Dimanche, 9h15. Dans toutes les familles chrétiennes, c’est le branle-bas de combat pour tenter d’arriver au culte à l’heure : « Quelqu’un a-t-il vu mes sandales ? Tu as appris ton verset pour le KT ? Allez, dépêchez-vous, montez dans la voiture ! » Seulement, dans certaines familles, d’autres défis viennent s’ajouter à ceux rencontrés par les paroissiens lambda. Dans notre petit village du Nord vaudois, notre fils Silas, 8 ans, est réveillé depuis 3h00 du matin et saute tout nu sur les canapés. Nous découvrons avec effroi la scène qui s’étale sous nos yeux : un litre d’adoucissant pour lessive est répandu sur le carrelage du salon, le rendant aussi glissant qu’une patinoire. Tout autour, un océan de miettes démontre que les biscuits confectionnés la veille et destinés au repas communautaire devaient être délicieux.
Un peu plus loin, dans une autre famille, Julien, 8 ans lui aussi, vomit son petit-déjeuner sur sa chaise roulante juste avant de partir pour l’église. Il faut vite le changer, en espérant que personne ne s’est garé sur la place réservée aux personnes handicapées, sous peine de ne pas pouvoir sortir la rampe qui lui permet de descendre du bus familial.
Chez Bastian, 9 ans, il faut laver les draps, car la couche n’a pas tenu la distance de nuit. Noé, 7 ans, dont les pensées se bousculent, n’est toujours pas habillé, car il se laisse distraire constamment. Et Jonas, qui n’a pas encore soufflé sa première bougie, n’aime pas être stressé lorsqu’il boit son biberon du matin.
Notre fils Silas est autiste, hyperactif et non verbal. Son copain Julien est infirme moteur cérébral (IMC). Bastian est atteint du Syndrome duplication MECP2, une maladie orpheline. Il ne peut pas parler et éprouve quelques difficultés motrices. Noé souffre de troubles envahissants du développement qui le rendent parfois agressif envers autrui. Jonas quant à lui est porteur de trisomie 21. Le quotidien de leurs familles est rempli de défis pratiques souvent épuisants, mais aussi de joie, d’ouverture d’esprit, de petits miracles et de beaucoup d’amour.
Familles isolées
Toute sortie étant défiante, de telles familles peuvent souvent se retrouver isolées. Plus que quiconque, elles ont besoin, en participant au culte du dimanche matin, du soutien de leur communauté, de se sentir acceptées telles qu’elles sont et de recevoir des paroles d’encouragement.
Seulement, l’intégration dans une Eglise peut être une source de stress supplémentaire. Comment l’éviter ? Comment accueillir ceux qui sont différents ? Cela commence dès la naissance.
« A la naissance de Jonas, raconte Emilie sa maman, la plupart des gens ont été émus, voire tristes, parfois mal à l'aise. Certains sont allés jusqu’à pleurer de compassion devant nous, alors que nous étions dans la joie. Nous aurions préféré être félicités pour cette naissance comme toute autre naissance, et qu’on se réjouisse des plans que Dieu a pour notre famille. Certaines personnes qui connaissent la trisomie ont bien réagi en nous disant la chance que nous avions d'accueillir un trésor pareil, mais aussi la chance qu'il avait d'être dans notre famille. » La famille de Jonas n’a pas non plus apprécié les encouragements à prier pour sa guérison ou pour que ses jolis yeux en amande redeviennent « normaux ». « Jonas n’est pas malade, il a juste un chromosome en plus et nous l’acceptons comme il est, nous ne souhaitons pas qu’il change ! »
« Pour nous, commente Gabrielle, le plus dur avant que Noé ne soit diagnostiqué comme ayant des troubles autistiques, a été l’indifférence apparente. Les gens nous observaient et semblaient démunis face aux violentes crises de notre fils, mais personne n’osait nous poser de questions, comme si le sujet était tabou. Cela nous a laissés avec un grand sentiment de solitude. » Regarder sans dévisager, s’approcher de façon naturelle, poser des questions sans blesser, un équilibre qui est parfois difficile à trouver.
« Je n’apprécie pas trop lorsque l’on nous dit : ‘Vous êtes magnifiques, quel courage, je ne pourrais jamais faire ce que vous faites’, rapporte Georgina, la maman de Julien. Je suis peut-être trop sensible, mais cela soulève en moi des questions comme : ‘Vous voulez dire que je n’aurais pas dû le garder ? Ou le mettre en institution ?’ Julien est mon fils, et je l’aime comme il est ! Cet amour n’est pas magnifique, il va de soi et je ne veux pas être admirée pour cela. Je ne suis pas une ‘super maman’, mais Dieu nous équipe pour faire face aux situations auxquelles nous sommes confrontés. »
Pratiquer un accueil naturel
Toutes les familles interrogées s’accordent à dire qu’elles apprécient lorsqu’on accueille leur enfant naturellement et chaleureusement, qu’on le salue et qu’on lui adresse la parole même s’il n’est pas en mesure de répondre. « Mes enfants aiment dire que leur frère a une mobilité réduite, mais une intelligence augmentée, s’amuse Georgina. Je ne sais pas si c’est vrai, mais Julien comprend tout ; c’est son corps qui est atteint, pas son intelligence ! Il est terriblement frustrant pour lui d’être ignoré ou laissé de côté. »
Dans leur nouvelle communauté, la famille de Bastian a trouvé une acceptation inconditionnelle qui les a beaucoup réjouis. « Ici, explique Valérie, Bastian, c’est quelqu’un. Il est accueilli avec amour, avec de nombreux gestes d’affection. Les membres de l’Eglise ne s’irritent pas de ses bruits ou de son côté touche-à-tout. Au contraire, ils nous aident à garder un œil aimant sur lui, je peux donc fermer les yeux dans la louange sans craindre qu’il soit occupé à descendre tous les livres de la bibliothèque. Bastian est un inconditionnel des temps de louange et il aime louer le Seigneur au premier rang ! Un jour, il a éteint l’amplificateur de la guitare. Le pasteur qui dirigeait le moment de chant a repris son morceau avec beaucoup de naturel et une parole affectueuse pour mon fils. Cela fait du bien à mon cœur de maman. »
Je comprends ce que ressent cette maman. En retrouvant notre Eglise des Uttins (FREE) à Yverdon, après avoir été missionnaires pendant dix ans en Jordanie, nous n’étions pas sans appréhension. Comment les gens allaient-ils réagir à la présence de Silas au culte, sachant qu’il ne tient pas en place, qu’il manifeste parfois bruyamment sa joie ou son mécontentement, et qu’il n’a aucune conscience de ce qui se fait ou ne se fait pas. Allaient-ils comprendre que ce n’était pas un problème d’éducation ?
Je dois dire que l’Eglise a été remarquable, à commencer par les moniteurs de l’école du dimanche qui ont spontanément organisé un tournus de volontaires pour aller promener Silas à l’extérieur pendant les leçons. J’apprécie particulièrement le fait que nous n’ayons pas besoin de dire à l’avance si nous serons présents au culte ou non, ce qui nous libère de toute pression.
Le soutien ne s’arrête pas au dimanche matin
Pour ce qui est des temps de louange, dans notre communauté plutôt calme, Silas est libre de courir à sa guise entre les rangs, de grimper sur la scène ou de fredonner les chansons une fois que tout le monde a terminé. Une annonce a été faite dans ce sens, ce qui nous a aidés à nous sentir plus à l’aise. Un jour, notre pasteur a organisé une sainte cène un peu particulière, en disposant le pain et le vin dès le début du culte en deux endroits différents, bien en vue. Aïe ! Voyant que nous tentions tant bien que mal de contenir Silas sur nos genoux de peur qu’il ne fasse une razzia sur les morceaux de pains et les gobelets de jus de raisin, une amie a eu l’idée lumineuse de recouvrir les deux tables d’un drap et de poster deux personnes pour « monter la garde ». Ainsi, nous avons pu vivre le culte de manière paisible. Ce geste m’a beaucoup touchée ! Ce sont des détails qui font toute la différence !
Le soutien de l’Eglise ne s’arrête pas au dimanche matin. Une famille de notre communauté a proposé de nous inviter « chez nous », dans un contexte où tout est déjà adapté pour Silas. Ils ont apporté tout le repas et nous n’avons plus eu qu’à mettre les pieds sous la table, sans nous soucier des bêtises que notre fils pourrait faire.
« Lorsque Julien s’est fait opérer des hanches, raconte Georgina, son moniteur de l’école du dimanche est venu lui rendre visite à l’hôpital avec un cadeau et une photo de tous les enfants qui participent aux activités qui ont lieu à l’église. Il a pris des nouvelles régulièrement afin de se tenir avec nous dans la prière. »
Les prières sont nécessaires et appréciées, tout comme l’aide concrète. « Pour me permettre de me rendre à un enterrement, une amie de l’Eglise qui habite à une heure de chez nous est venue me dépanner en gardant Bastian un petit moment, juste le temps que sa baby-sitter spécialisée arrive », rapporte Valérie.
En revanche, pour ce qui est des prières de guérison, il est toujours plus sage d’attendre que la famille en fasse la demande, de lui laisser l’initiative de ce qu’elle souhaite ou non. Nous croyons que notre Dieu guérit, mais nos enfants sont d’abord nos enfants, et non des occasions de tester notre foi. Prions d’abord pour la paix, la bonne santé et le renouvellement des forces de la famille concernée.
Marjorie Waefler
Voir l'émission Ciel! Mon info a accueilli Marjorie Waefler lors de la sortie de son livre Derrière ton sourire.