« L'Eglise n'est Eglise que lorsqu'elle est là pour les autres » (Dietrich Bonhoeffer, 1906-1945). Lorsque nous désirons qu’une Eglise devienne plus pertinente dans notre société, plus « missionnelle », nous pensons à tort qu’il s’agit de faire plus : plus en matière de discipulat et de recrutement de nouveaux ministères, par exemple.
En fait, nous n’avons pas à faire plus, au risque de faire trop et de nous disperser, mais de revoir nos priorités. Nous choisissons de supprimer certaines activités, afin de favoriser ce qui augmente la croissance de l’Evangile, la pertinence de l’Eglise autour de nous, la multiplication des disciples et l’émergence de nouveaux ministères.
Les Eglises, au lieu de se concentrer presque exclusivement sur les besoins de leurs membres, doivent apprendre à mieux connaître ce qui se passe dans la société qui les entoure. Cela leur permet d’orienter leur action vers les besoins du monde, d’apprendre à parler à notre société, de favoriser la multiplication de disciples et de ministères et de grandir grâce à des conversions. Car, pour le moment, elles grandissent trop souvent grâce à des transferts de chrétiens venus d’autres Eglises ou de l’étranger.
Comment nos Eglises peuvent-elles devenir plus pertinentes ? Comment peuvent-elles être plus compréhensibles lorsqu’elles transmettent le message du Christ, l’espérance vivante et le Saint-Esprit ? Comment peuvent-elles expliquer que leur message peut transformer des vies et qu’il n’est pas réservé à des gens pieux, déjà convaincus ?
Nous devons donc rendre Dieu visible dans un monde qui a beaucoup changé, à la fois en tant que communautés « réunies » et « dispersées ». Une communauté est réunie lorsqu’elle se rassemble entre les quatre murs de sa chapelle, mais elle ne cesse pas d’être une Eglise lorsqu’elle est dispersée dans le monde, tout le reste de la semaine.
« Etre » plutôt que « faire »
« Où est Dieu ? », se demandent parfois des non-chrétiens ? Cela me rappelle Jacqueline, une voisine. Lorsque mon épouse et moi avons fait sa connaissance, nous l’avons entendue demander : « Où est Dieu ? » C’était un cri de révolte par lequel elle disait combien elle était déçue de sa vie. Elle aurait aimé rester en meilleure santé, et que son mari ne soit pas décédé... Si Dieu nous a placés près de Jacqueline, c’est parce que nous sommes l’image de Dieu pour elle.
Nous avons une autre amie, médecin. Elle nous a expliqué qu’elle n’est pas contre Dieu. Mais, en fait, elle n’a pas de case pour Dieu dans sa vie. Elle trouve que nous avons de la chance d’être chrétiens, mais que cela ne lui parle pas. Nous sommes image de Dieu pour Danielle.
Nous avons aussi fait la connaissance de Philippe, un professeur de français. Comme il savait que je connais beaucoup de choses sur la Bible, il a désiré parler de ce livre avec moi. Nous avons discuté et, quelques mois plus tard, il s’est converti. Je suis image de Dieu pour Philippe.
Si Dieu nous place à côté de ces personnes, c’est pour que nous soyons image de Dieu pour elles. Quant à l’Eglise, elle est le peuple par qui Dieu révèle sa grâce et sa grandeur aux humains. C’est ça l’évangélisation ! Car l’évangélisation événementielle « à l’ancienne » ne produit quasiment plus de fruits aujourd’hui. Distribuer de la littérature et communiquer l’Evangile de manière impersonnelle est devenu une perte de temps.
L’évangélisation, ce n’est pas « faire quelque chose », mais « être ». Notre monde révolté et curieux a besoin de rencontrer, en semaine, des chrétiens « dispersés » qui acceptent d’être images de Dieu, qui révèlent sa grâce et sa grandeur. Nous disions autrefois qu’il fallait « amener les personnes à Jésus ». Ce n’est pas faux. Cependant, globalement, l’annonce de l’Evangile ne consiste pas à amener des personnes à Jésus, mais à amener Jésus aux personnes. C’est à la fois plus simple et plus exigeant.
Incarner l’image de Dieu
Il est difficile d’incarner l’image de Dieu, parce que cela nous ramène à notre insuffisance, à notre péché, à notre dépendance de Dieu, à notre besoin d’être remplis du Saint-Esprit. Nos contemporains ont besoin de telles rencontres avec des chrétiens authentiques, pas de programmes d’Eglises énormes.
A l’origine, les êtres humains ont été créés à la ressemblance de Dieu afin d’être images de Dieu dans le monde. Les idoles peuvent être représentées avec de la pierre et du bois. Mais le Dieu vivant ne peut pas être représenté ainsi. Il est si grand, si vivant, que le seul moyen de le représenter dans la création, c’est l’être humain. Le dessein initial, c’était que l’homme et la femme représentent Dieu, et même qu’ils le représente en tant que communauté : la variété dans l’unité.
Ce projet a capoté à cause de la chute et du péché. Et, à partir du moment où l’humain n’est plus connecté à Dieu, il ne peut plus le représenter dans ce monde. Il a perdu une bonne partie de cette image, même s’il conserve une dignité spéciale dans la création, quelle que soit sa foi ou son absence de foi.
Normalement, Dieu est invisible et inaccessible aux pécheurs. Pourtant, il désire que toute la création le connaisse. Par son œuvre, Jésus a accepté le mandat de représenter Dieu : « Ce Fils, il est l'image du Dieu que nul ne voit, il est le Premier-né de toute création » (Col 1.15).
Et c’est ensuite l’Eglise qui, dans sa diversité, est amenée à être image de Dieu : « Et vous vous êtes revêtus de l'homme nouveau. Celui-ci se renouvelle pour être l'image de son Créateur afin de parvenir à la pleine connaissance » (Col 3.10-11). Une personne sauvée, réconciliée avec Dieu par Jésus-Christ, retrouve cette capacité à refléter Dieu – non pas seule, mais avec la communauté.
Connaissance de notre environnement
Notre société est compliquée, peu réceptive à l’Evangile. Elle est marquée par quatre grandes caractéristiques.
• Le sécularisme. Les gens pensent que Dieu ne fait pas partie de la vie normale. Ce qu’il peut dire en matière d’éthique, de science, de travail, de gestion de l’argent n’a pas d’intérêt. Il est une option, une bonne chose pour les personnes auxquelles la foi fait du bien. Il est enfermé dans les Eglises, mais il n’a rien à faire dans la sphère publique. L’islam, paradoxalement, remet le débat religieux dans la sphère publique : beaucoup de gens comprennent que la religion n’a pas disparu.
• Le post-christianisme. Les gens ne voient plus en quoi l’Eglise serait crédible. Depuis trente ans, un changement énorme s’est produit, et beaucoup d’Eglises ne l’ont pas vu venir. Si on lance le mot « Eglise » parmi les passants, dans la rue, je suis persuadé que le premier mot qui vient à l’Esprit est « pédophile ». On ne peut pas continuer de partager l’Evangile comme si rien ne s’était passé !
• Le postmodernisme. Les gens pensent qu’il n’existe pas qu’une seule vérité, mais une pluralité d’opinions qui se valent. Dire que « Jésus est le seul chemin » est insupportable dans une pensée postmoderne qui s’accommode de tout sauf des absolus. On peut dire que nos convictions sont importantes pour nous, mais pas qu’il s’agit de la vérité absolue.
• La post-vérité. Les gens pensent que l’important, ce n’est pas la vérité factuelle, mais le sentiment d’être dans le vrai. L’énorme quantité d’informations et d’options véhiculées pousse les gens à une sorte de consumérisme individualiste : « Je suis le juge le plus fiable pour définir ce qui est vrai. »
Nous vivons dans un monde pluraliste avec une compétition ouverte des idées. Les chrétiens doivent participer à ce débat avec la conviction que si les gens vivaient comme Jésus l’a enseigné, le monde serait bien meilleur.
Il ne sert à rien de nous lamenter à propos du sécularisme ou du post-christianisme. Nous vivons dans ce monde pour être images de Dieu et nous avons besoin de clés pour comprendre comment. Mais les Eglises font encore comme si pas grand-chose n’avait changé.
Des atouts simples à mettre en œuvre
Nous ne sommes plus en chrétienté, une société où, d’une manière générale, les gens croient en Dieu. Jésus semble être plus intéressant que d’autres. Les Eglises contiennent des experts du religieux. Cependant, les Eglises ne sont pas démunies. Face au sécularisme, elles disposent d’atouts simples à mettre en œuvre :
• Etre proches en faisant du bien, en écoutant, en participant aux expériences existentielles telles que la naissance, le deuil, la maladie ou le chômage. Les jeunes parents sont en recherche de valeurs ; ils se demandent que transmettre à leurs enfants.
• Développer un accueil dans des Eglises culturellement pertinentes, alors que les gens pensent que l’Eglise n’a rien à dire, et que ce qu’elle dit est illégitime.
• Offrir des espaces permettant de cheminer vers la foi. En effet, les personnes « en recherche » doivent pouvoir participer à la vie de l’Eglise. Elles deviendront chrétiennes lorsque cela correspondra à leur sentiment.
• Permettre d’expérimenter la foi. Les évangéliques savent déjà assez bien faire cela en donnant de la place aux sentiments. Ils savent faire du communautaire simple et chaleureux. Ils savent s’adapter à la culture ambiante.
Jésus ne nous a jamais demandé d’évangéliser, mais de faire des disciples. Il faut donc penser le discipulat comme un cheminement qui amène à une crise, à la conversion, puis à un processus de formation et de reproduction. Bien souvent, la conversion se fait au sein de la communauté et non plus en dehors de celle-ci.
Il y a cinquante ans, les membres d’Eglises avaient généralement passé par les expériences suivantes : (1) croire, (2) appartenir et (3) vivre. Ils se convertissaient, rejoignaient une Eglise, puis participaient à la vie de cette communauté. Aujourd’hui, l’ordre des expériences a changé ; il passe par : (1) appartenir, (2) vivre et (3) croire. Il y a cinquante ans, l’appel à la conversion faisait sens ; aujourd’hui, il reste sans réponse. Les gens ont besoin de savoir qu’ils sont accueillis tels qu’ils sont, d’expérimenter, d’étudier la Bible, de développer des contacts avec des chrétiens, puis de se rendre compte qu’ils ont besoin de Dieu..
Daniel Liechti