Jean-René Moret, comment votre Eglise a-t-elle accueilli cet arrêt du Tribunal fédéral ?
Nous sommes surpris et déçus ; nous pensions que la liberté religieuse comptait davantage pour le Tribunal Fédéral (TF).
Nous tenons à souligner le soutien et la solidarité que nous avons reçus de la part d’autres communautés et de particuliers lors de cette procédure, ainsi que de la FREE et du Réseau évangélique suisse. Cette décision du TF impacte toutes les Eglises évangéliques de Genève, en tout cas celles qui pratiquent le baptême d’adultes au bord du lac. Notre Eglise est déçue de ne pas retrouver le droit de baptiser dans le lac, mais nous pouvons vivre avec et trouver d’autres options, comme baptiser dans une piscine privée ou un baptistère.
Mais nous sommes inquiets sur le principe même. Cette mauvaise décision du TF pourrait faire jurisprudence. Elle peut donner l’impression à d’autres cantons qu’ils peuvent restreindre les droits des organisations religieuses non reconnues officiellement. Ou qui sait s’ils peuvent rendre les conditions pour obtenir la reconnaissance encore plus restrictives. Ce qui semble n’être qu’une affaire genevoise risque d’avoir des effets plus bien plus larges.
Quels sont les arguments sur lesquels s’appuie le TF pour rejeter votre recours?
La réponse majeure évoquée, c’est que nous ne sommes pas une organisation religieuse en relation avec l’Etat de Genève. Le TF donne tort au Département de la Sécurité, de la Population et de la Santé du canton de Genève (DSPS) sur sa politique de refuser toute manifestation cultuelle sur le domaine public, mais juge acceptable que pour l’Etat, le fait d’être reconnu soit un critère décisif pour autoriser une manifestation.
Or, en réalité, le DSPS ne veut aucune manifestation cultuelle sur le domaine public. Lorsque d’autres organisations religieuses ont demandé à organiser une manifestation cultuelle hors de leurs murs, elles ont aussi été confrontées à un refus, alors même qu’elles sont reconnues. Cela a été le cas pour une procession que l’Eglise Catholique voulait organiser. Cette dernière avait eu gain de cause au niveau cantonal lors de son recours.
Sur ce plan, la laïcité genevoise est plus dure que la laïcité française, basée sur la loi de 1905, qui voit le domaine public comme un lieu de pluralisme.
Sur le fond, le Tribunal Fédéral n’est donc pas opposé aux baptêmes dans le lac...
Le rôle du TF n’est pas de se positionner pour ou contre, mais d’évaluer si la manière dont la loi genevoise est appliquée est acceptable au regard des normes suisses. En effet, chaque canton dispose de son autonomie. Toutefois, le TF considère qu’à Genève, une organisation religieuse reconnue devrait obtenir le droit d’organiser une manifestation cultuelle raisonnable sur le domaine public.
Pouvez-vous préciser pourquoi votre Eglise n'entretient pas de relation avec l'Etat (NDLR: terminologie de la loi signifiant "être en partenariat") ?
En tant qu’évangéliques, nous tenons à la séparation entre Eglise et Etat. Et en tant qu’Eglise évangélique de Cologny, les avantages apportés par ce statut ne nous concerneraient pas (aumônerie, bâtiment, etc).
Parmi les critères pour accéder à cette reconnaissance par l’Etat, la communauté religieuse doit reconnaître la primauté du droit suisse sur toute obligation religieuse. Au niveau théologique, cela revient à dire que l’Etat est au-dessus de Dieu, ce qu’aucun monothéisme ne peut faire ! Par ailleurs, s’engager dans cette voie exclut à priori tout possibilité d’objection de conscience ou désobéissance civile. Or des conflits entre la conscience d’une personne et une loi établie peuvent se produire.
Rappelons-nous quelques exemples. Pendant la Seconde guerre mondiale, des citoyens (chrétiens ou non) ont aidé des Juifs à passer en Suisse, alors même que la loi ne l’autorisait pas. De nos jours, nous sommes tous d’accord d’honorer ces personnes qui ont désobéi à la loi pour des motifs de conscience plus élevés. On peut aussi penser aux objecteurs de conscience qui ne voulaient pas faire l’armée. Ou au délit de solidarité (subvenir aux besoins d’un étranger, même s’il est en situation d’irrégularité). La loi n’est pas infaillible. C’est disproportionné de demander à une communauté religieuse d’affirmer que la loi suisse passe avant tout. On impose aux organisations religieuses des éléments qui ne sont pas demandés pour les événements de syndicats, de militants écologistes ou autres clubs de sport.
Et puis, un autre élément vous dérange…
En effet, même si aujourd’hui, notre Eglise était partante pour entretenir une relation avec l’Etat, il est problématique que des droits fondamentaux puissent être conditionnés à la reconnaissance par l’Etat. Car ces derniers doivent s’exercer pour tous et pas seulement pour les organisations que l’Etat a validé selon ses critères. Un autre point qui pose problème, c’est qu’il ne suffit pas d’avoir signé cette déclaration d’engagement. L’Etat de Genève peut refuser d’accorder la reconnaissance, même si nous remplissons toutes les conditions, et ceci sans possibilité de recours.
Quelles sont les options qui s’offrent à votre Eglise maintenant ?
L’option juridique qui demeure est de faire recours à la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg. C’est une option à discuter avec des organisations représentant les évangéliques, car nous ne nous engagerons pas dans cette procédure tous seuls. Mais si les instances évangéliques estiment que cela en vaut la peine pour la défense de la liberté religieuse, la question se pose.
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Interdiction de baptiser: L'Eglise évangélique de Cologny porte l'affaire devant le Tribunal Fédéral