissent comme ami, voisin, personne sympa ; soit elles voient un lieu de rassemblement avec des voitures autour. Mais elles ne font pas le lien entre ce voisin sympa et l’Eglise où il se rend de temps en temps.

Soyons créatifs et ingénieux ! Cherchons des moyens permettant aux non-chrétiens qui nous entourent de nous voir dans la vie de tous les jours et aussi lorsque nous nous rassemblons dans notre Eglise.

Concrètement, comment les responsables d’une communauté peuvent-ils aider les chrétiens à amener des amis non chrétiens au culte ? L’élément déclencheur est souvent une prédication et un culte adaptés aux deux publics, chrétien et non chrétien. Les pasteurs peuvent avoir une grande influence dans ce sens en transformant le culte, afin de parler également au public-cible de leur communauté. Ainsi, lors du culte, des chrétiens se diront par exemple : « Dommage que mon ami Jean n’ait pas entendu cela. Hier, j’ai bu une bière avec lui. Mais si seulement il était venu aujourd’hui au culte ! Cela lui aurait fait tellement de bien ».

La mission dépend de Dieu, pas de l’Eglise

Nous ne nous sentons pas écrasés par la tâche qui nous attend dans nos Eglises, parce que la mission ne dépend pas de l’Eglise, elle dépend de Dieu ! Et lorsque les disciples ont demandé à Jésus comment son œuvre allait se poursuivre, celui-ci leur a parlé de son remplaçant : le Saint-Esprit. Si l’évangélisation du monde dépendait de l’Eglise, nous pourrions dire : « Pauvre Eglise ! » Mais c’est le Saint-Esprit qui poursuit la mission. C’est pour cela qu’elle réussira !

Le Saint-Esprit désire agir avec nos mains et nos pieds, individuellement et en Eglise – qui est le principal canal choisi par Dieu pour accomplir sa mission dans le monde. Le théologien Karl Barth a dit : « Si l’Eglise n’a d’autre but que son propre service, elle porte déjà les stigmates de la mort. »

Nos contemporains ont besoin de rencontrer des chrétiens transformés par le Christ, pas seulement des chrétiens actifs dans des programmes d’Eglise. Les chrétiens actifs dans leur communauté, mais qui ne se laissent pas transformer par Dieu, empêchent en fait l’annonce de l’Evangile.

Les Eglises de Suisse romande proposent énormément d’activités. Ont-elles tellement grandi, sont-elles si puissantes que ces programmes d’activités soient indispensables ? La vitalité, c’est bien ! Mais les gens qui nous entourent n’attendent pas que nous soyons actifs dans une multitude de programmes. Ils attendent que nous ayons du temps pour les écouter et les rejoindre, des mains et des pieds pour servir comme Jésus est venu servir. Lorsque les chrétiens sont écrasés par la charge des programmes, ils n’ont plus d’énergie pour écouter et servir à l’image du Christ.

Se décentrer de nous-mêmes

Des Eglises me présentent leurs projets en lien avec les cultes, leur fréquence, la manière de les organiser, les groupes de maisons, la formation, le groupe de jeunes, les groupes de prière, la chorale, le groupe de gospel... Et elles ne se rendent pas compte qu’elles ne sont préoccupées que par elles-mêmes. Elles se trompent en se choisissant elles-mêmes comme public-cible.

Nous devons nous décentrer de nous-mêmes et réfléchir autrement. Comment nos réunions de prière et nos études bibliques peuvent-elles contribuer à l’avance du règne de Dieu ? Comment nos cultes peuvent-ils être adaptés culturellement afin de parler au public-cible ? La plupart des activités de l’Eglise devraient être destinées à la fois aux croyants et aux non-croyants.

Enfin, lorsque nous parlons du développement de l’Eglise, nous imaginons parfois que nous démarrons à partir de rien lorsque nous travaillons au développement de l’Eglise. Mais c’est faux, parce que c’est l’œuvre de Dieu qui est en mission ! La croissance n’est pas à construire, mais à accueillir de la part de Dieu !

Daniel Liechti

Notes
(1) Ce texte, intitulé « Mission de Dieu et mission de l’Eglise », est l’adaptation écrite d’une conférence donnée par Daniel Liechti lors d’une retraite de la pastorale de la FREE en 2018. Il fait suite aux articles « Virage missionnel : être chrétiens dans un monde qui ne l’est plus » (1) et à « Virage missionnel: l'Eglise une communauté missionnelle» (2). La transcription de ces conférences a été réalisée par Claude-Alain Baehler.
(2) La Chrétienté désigne une période historique du christianisme occidental durant laquelle l'Eglise a influencé et dominé la société, généralement en coordination avec les pouvoirs politiques.
(3) L’Eglise est « rassemblée » durant ses réunions (culte, étude biblique…) et elle est « dispersée » le reste de la semaine, lorsque les chrétiens vaquent à leurs occupations.
  • Encadré 1:

    Daniel Liechti en bref

    Daniel Liechti est professeur en évangélisation et implantation d’Eglises à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine, près de Paris. Il est également enseignant à l’Institut biblique de Genève, président de la commission d’implantation d’Eglises nouvelles du Conseil national des évangéliques de France, membre du Réseau de missiologie évangélique pour l’Europe francophone. Actuellement directeur du développement de l’Union d’Eglises Perspectives, il a été pasteur-implanteur en France.

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