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La conception virginale de Jésus : un parcours avec Henri Blocher

Serge Carrel vendredi 21 décembre 2018

Début décembre, le théologien Henri Blocher, professeur évangélique de renommée internationale, était en Suisse romande. Il a donné notamment une formation sur les récits de la naissance de Jésus dans le cadre de la formation d’adultes de la FREE, le FREE COLLEGE. Retour sur une des questions importantes examinées à cette occasion : le fait que Jésus soit né sans l’intervention d’un homme, soit, en langage théologique, la conception virginale de Jésus.

Dans les récits de la Nativité, ce qui surprend nombre de contemporains, c’est l’accent mis sur la conception virginale de Jésus. Autour de nous, beaucoup de gens ont de la peine avec cela et considèrent que, par rapport à l’ensemble de la foi chrétienne, c’est le miracle de trop. Comment réagissez-vous à l’endroit de telles personnes ?
Si quelqu’un admet le miracle, il me semble présomptueux de dire que ce miracle que l’Ecriture rapporte est de trop. En tout cas, je ne me considère pas en position de le faire. Cette remarque faite, je voudrais souligner qu’il y a un sens, qu’il y a une inscription de ce miracle particulier, dans une certaine harmonie des textes bibliques. Le miracle de la naissance et de la conception virginale – c’est à dire sans géniteur masculin – de Jésus, est le point culminant d’une série biblique de guérisons de stérilités par miracle. Elle commence par la guérison de Sarah, la femme d’Abraham, et aboutit à la guérison d’Elisabeth (Luc 1.7), la femme de Zacharie, dont l’envoyé divin, l’ange, établit le rapport avec ce qui arrive pour Marie. Le miracle qui s’opère pour Marie est bien plus grand. Les miracles de guérisons et d’enfantements possibles pour Sarah, pour Anne, pour la mère de Samson (Juges 13.2), ce sont des miracles de réparation d’une nature humaine quelque peu endommagée, alors que le miracle qui s’opère en Marie est un miracle qui surmonte toute possibilité de la nature comme telle.

Pour vous, les réserves qu’entretiennent nombre de nos contemporains par rapport à la conception virginale sont liées au fait qu’ils ont de la peine à envisager la possibilité du miracle…
Certains l’avouent très brutalement. Pour eux, cela est exclu. Je demande simplement : au nom de quoi prétendent-ils exclure cette possibilité ? Si au moins ils pouvaient admettre qu’il y ait la possibilité d’un Dieu digne de ce nom, d’un Dieu qui maîtrise les choses, d’un Dieu qui a créé le monde et qui y est chez lui… Alors au nom de quoi lui interdirait-on d’accomplir un miracle ?

Il y aurait donc là à ménager une ouverture dans la vision du monde de certains Occidentaux à la possibilité d’une intervention directe de Dieu ?
Il me semble que cette ouverture est nécessaire à la simple impartialité face au message. Je voudrais souligner que l’incrédulité à l’égard de la conception miraculeuse de Jésus n’est pas une particularité occidentale moderne. Elle intervient dès les premiers siècles de notre ère. Celse, un auteur païen, qui a écrit « Discours véritable », un livre très habile contre le christianisme, parce qu’il commençait à se développer et constituait une menace dans la dernière partie du deuxième siècle de notre ère, attaque déjà cette naissance virginale et prétend que Jésus, en réalité, était le fils d’un soldat romain. Le Talmud contient aussi cette accusation, puisque Jésus est rejeté par le judaïsme officiel de ce temps-là et qu’il est présenté comme un faux prophète et un charlatan. Pour sa naissance aussi, on essaie de nuire à sa réputation avec l’idée qu’il est en réalité le fruit d’amours illégitimes… Donc nous avons déjà en ce temps-là des attaques contre ce qu’affirment les récits aussi bien de Matthieu que de Luc.

Aujourd’hui, certains lecteurs de la Bible et d’autres textes de l’Antiquité mettent en avant que, pour parler de la naissance d’un héros ou d’une grande figure, il y a parfois dans la littérature antique des accouplements entre un dieu et une mortelle. On peut penser à la mythologie grecque et à l’accouplement de Zeus avec des figures féminines… Quels sont les liens entre de tels récits et les récits évangéliques ?
Personnellement, je vois surtout un contraste. Ces récits de « fornications olympiennes » n’ont rien à voir ni par l’ambiance, ni par le récit avec ce que nous rapportent les évangiles de Matthieu – qui est très succinct – et de Luc – qui est plus détaillé. Il ne s’agit en aucune façon d’un accouplement avec la divinité. Le texte fait bien un lien entre le miracle de la conception virginale et le titre « Fils de Dieu », mais non pas avec une filiation au sens propre. Dieu n’est pas appelé le Père de ce petit enfant, parce qu’il serait intervenu dans le sein d’une mortelle dans l’évangile de Luc. Le seul père qui est nommé, c’est David. L’ange dit qu’il héritera du royaume de David, son père. Et le seul terme qui est évoqué pour ce qui va se passer concerne l’action de l’Esprit de Dieu…

C’est l’Esprit saint qui est invoqué ici pour évoquer cette création nouvelle…
Oui, il y a, me semble-t-il, une double suggestion dans le texte. Tout d’abord un rappel avec cet Esprit qui va venir sur Marie la couvrant de son ombre, ou probablement une allusion au deuxième verset de la Bible (Genèse 1.2) qui évoque l’action de l’Esprit dans la première création. C’est comme pour nous indiquer qu’une nouvelle création va commencer. Puis il y a aussi une allusion à cette expression matérielle de l’Esprit de Dieu qu’était la colonne de nuée qui accompagnait le peuple d’Israël au cours de l’Exode. Cette nuée reposait sur le tabernacle, sur la tente ou le sanctuaire dans lequel Dieu avait décidé de faire résider plus spécialement son nom.

Donc là le symbole est fort, parce que Jésus apparaît comme une sorte de temple de Dieu au milieu de son peuple…
On peut dire que, durant le temps de cette conception, c’est Marie qui apparaît comme le temple ou le tabernacle charnel dans lequel Dieu lui-même, le Fils, va venir prendre sa demeure par le Saint-Esprit, dont le genre grammatical est féminin en hébreu !

N’est-il pas surprenant que la conception virginale n’apparaisse de manière directe et claire que dans ces deux récits ?
Si vous dites « de manière directe et claire », alors oui. Mais indirectement, nous avons dans le Nouveau Testament d’autres données qui nous orientent de la même façon. Le fait le plus massif, c’est l’absence de références à Joseph dans la plupart des autres textes du Nouveau Testament, alors que généralement l’habitude était de nommer un homme en citant son père. En général, c’est la formule « fils de Marie » qui est utilisée. Il y a comme une éclipse de Joseph qui pourtant compte, parce que le titre juridique à la succession davidique, c’est par lui que Jésus le reçoit. Joseph est le père légal de Jésus, mais malgré cela l’accent est mis sur Marie. 
Il y a aussi un texte comme celui de l’épître aux Galates (4.4) qui souligne que Jésus est « né d’une femme ». Pourquoi cet accent s’il n’y a pas quelque chose de particulier comme la conception virginale qui caractérise la naissance de Jésus ?

Quelle est la portée théologique dans le « christianisme orthodoxe » de la conception virginale de Jésus ?
Tout d’abord, il faut dire – commentaire négatif ! – que la conception virginale n’intervient pas pour éliminer le rôle des relations sexuelles des parents. Dans l’ensemble du donné biblique, la sexualité n’est pas envisagée de manière négative, parce qu’elle serait entachée d’une souillure particulière à laquelle il faudrait échapper pour naître saint. Il s’agit d’une notion ultérieure qui a pris beaucoup d’importance – malheureusement ! – mais qui n’est pas biblique. On a remarqué que le seul ascète de la religion d’Israël, c’est le Naziréen, qui, contrairement aux acètes des autres religions, se marie. Il renonce à tout le confort, à tout le luxe, aux usages de la société…

A se couper les cheveux…
Ce qui est un renoncement à plaire… parce que la coupe de cheveux est considérée comme un signe de civilisation. Il renonce à toute une série d’usages mondains, mais il ne renonce pas à la sexualité, contrairement à ce que l’on trouve dans toutes les autres religions. Les forces de la contre-sexualité ont été puissantes dans le façonnement de la piété de nombreux peuples, mais en Israël ce n’est pas le cas. Il faut donc écarter cette idée qui pourrait venir à l’esprit de beaucoup.

Positivement, quelle est la portée théologique de la conception virginale de Jésus ?
Il me semble qu’il y a une double portée. Il y a une portée de « signe » qui ne correspond pas à une nécessité absolue, mais à une convenance de haut degré.
C’est tout spécialement le théologien suisse Karl Barth qui a mis cette signification en évidence. Il y a dans la conception virginale une proclamation puissante de la grâce. Dieu fait tout. Dieu donne tout. Dans la symbolique qui correspond à de profondes structures psychologiques chez tous les humains, la femme reçoit et c’est l’homme qui agit. On dit : « Né des œuvres de M. Untel ». Dans la venue au monde de celui qui est le porteur de la grâce, qui est la grâce même en personne, le rôle actif des œuvres est exclu. C’est la grâce pure. Alors bien sûr, après cela, il va y avoir des œuvres : Joseph va être le père légal et le père éducatif de Jésus, mais il y a d’abord une proclamation de la grâce comme pure.
La seconde dimension théologique de la conception virginale correspond probablement à une véritable nécessité. Il faut que, pour que le Sauveur soit pur de tout péché et puisse prendre sur lui le péché du monde, il soit pur et saint. Or tous ceux qui naissent d’Adam, d’après la Bible, naissent pécheurs. C’est pourquoi tous meurent en Adam selon l’expression de l’apôtre Paul (1 Corinthiens 15.22). Il faut donc un nouveau commencement du genre humain. Il faut qu’une nouvelle création fasse surgir un nouvel Adam comme chef d’une humanité nouvelle. Pour cela, la naissance virginale est un moyen approprié. Jésus ne doit pas à Adam, contrairement à nous, son identité personnelle. Il lui doit la nature humaine, l’ensemble des caractères et des relations qui caractérisent le fait d’être humain. Il est une personne déjà avant. Il préexiste comme personne divine et quand il vient dans la nature humaine, « dans la chair » selon l’expression biblique, il ne doit pas à Adam. Alors que nous devons, à l’entrecroisement de deux lignées humaines, puiser dans l’une et l’autre notre identité personnelle, ce n’est pas le cas de Jésus. 

Y a-t-il là une sorte de mépris de la nature humaine ?
Je ne vois pas là de mépris de la nature humaine, puisque c’est précisément ce que le Seigneur Jésus a assumé. Mais c’est une nouvelle création qui commence avec la naissance virginale de Jésus.

A titre personnel, lorsque vous vous plongez dans la réalité de ce « mystère lumineux » de la venue de Dieu parmi nous, qu’est-ce que cela suscite en vous ?
Le thème de la venue du Seigneur Dieu dans la chair humaine est au centre de ma foi et de mon assurance personnelle. Je souligne que ce n’est pas cette venue seulement qui me sauve. C’est en quelque sorte le préalable de l’œuvre pour laquelle Jésus-Christ est venu dans le monde, l’œuvre vers laquelle il porte son regard tout au long de son ministère. En portant le péché du monde à la croix et en ressuscitant, vainqueur de la mort et du péché, Jésus me sauve. Ce n’est pas en venant dans la chair, mais il est sûr que c’est le premier pas : un abaissement pour me sauver, auquel il consent. C’est ce à quoi je m’attache d’abord personnellement. C’est le lien à mon Sauveur qui est ici en cause.
La vérité théologique, la vérité d’Evangile qui est rappelée ici, me tient vraiment à coeur.

Propos recueillis par Serge Carrel

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