« Cette vie calme est troublée toutefois, dès 1820, par le « Réveil » religieux que provoquent les tendances piétistes et méthodistes, d’origine anglo-saxonne... Dans sa majorité, le peuple vaudois est heurté par la manière et les procédés des « mômiers » et leur manifeste violemment son hostilité... Il (le gouvernement) choisit d’interdire toute manifestation des sectes... » La lecture de cette page de "L’Encyclopédie vaudoise" laisse songeur (L’histoire vaudoise, vol. 4, p. 178). Dans les années 1970, c’est comme cela qu’une certaine élite vaudoise se représentait l’émergence du Réveil. "Aux sources historiques des Eglises évangéliques", l’ouvrage que vient de publier Marc Lüthi, corrige cette vision très datée de l’histoire du Réveil. Cette reprise partielle d’une thèse de doctorat soutenue à Strasbourg jette un autre regard sur le Réveil, un regard qui montre en quoi ce mouvement, né en Suisse romande au début du XIXe siècle, a été novateur.
Les réveillés, des troublions ?
Pour l’Encyclopédie vaudoise, ce mouvement, à l’origine des Eglises évangéliques troublait la quiétude du pays de Vaud. Au nom d’un sacro-saint ordre séculaire, la brave Encyclopédie laisse même filer à demi-mot que l’Etat est dans son bon droit, lorsqu’il interdit tout rassemblement religieux en dehors des lieux de culte et aux heures officielles, le 10 mai 1824... On croit rêver, surtout lorsqu’on découvre que cette loi interdit tout témoignage chrétien sous peine d’amende ou de bannissement de la commune ou du canton... « qui ne pourra excéder 3 ans » !
"Aux sources historiques des Eglises évangéliques" permet de sortir de cette caricature. Non pour tomber dans une hagiographie acritique, mais pour mener une véritable démarche historique qui permet aux lecteurs d’entrevoir ce que le pays romand doit aux réveillés du XIXe siècle. L’ébranlement d’une conception des relations "Eglise et Etat", si étroitement imbriquées, qu’elle en muselait les libertés individuelles fondamentales. L’apparition d’un souci des plus pauvres au nom de l’Evangile. L’émergence de personnalités religieuses et sociales comme Auguste Rochat, pasteur, Alexandre Vinet, philosophe, Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge...
Des fragilités aussi !
Le livre de Marc Lüthi met aussi le doigt sur les fragilités de ce christianisme populaire, qui, par souci de rester démocratique, développera une méfiance maladive à l’endroit des théologiens et des pasteurs. Cette méfiance, source de dynamisme spirituel dans un premier temps, montrera ses limites lors de l’arrivée en Suisse romande de John Nelson Darby. Cet Anglais, prêtre anglican cultivé, emmènera à sa suite nombre de réveillés qui considèreront l’Eglise comme apostate. Cette conception les entraînera à se retirer dans leur chapelle, sans volonté de voir la Bonne Nouvelle féconder davantage encore la société.
Dans la suite de son livre, Marc Lüthi rertrace la création de l’Eglise évangélique libre de Genève, puis celle du canton de Vaud avant de revenir sur l’histoire des AESR, de 1880 à nos jours. Avec comme source principale d’information le journal "Semailles et moisson", le précurseur de "Vivre".
"Aux sources historiques des Eglises évangéliques" donne envie de lire davantage de recherches historiques sur le christianisme populaire de saveur évangélique en Suisse. C’est un champ d’investigation qui devrait retenir historiens confirmés et étudiants. Dans sa veine anabaptiste, réveillée, salutiste, pentecôtiste et charismatique, ce christianisme évangélique renferme des trésors qui valent beaucoup mieux que les caricatures d’une "Encyclopédie vaudoise" et de nombre d’historiens. Avis aux amateurs !
Serge Carrel
(Cet article est paru dans le journal Vivre de septembre 2004)