Tout lâcher pour aider les migrants

mercredi 18 octobre 2017

De jeunes Suisses apprennent aux migrants à revivre – presque – normalement à Lesbos. Une mise en pratique de Matthieu 25 que Gabrielle Desarzens est allée voir de près, alors que depuis août, les arrivées de réfugiés en provenance des côtes occidentales de la Turquie s’accélèrent à nouveau en Grèce.

Le plus grand camp de l’île grecque de Lesbos, l’ancienne base militaire de Moria, a une capacité de 2'000 places. Or plus de 5'000 migrants s’y entassent déjà. Aujourd’hui, des tentes sont dressées à la hâte à l’extérieur du camp, qui reste « protégé » par plusieurs rangées de fil de fers barbelés. Après plusieurs échanges de courriels, Yanis Balbakakis, directeur du camp, accepte une interview. Dans son bureau, il efface du tableau le précédent décompte et écrit le chiffre de 5042 de façon presque laconique. « Si en sortant d’ici vous prenez 500 migrants avec vous, cela m’arrange », dit-il, après avoir répondu de façon très administrative aux questions posées.

« Les conditions de vie sont vraiment difficiles à Moria ; c’est juste la catastrophe », commente pour sa part Fabian Bracher. Violence, viols… L’hiver dernier, des personnes sont mortes de façon « inexpliquée ». L’ONG Médecins sans frontières a décidé d’y suspendre ses activités. Face à cette situation dramatique, le Bernois de 27 ans a mis sa formation de travailleur social entre parenthèses et retroussé ses manches. En mars dernier, avec d’autres bénévoles et une cinquantaine de réfugiés, cet ancien banquier a construit un centre de jour communautaire à quelques kilomètres de Moria : One happy family.

Des swiss drachma en circulation

Une toute autre atmosphère règne dans cette association. Des enfants jouent au ballon pendant qu’à droite, dans des bâtiments roses, des cours de langue sont donnés aux migrants. Ici, des personnes font la queue pour obtenir des vêtements chauds en prévision de l’hiver. Plus loin, d’autres attendent au guichet de la « banque », où deux swiss drachma sont remis chaque jour à chaque migrant. « Cette monnaie virtuelle permet ensuite à chacun de choisir ses activités », indique Fabian Bracher, à l’origine de la formule. Ce lieu est ainsi le seul en Grèce à avoir été construit et organisé non seulement pour mais avec les migrants. La philosophie se retrouve à tous les niveaux : le salon de coiffure est tenu par un migrant, de même que le bar à café, ou encore le fitness. Et c’est un réfugié qui est aux fourneaux. Six-cent à sept-cent repas y sont concoctés chaque jour par une équipe de six migrants. Parmi eux, Amine, un jeune Rohingya de 19 ans cuisine ce jour-là un plat de lentilles sur une plaque à gaz posée à même le sol. Il raconte avoir quitté la Birmanie, traversé le Bengladesh, l’Inde, le Pakistan, l’Iran puis la Turquie avant d’arriver ici. « La situation à Moria n’est pas bonne. Il y a parfois des bagarres, de l’alcool… Ici, j’aime travailler », indique-t-il en souriant. 

Normalité et dignité

« Fabian Bracher fait la visite, ouvre des portes, serre plusieurs migrants dans ses bras en prenant des nouvelles : « La plupart des gens se sentent bien ici car ils y trouvent de la normalité, de la dignité, estime-t-il. Ils peuvent s’acheter un vêtement ou du shampoing presque comme tout un chacun. Ils choisissent ce qu’ils veulent faire, ils ne subissent pas. »

Dans la pièce dévolue aux enfants, la Syrienne Roula explique être arrivée à Lesbos depuis 5 semaines avec son mari et leurs deux enfants. « Nous sommes ici la journée, car la vie dans le camp de Moria est juste terrible. Il n’y a pas de sécurité, là-bas. Nous vivons à vingt dans une tente. Nous n’avons aucune intimité. Ici, je travaille comme bénévole. Cela me fait du bien. »

A l’extérieur du bâtiment principal, une autre Syrienne donne le biberon à un nouveau-né. A ses côtés, deux enfants en bas âge. Nina, 27 ans, une bénévole zurichoise, enseignante primaire, décide de les amener en voiture jusque dans une structure pour femmes, créée il y a un mois et demi dans la ville de Mytilène, à 5 kilomètres de là : « Cette femme syrienne est arrivée seule à Lesbos avec ses enfants. Elle parle peu. Je pense qu’elle a besoin de soins particuliers », commente-t-elle. 

Ne pas oublier

Ce centre pour femmes de Bachira a ouvert il y a juste un mois et demi sur l’initiative de la Suissesse Raquel Herzog (voir encadré). Comme Fabian Bracher, elle a débarqué à Lesbos en 2015 pour « faire quelque chose » et non seulement subir les images télévisées de ces migrants qui arrivent en catastrophe en Europe. « Au début, tu les regardes, puis très vite tu fais comme tu peux en prenant les enfants et en essayant de les réchauffer alors qu’ils ont les lèvres bleues. » Fabian Bracher garde de cette action un chapelet autour du cou qu’il a trouvé entre les gilets de sauvetage ramassé à la pelle sur les plages. « C’est pour que je n’oublie pas. Jamais. »

Si les arrivées ont été massives sur l’île il y a deux ans, elles sont à nouveau quotidiennes depuis quelques semaines. Fabian Bracher évoque cette expression suisse alémanique « Rosa Brille tragen », soit porter des lunettes roses ou voir la vie en rose en français. « J’ai décidé de les enlever pour voir la réalité. Voir que les gens qui vivent dans le camp Moria ne sont pas traités comme des êtres humains. Je suis ici pour essayer de changer quelque chose. »

Gabrielle Desarzens

Lien de l’association One Happy Family : www.ohf-lesvos.org

  • Encadré 1:

    Bachira, un lieu dévolu aux femmes 

    Bachira signifie en arabe Bonne nouvelle, joie. « L’idée était de créer surtout un lieu sécurisé pour les femmes qui sont tout le temps exposées dans les camps », résume Raquel Herzog, 55 ans, qui, à l’instar de Fabian Bracher, a également tout laissé en Suisse pour se rendre au chevet des migrants. « J’ai vu cette image de Aylan, cet enfant mort, et je me suis dite qu’il me fallait faire quelque chose. » A parler de violence, elle évoque les viols. « Les zones où les personnes peuvent prendre une douche dans les camps n’ont pas de portes : les femmes doivent s’y rendre à trois par sécurité. Si vous êtes dans une tente, il n’y a pas de porte non plus. Les hommes n’ont plus de dignité, sont seuls, cela va vite… » A Bachira, les femmes peuvent profiter d’une salle d’eau. Parler. Recevoir des conseils « de femme à femme ». Et trouver aussi de l’aide pour leur demande d’asile.

    Raquel Herzog qui travaillait auparavant dans l’événementiel a fondé une antenne similaire à Athènes ; elle a aussi lancé un projet d’aide à la formation professionnelle des migrantes. Dans les locaux de Bachira, Mélissa de Côte d’Ivoire dit y apprécier l’écoute. Ses rêves ? A terme, retourner en Afrique, « retrouver ma mère et mes frères. »

    G.D.  

    Lien de l’ONG de Raquel Herzog : www.sao.ngo

    Dimanche 15 octobre à 19h, l’émission Hautes Fréquences sur RTS La Première a consacré son dossier sur cette problématique des migrants à Lesbos : www.RTSreligion.ch

     

    Cet article a été publié dans les colonnes de 24 Heures et de La Tribune de Genève le 14 octobre.

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