« Quand l’Eglise donne asile » par Gabrielle Desarzens

GD mardi 21 juin 2016 icon-comments 1

Début juin, une famille tchétchène a été renvoyée dans son pays d’origine après avoir logé dans les locaux même de la Paroisse réformée de Kilchberg (ZH). Début mars, à Bâle, la police a arrêté huit réfugiés dans l’église Matthäus. Le collectif R qui s’occupe d’une dizaine de « cas Dublin » à Lausanne a pour sa part trouvé refuge dans la Paroisse catholique Mon-Gré. Comment l’asile ecclésiastique est-il aujourd’hui reconnu par les autorités ?

Pauline Milani du Collectif R (1) fait la visite des locaux de la Paroisse Mon-Gré à Lausanne, où une dizaine de migrants attendent de pouvoir déposer une demande d’asile. La Suisse a 6 mois, voire 18 selon les dossiers, pour renvoyer ces « cas Dublin », comme on les appelle, dans le premier pays européen où ils ont été enregistrés. Passé ce délai, elle est obligée d’ouvrir une procédure d’asile. Au bout du couloir, des matelas sont posés par terre, contre une paroi coulissante qui sépare cette chambre à coucher de fortune de la chapelle. « L’Eglise est par définition un lieu de refuge, commente Pauline Milani. On estime que les gens y sont plus protégés. Avant de venir ici, fin avril, nous sommes restés une année à St-Laurent Eglise. Mais il s’agissait alors d’une occupation. Nous avons déménagé ici car le curé de Mon-Gré, Gabriel Pittet, nous accueillait volontiers. »

Les buts du Collectif R en deux mots ? « On s’indigne, répond tout de go la jeune femme. On refuse ce qui se passe. On est là pour protéger des gens contre des décisions iniques. »

Gabriel Pittet arrive et serre contre lui les migrants les uns après les autres. Les sourires s’élargissent. Une fois en tête-à-tête, il explique sans détour avoir agi contre sa hiérarchie : « L’Eglise nous a tout de suite dit qu’elle était contre cet accueil. J’ai été étonné et je me demande ce que l’Eglise catholique doit prouver à l’Etat pour réagir d’une manière si forte. Le conseil de paroisse et moi-même avons été convoqués par le vicariat épiscopal et le Fédération des paroisses catholiques vaudoises. Ils nous ont dit qu’ils n’étaient pas d’accord avec notre démarche. » 

« Asulon »

Dans le canton de Zurich, la Paroisse réformée de Kilchberg a hébergé une famille tchétchène dans ses locaux paroissiaux. Celle-ci vient pourtant d’être renvoyée dans son pays d’origine. A Bâle, le 3 mars, la police a perquisitionné l’église Matthäus et y a arrêté huit réfugiés qui y avaient trouvé refuge depuis plusieurs semaines. Cette intervention a poussé le théologien neuchâtelois Pierre Bühler à écrire un manifeste intitulé « Les Eglises comme lieux d’accueil » (2). « Il y a un lien très ancien entre l’asile et l’Eglise, explique-t-il. On peut remonter jusque dans l’Antiquité. Et dans les mondes grec et romain, le lieu sacré était aussi un lieu d’asile. Le terme grec « asulon » signifie inviolable. On utilisait les églises pour y héberger des gens qui étaient menacés. Ils y trouvaient refuge en attendant que leur cas soit réglé. Cette tradition s’est maintenue pendant tout le Moyen-Age. Dans les temps modernes, les Etats ont pris la place des Eglises, mais le droit d’asile dans un bâtiment d’Eglise a encore une valeur symbolique. Ce qui s’est passé à Bâle a pourtant brisé un tabou. Dans le cas précis, le Conseil synodal bâlois n’a pas soutenu la paroisse. »

Pour le théologien, le problème réside dans le fait que les autorités se sentent dans un rapport de responsabilité par rapport à l’Etat. « Les paroisses sont beaucoup plus ouvertes face à une injustice crasse. Mais leurs autorités hésitent », résume-t-il. 

Désobéissance civile

Selon Pierre Bühler, une Eglise qui accueille des migrants menacés de renvoi rappelle avant tout à l’Etat qu’il y a des principes de droit, des principes de justice, « et qu’il est en train de ne pas les appliquer ». Pour lui, la tâche fondamentale de l’Eglise est d’abord de proclamer l’Evangile. « Et l’Evangile, c’est le message d’un Dieu qui accueille, qui vient vers l’être humain, qui le reconnaît, et qui lui proclame la liberté, la justice. Cela signifie une vigilance à l’égard de l’Etat : on veille à ce que les instances étatiques fassent leur travail de justice comme il faut. » 

Mais que pensent les autorités politiques de cet engagement des Eglises dans le dossier migratoire ?

Oscar Tosato, conseiller municipal de la capitale vaudoise, salue ce que d’aucuns pourraient considérer comme une désobéissance civile : « L’Etat ne peut  agir qu’en fonction de lois, comme la loi sur l’asile, les accords internationaux, les accords de Dublin ou de Schengen. L’Eglise, elle, peut aller au-delà et prendre en compte l’être humain. Son rôle va ainsi beaucoup plus loin que celui de l’Etat et doit amener celui-ci à discuter de la situation des migrants dans la sérénité. »  Et le municipal socialiste d’ajouter que cette désobéissance dans les Eglises veut certainement affirmer un certain nombre de principes éthiques, de valeurs fondamentales qui sont celles de l’être humain avant d’être celles des nations. 

Gabrielle Desarzens

Cet article est la version écrite du dossier d’actualité de l’émission Hautes Fréquences du dimanche 19 juin sur RTS La Première.

 

 

Notes
1 Le site du Collectif R.
2 Ce document est disponible ici.

1 réaction

  • Marik mardi, 21 juin 2016 15:25

    Merci Gabrielle ! J'espère que beaucoup répondront à cet appel et réagiront en signant la pétition proposée par le site du Collectif R. !

Publicité

Journal Vivre

Opinion

Opinion

myfreelife.ch

  • Pour les Terraz et les Félix, des choix porteurs de vie

    Ven 22 septembre 2023

    Abandonner la voiture et emménager dans une coopérative d’habitation ?... Deux couples de l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin ont fait ces choix qu’ils estiment porteurs de vie. « Le rythme plus lent du vélo a vraiment du sens pour moi », témoigne Thiéry Terraz, qui travaille pour l’antenne genevoise de Jeunesse en mission. « Je trouve dans le partage avec mes voisins ce que je veux vivre dans ma foi », lui fait écho Lorraine Félix, enseignante. Rencontres croisées. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Jeu 15 juin 2023

    Vivian symbolise l’espoir pour tous ceux que la vie malmène. Aujourd’hui, cette trentenaire tanzanienne collabore comme assistante de direction au siège de Compassion à Arusha, en Tanzanie. Mais son parcours de vie avait bien mal débuté… Nous avons rencontré Vivian au bureau suisse de l’ONG à Yverdon, lors de sa visite en mars dernier. Témoignage.

  • Une expérience tchadienne « qui ouvre les yeux »

    Ven 20 janvier 2023

    Elle a 19 ans, étudie la psychologie à l’Université de Lausanne, et vient de faire un mois de bénévolat auprès de jeunes de la rue à N’Djaména. Tamara Furter, de l’Eglise évangélique La Chapelle (FREE) au Brassus, a découvert que l’on peut être fort et joyeux dans la précarité.

  • « Oui, la relève de l’Eglise passe par les femmes »

    Ven 16 septembre 2022

    Nel Berner, 52 ans, est dans la dernière ligne droite de ses études en théologie à la HET-PRO. Pour elle, la Bible est favorable au ministère féminin. Et les communautés doivent reconnaître avoir besoin tant d’hommes que de femmes à leur tête.

eglisesfree.ch

  • Rencontre générale de la FREE : vers une réorientation du budget

    Ven 13 décembre 2024

    La seconde Rencontre Générale de la FREE pour 2024 s'est tenue le 23 novembre à l'Eglise évangélique des Amandiers (Lavigny). Les délégués des Eglises ont accepté le budget 2025 et la modification d'un article des statuts, les membres de la direction ont donné des nouvelles de leur secteur et Michel Faggion a présenté la mission de la FLP. Compte-rendu.

  • Rencontre générale : la FREE confirme son désir d’apporter un soutien efficace aux Eglises

    Ven 26 avril 2024

    La dernière Rencontre générale de la FREE a montré que sa situation financière est relativement saine. Elle a aussi montré comment la fédération remplit des tâches indispensables aux Eglises, et que celles-ci ne pourraient par remplir à titre individuel.

  • Un·e responsable des finances (10%)

    Lun 29 janvier 2024

    Plus grande fédération d’Eglises évangéliques en Suisse romande, la FREE offre un cadre de travail dynamique et défiant, en lien étroit avec les autres acteurs du milieu chrétien évangélique romand, suisse et international. Dans ce cadre, la FREE recherche un·e responsable des finances.

  • Rencontre générale : une fédération utile

    Mer 29 novembre 2023

    La Rencontre générale du 25 novembre 2023 a permis de remercier Stéphane Bossel pour 23 ans d’engagements divers et importants dans la FREE. Elle a aussi permis à l’équipe de direction de partager quelques priorités, notamment le sens, les valeurs et la plus-value que la FREE peut offrir aux Eglises.

eglise-numerique.org

point-theo.com

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !