Il y a quatre ans, lors de mes études de théologie, j’ai découvert la richesse de la liturgie anglicane. Jusqu’alors mes années étaient rythmées par la rentrée académique, les vendanges, Noël et les soldes qui s’en suivaient, les vacances de Pâques, l’Ascension et l’arrivée de l’été. Sans le réaliser, mes temps de congé donnaient le rythme à mon calendrier annuel. Je vivais dans l’attente de mes prochaines vacances, dans l’attente du moment où les contraintes de mon horaire fixe me laisseraient en paix, libre de mon temps et de mes mouvements. En me plongeant dans le calendrier liturgique anglican, j’ai réalisé que je pouvais vivre autrement, laissant les saisons liturgiques et les événements de la Bible former et capturer mon imagination tout au long de l’année.
Commencer avec l’attente du Messie
Dans le calendrier liturgique, le début de l’année commence avec le premier dimanche de l’Avent. Dès lors, l’année commence dans l’attente du Messie. L’attente, alors que la crèche se remplit de l’âne gris, du bœuf et des bergers, que les rois mages entament leur périple pour Bethléem. L’attente que cette mangeoire remplie de paille puisse contenir un nourrisson. Mais dans le calendrier liturgique, l’Avent est aussi symbole de l’attente du jugement dernier, lorsque Jésus-Christ reviendra sur cette terre pour nous juger. Dans le calendrier de l’Église, toute période de célébration est précédée par une saison de préparation, que ce soit Pâques avec le carême, l’Ascension avec les jours de Rogations, ou Noël avec l’Avent. C’est une manière de préparer nos cœurs, nos esprits et nos âmes aux réjouissances qui nous attendent.
L’Avent, c’est l’attente de la venue de notre Seigneur. C’est ce temps qui oscille entre l’excitation et un malaise ambiant. C’est embrasser la réalité du « déjà mais pas encore ». Attendre, c’est difficile. C’est ne pas trouver son contentement immédiatement. C’est ne pas être stimulé et gratifié à l’instant. Ni être libéré de toutes incertitudes ou questions. Notre société technologique souhaite tout savoir, être au contrôle à tout instant, dans notre communication, dans nos relations, dans nos actions. Attendre en ce temps de l’Avent va à l’encontre de notre culture. L’Avent nous invite à découvrir l’inconfort qui s’empare de nous lorsque nous constatons la souffrance de notre monde, ainsi que la violence et l’injustice omniprésentes. L’Avent nous invite à entrer dans cette instabilité politique qui nous entoure, dans la crise écologique ravageuse, ainsi que dans la solitude envahissante.
Trouver une réponse ailleurs que dans l’anesthésie ambiante
L’Avent nous invite à contempler les tréfonds de notre âme et de notre société, tout en ayant les yeux fixés sur Christ. Lui, le Fils de Dieu, est venu sur cette terre ; il s’est fait homme afin que nous puissions voir Dieu face à face, tout en ayant nos larmes essuyées, car la mort ne sera plus, ni le deuil, ni les cris, ni la douleur. Au lieu d’éviter d’affronter notre réalité, en nous assommant de séries télévisées, en trouvant notre réconfort dans la nourriture ou en prenant le contrôle des plus petits détails de notre vie, l’Avent est un espace collectif où nous pouvons trouver une réponse au mal-être de notre monde ailleurs que dans une anesthésie ambiante. Nous avons besoin de cet espace, de cette saison en tant que société, afin de faire le deuil du mal qui nous entoure, afin de regarder droit dans les yeux la souffrance et l’injustice qui nous dérobent notre dignité humaine. Regarder le mal droit dans les yeux, c’est se lamenter de l’état de notre monde et ouvrir son cœur à la détresse présente, tout en déposant ce fardeau au pied de la croix. C’est prier avec le psalmiste : « Du fond de la détresse je t’invoque, Eternel. Seigneur, écoute-moi ! Sois attentif à mes supplications ! » (Ps 130.1-2).
Un temps vécu dans l’espérance
Le temps de l’Avent se vit dans l’espérance. Tel l’espoir qui permet à Marie de répondre avec obéissance à l’ange : « Je suis la servante du Seigneur. Que ta parole s’accomplisse pour moi ! » L’espoir qui guida les rois mages jusqu’à l’étable où ils trouvèrent Emmanuel. L’espoir qui anima Siméon, alors qu’il attendait la venue du Messie au temple, à Jérusalem. Cet espoir ne vient pas de nous, mais se trouve au-delà de notre humanité. Cette espérance nous vient de Dieu, alors qu’avec sa main souveraine, il nous guide au travers de ces nuits hivernales obscures et hostiles vers la lumière, cette lumière des hommes qui brille dans les ténèbres et que ces mêmes ténèbres ne peuvent pas étouffer. La philosophe française Simone Weil a écrit dans l’un de ses carnets lorsqu’elle était à New York : « Attendre patiemment dans l’espérance est la fondation de la vie spirituelle. » Cette attente n’est pas passive. C’est un mouvement actif vers la lumière. Cela nous demande de regarder dans une seule direction avec des cœurs élevés au Seigneur (Lamentations 3.41). Cela nous demande d’étreindre une douleur presque cosmique, celle de voir nos désirs pervertis être réorientés vers Dieu, celle de voir notre monde brisé recevoir la guérison alors que le Royaume de Dieu est établi sur cette terre.
L’Avent n’est pas seulement une saison dans le calendrier de l’Église universelle. C’est un état d’esprit. C’est une pratique spirituelle qui nous forme tout au long de l’année. Tout comme nos vies sont une préparation à la venue de notre Sauveur et à la vie éternelle avec lui, l’Avent est un temps qui nous rappelle les raisons pour lesquelles nous nous trouvons sur cette terre. L’Avent, c’est un temps où nous faisons face avec honnêteté et courage à l’obscurité qui nous entoure, tout en gardant nos yeux fixés sur Jésus-Christ. Soyons encouragés, car quelle que soit la forme de notre attente, c’est Dieu lui-même qui y met fin en venant à nous !