Elisa Keller, avec une grâce toute animale – regard de biche, lèvres rouges genre femelle babouin et coiffure façon casoar –, a annoncé très fièrement (Le Temps, 20.12.18) que nous devions prendre date de son procès qui a fait entrer l’antispécisme « dans le débat public ». Elle ne m’en voudra pas d’avoir relevé chez elle quelques ressemblances avec plusieurs animaux familiers puisque, en bonne antispéciste, elle les considère comme ses « frères et sœurs ». Simples airs de famille !
Tout cela serait parfaitement sympathique et divertissant sans le ton sentencieux d’Elisa qui nous dit avoir déclaré une guerre sans merci à notre société en faveur de la libération des animaux. Mais qu’est-ce qu’implique exactement son combat ?
Instaurer entre hommes et animaux une relation d’égalité
En écoutant attentivement le discours des antispécistes, on apprend qu’ils se considèrent investis de la mission de faire passer nos sociétés par un changement de paradigme radical. Il ne s’agit de rien moins qu’instaurer entre hommes et animaux une relation de parfaite égalité. Il faut cependant noter que ce débordement de bons sentiments pour la cause animale s’accompagne d’une haine viscérale envers ce qui, depuis des millénaires, a permis la naissance de cultures fondées sur la différenciation de l’homme et de la nature et, en particulier, de l’homme et des animaux.
Pour les antispécistes, cette distinction fondamentale homme-animal est absolument injuste, parce qu’elle place le genre humain au sommet d’une pyramide de domination dont les animaux font les frais. Cette vision judéo-chrétienne du monde est justement ce qu’il faut abolir pour, enfin, entrer dans le paradis de l’indifférenciation homme-animal.
Les animaux sont en effet des êtres sensibles comme nous, nous explique-t-on, sujets au stress et à la souffrance tout autant que nous. Cela en fait donc nos égaux et nous oblige à leur reconnaître des droits équivalents aux nôtres. Et c’est aujourd’hui l’évangile à proclamer afin qu’advienne demain un monde nouveau résultant d’avancées sans précédent de la conscience humano-animale.
Où est la sollicitude des animaux à notre endroit ?
Reste quand même que ce grand projet de révolution des consciences soulève quelques questions.
Si les animaux sont nos frères, pourquoi ne montrent-ils pas plus de sollicitude à notre égard ? Pourquoi, au lieu de nous transmettre certaines de leurs maladies, de nous piquer, de nous mordre ou de nous avaler tout cru, ne cherchent-ils pas plutôt notre bien ?
Car, c’est un fait que les animaux qui nous servent ne le font pas spontanément. Si l’homme ne les avait pas préservés des prédateurs et ne les avait pas domestiqués, ils n’auraient jamais pris la moindre initiative en notre faveur.
Par conséquent, avant d’accepter de les considérer comme mes égaux, j’attends de leur part la preuve qu’ils cherchent intentionnellement le bien de leurs « frères humains ». Sans signe clair de bienveillance et de philanthropie de leur part, je continuerai à boire leur lait, à manger leur chair, à m’habiller de leur laine ou de leur peau et à me réjouir de leur domestication.
A quand une vache sacrée en aide à un « intouchable » ?
En lançant leur croisade contre notre société « spéciste », Elisa Keller et tous les beaux penseurs qui l’inspirent et la soutiennent devraient faire une pause, le temps de réfléchir à un fait troublant : les pays où les vaches sont sacrées sont aussi ceux où on considère qu’une partie de la population est « intouchable ». Rien à voir avec le sujet ? Tout le contraire ! Elever l’animal à un rang qui ne lui revient pas, c’est abaisser l’homme au-dessous du sien, celui de gérant de toute la création, animaux compris !
Plutôt que de « donner leurs vies » pour libérer quelques cabris de l’abattoir où ils devaient mourir, nos passionnés de « justice animale » pourraient s’intéresser aux nombreux « intouchables » de nos sociétés qui – ils peuvent en être certains –, apprécieraient grandement leur considération et leurs actions libératrices.
Entre les vaches auxquelles on montre un respect religieux, et les hommes mourant dans la rue, oubliés de tous, Mère Theresa a choisi. Et elle a fait le bon choix, car il faudra attendre encore quelque temps avant qu’une vache sacrée daigne venir en aide à l’un de ses pauvres « frères humains » !
Christian Bibollet