« Mais qu’est-ce qu’il fait, votre bon Dieu ? Il se croise les bras ? Il ne se soucie pas de l’épidémie ? Ou alors c’est qu’il est indifférent à ses ravages et aux souffrances qu’elle entraîne... »
Cette mise en question ne me choque pas : opaque et sans réponse, l’épineux mystère du mal pose question aussi aux chrétiens. Tenez ! Justement lui, le Fils de Dieu, quand il parvient trop tard, semble-t-il, au tombeau de son ami Lazare... comment va-t-il réagir ? « Jésus pleura », rapporte l’Evangile. C’est ainsi que le décrit le plus petit verset de la Bible. Par deux mots seulement ! Par les larmes de Dieu qui tombent sur terre, d’un poids extraordinaire. Deux mots suffisent à faire connaître qu’en la personne humaine de Jésus, un Dieu si grand s’est fait si proche. Proche de nos tristesses et de nos deuils, attentif aux malheurs du monde. De son monde, à lui... Ne passons pas plus loin sans avoir réfléchi à cette affirmation invraisemblable, inouïe, folle aux yeux de toutes les sagesses du monde !
Des lamentations pourtant...
Ils sont nombreux les récits des interventions divines à être rappelées dans la Bible : actes de puissance, guérisons miraculeuses et même résurrections. Une large place est pourtant aussi accordée à la tradition des « lamentations ». Plaintives, bien de ces prières empruntent un chemin qui ne conduit pas à une délivrance, pourtant tellement attendue. Ainsi le Psaume 88, unique parce qu’il ne laisse percer aucune lueur d’espoir. Il commence dans la misère et se termine dans les ténèbres : « Je suis comme un homme qui n’a plus de force. Tu éloignes de moi tous mes amis. Je suis enfermé et je ne puis sortir. L’obscurité seule me tient compagnie. » Amer constat, saisissante expression d’un tragique confinement...
Les lamentations, c'est ce qui arrive quand on demande pourquoi et que l’on n'obtient aucune réponse. Du moins pas immédiatement. Ainsi au jour le plus sombre de l’Histoire, un terrible « pourquoi » est hurlé à la face du ciel fermé. Un cri violent, jailli des lèvres d’un crucifié. Ecartelé sur deux poutres de bois, détruit par une inimaginable souffrance, c’est bien Jésus qui se ressent à cette heure comme abandonné par son Père céleste... 2000 ans plus tard, nous sondons ce mystère infini de la justice et de l’amour de Dieu. Humbles et reconnaissants, sans prétendre en avoir reçu toute la compréhension...
Au bout de nos peines...
Nous n’y sommes pas encore parvenus. Pour nous en écarter quelque peu, essayons de comprendre plus largement la souffrance du monde. Elle commence à nos portes. Ainsi à Lausanne, l’association de la Maraude a récemment rencontré des difficultés avec la police pour pousuivre son aide aux SDF. « Restez chez vous ! » proclame le refrain officiel.
Mais quand ils n’en ont point de domicile fixe, comment pourraient-ils s’y confiner ? A quelques heures d’avion de Cointrin, qu'en est-il dans un camp de réfugiés surpeuplé d’une île grecque ? Et dans la bande de Gaza : elle compte 5000 habitants au km2 ! En Equateur, on a fermé la porte des établissements de soins aux malades qui s’y présentent, les morts tombent devant les hôpitaux. A la porte de certaines de maisons de pauvres, on apprend que personne ne se présente plus pour emporter les défunts de la famille. On les entasse à même la rue. Dans la puanteur, le quartier attend un éventuel service de la voirie. Quant aux enfants, on n’en parle guère... Dites, comment traversent-ils ce cauchemar, ces petits de femmes et d’hommes comme nous ? Quelles traces indélébiles resteront-elles incrustées à jamais dans leur mémoire et leur psychisme traumatisé ?
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Au bout des peines, des luttes et des pleurs, la foi la plus simple, fondée sur Dieu et sur ses promesses, permet d’expérimenter sa présence. Elle est réelle, sensible à qui s’adresse à lui. Dans les rires comme dans les larmes. Jusqu’au bout.
Paul Dubuis