Quelles étaient vos motivations, en 2003, lorsque vous avez écrit sur l’écoute de Dieu avec ce livre Entendre la voix de Jésus ?
Le contexte de 2003 est toujours le même, selon moi ! Je pense que ce dont nous avons urgemment besoin en ce moment, c’est de considérer le discernement comme faisant partie du processus d’écoute de Dieu. Et si j’ai pu contribuer à cette intégration, j’en suis très reconnaissant. Souvent, nous voulons une compréhension complète et riche de l’Esprit, mais nous ne discernons point. Dans ma dénomination, nous voulons donner de l’importance à l’œuvre du Saint-Esprit, mais nous avons de la peine à distinguer ce qui vient de Dieu de ce qui n’est pas de lui. On a tendance à dire, et là je pèse mes mots : « Si ça sonne bien et que je me sens bien, ça doit être juste. Si ça nous fait nous sentir bien, ça doit venir de Dieu. »
Quand vous parlez d’un manque de discernement dans l’Eglise, quelles sont les racines de ce problème selon vous ?
Nous n’arrivons pas à intégrer la réflexion et la vie de l’Esprit. Nous échouons lorsqu’il s’agit d’intégrer notre vie intellectuelle à notre vie émotionnelle. Pour voir des vies transformées, il nous faut intégrer ces deux aspects. Ma propre dénomination est dans l’erreur en donnant trop d’importance à ce qui est émotionnel, alors que d’autres dénominations sont dans l’erreur en se concentrant sur ce qui est intellectuel. Ces deux options sont perdantes, aussi longtemps qu’elles n’arrivent pas à intégrer la tête et le cœur.
A la lumière de ce problème, quel est le message de votre livre Entendre la voix de Jésus ?
Mon espoir est que ce livre montre combien l’œuvre du Saint-Esprit illumine la réflexion. Nous ne sommes pas assez attentifs à la façon dont l’Esprit cultive la vie intellectuelle. Nous ne donnons pas assez d’importance à la façon dont la compréhension est alimentée par une dépendance radicale du Saint-Esprit. Si vous décidez de faire des études, pourquoi ne pas concevoir cela comme un acte de dépendance radicale à l’endroit du Saint-Esprit ? Pourquoi ne disons-nous pas : « Guide-moi, Esprit de Dieu » ? On a cette tendance à polariser la tête et le cœur ! On suppose que l’Esprit n’est concerné que lorsqu’il s’agit de ce qui nous arrive émotionnellement. C’est une polarisation erronée ! Quand on lit le chapitre 16 de l’évangile de Jean, on découvre que l’Esprit nous conduit dans la compréhension, que l’Esprit nous conduit dans la vérité ! Quand je prêche, je commence toujours ma prédication avec les mots : « Esprit de Dieu, illumine nos esprits, touche nos cœurs, fortifie notre volonté ! » Nous nous devons d’avoir une dépendance profonde, radicale et complète à l’endroit de l’Esprit.
L’écoute de Dieu, telle que vous la développez dans votre livre Entendre la voix de Jésus, est le fruit de la maturité du chrétien. Comment êtes-vous arrivé à cette conclusion ?
Un autre aspect qui cause beaucoup de problèmes dans ma propre tradition, c’est que nous assumons que l’Esprit Saint travaille rapidement. Et donc, si je veux voir des transformations dans ma vie, je vais recevoir le don de l’Esprit et je vais devenir une nouvelle personne, aujourd’hui ! Je vais être transformé radicalement. Si je suis dépendant de la drogue, de l’alcool ou de quelque chose d’autre, je vais dire : « Esprit de Dieu, viens ! » Et là, de suite, je suis libéré ! Je connais la vie victorieuse. Dans mon livre, je mets en avant le fait que c’est faux. Non ! Le travail en profondeur de l’Esprit prend forme lentement, graduellement et de façon progressive. Le Saint-Esprit travaille au travers de « pratiques habituelles ». J’entends par là les pratiques, les disciplines, que nous faisons constamment. L’impact du Saint-Esprit n’est pas immédiat, mais sur une longue durée, alors qu’il travaille au travers des pratiques répétées que nous adoptons.
Quels sont les risques, selon vous, de concevoir la transformation comme un fruit immédiat de l’Esprit ?
Dans un milieu comme le mien qui est « ravagé » par cette compréhension d’une transformation immédiate de l’individu par le Saint Esprit, on ne prend pas soin des transformations qui se déroulent lentement et profondément. On néglige combien la souffrance appartient à la vie de tout chrétien. On présuppose que si on vit selon l’Esprit, on est guéri, on ne souffre pas, on a un travail, on vit une vie heureuse, aisée et on est en bonne santé ! Et ça me fait de la peine, parce que la souffrance est un moyen essentiel afin qu’une transformation profonde puisse se passer dans nos vies. Quand je pense à tous ces moments de souffrance qu’on traverse, je réalise que ces moments mêmes sont des points de contact avec l’Esprit. Comme le dit Romains 8.26 : « L’Esprit lui-même intercède pour nous par des soupirs que les mots ne peuvent exprimer. » En tant que chrétiens, nous devrions avoir une appréciation et une compréhension riche de la vie de l’Esprit dans nos têtes. Nous nous devons d’être clairvoyants et de comprendre que le Saint-Esprit travaille au sein de la douleur, de la souffrance et des déceptions. Du moment que nous faisons cela, nous aurons une pneumatologie (la théologie du Saint-Esprit) riche et profonde, ce qui nous permettra d’intégrer la tête et le cœur.
Quinze ans après la publication de votre livre, quels seraient les développements que vous ajouteriez ?
Dans Entendre la voix de Jésus je parle de la confession comme une pratique spirituelle (1). Elle est un moyen essentiel que nous avons en tant que chrétiens pour élever nos cœurs à Dieu et répondre à l’appel que l’Esprit Saint a pour nos vies. Ma réflexion sur l’importance de la confession, la prière pénitentielle, dans la vie des chrétiens s’est beaucoup développée depuis que j’ai publié ce livre. Un des développements que je propose, et qui fait partie de mon dernier livre sur la prière (Teach Us to Pray (2)), c’est l’exemple que les Psaumes nous offrent. La confession y est présentée comme un levier qui nous dirige vers la sagesse et la sainteté. La confession est une clé qui nous permet de grandir dans la foi, l’espérance et l’amour.
Antje Carrel
Gordon T. Smith, Entendre la voix de Jésus, Le discernement, la prière et le témoignage de l’Esprit Saint, Québec, Alliance chrétienne et missionnaire, 2006, 304 p.