Darwin 150 ans après, par Silvain Dupertuis

mardi 06 octobre 2009

A l’occasion du deux centième anniversaire de la naissance de Charles Darwin, Silvain Dupertuis, professeur de gymnase dans le canton de Vaud, nous présente le parcours spirituel de l’homme de science, ainsi que l’interaction entre la théorie de l’évolution et les interprétations chrétiennes de la Création.

L’année 2009 marque le deux centième anniversaire de la naissance de Charles Darwin, et le cent cinquantième de la parution de son ouvrage majeur, « L’origine des espèces », paru le 24 novembre 1859. Cet ouvrage est considéré comme fondateur de la théorie de l’évolution, une idée déjà commune à l’époque, mais dont le génie de Darwin a été de proposer un mécanisme pour expliquer la transformation et la diversification adaptative des espèces dans leur milieu. Ce biologiste occupe ainsi une place majeure au sein de l’histoire des sciences, au même titre que Copernic et Galilée au début du XVIIe siècle ou qu’Einstein au XXe.
Pourtant, aujourd’hui encore la théorie de l’évolution fait l’objet de vifs débats, dont le plus récent tourne autour de l’idée du «dessein intelligent», dont les médias européens se font régulièrement l’écho depuis 2007. Darwin serait-il l’apôtre d’un concept fossoyeur de la foi chrétienne et de tout sens transcendant à la vie humaine ?

Devenu agnostique, Darwin reste très respectueux de la foi chrétienne
Rien n’est plus faux. Au terme de sa vie marquée par le passage de la foi chrétienne de sa jeunesse à l’agnosticisme de sa maturité, Darwin écrivait à son ami athée John Fordyce : « Il me semble absurde de douter qu’on puisse être à la fois un théiste convaincu et un évolutionniste. » Né dans une famille peu croyante, il est néanmoins baptisé dans une Eglise anglicane, et suit une formation théologique à Cambridge après avoir étudié la médecine à Edimbourg. Convaincu de la foi chrétienne, il s’intéresse néanmoins davantage à l’histoire naturelle et part bientôt pour le célèbre voyage qui lui inspirera la théorie portant aujourd’hui son nom. S’il perd progressivement la foi, c’est en partie parce que ses recherches scientifiques l’éloignent de la conception qu’il en avait, à la suite de la théologie naturelle de Paley, mais surtout suite à la mort tragique de sa fille Annie à l’âge de 10 ans. Il ne se fait cependant jamais vraiment à l’idée que les merveilles de la nature soient un pur produit du hasard, et conservera une forme d’agnosticisme jusqu’à la fin – refusant explicitement l’étiquette d’athée.
L’idée que Darwin aurait miné la foi dans le récit de la création en 6 jours est complètement anachronique: le pasteur anglais M. Roberts, après 25 ans de recherches, n’a pas trouvé un seul pasteur anglican qui croyait à une création en 6 jours au sens littéral dans les années 1860... Darwin a d’ailleurs maintenu toute sa vie un dialogue constructif et respectueux avec les uns et les autres – sa femme croyante, les hommes de science et les hommes d’Eglise. Par ailleurs, il est resté 40 ans un pilier (extérieur!) de l’Eglise de Down (Kent), accordant également son généreux soutien à la très évangélique South American Missionary Society.

Les preuves viennent bien plus tard
A l’instar de Galilée, Darwin avait bien peu de preuves de la théorie qu’il proposait. La découverte majeure qui donnera à la théorie de l’évolution le statut qu’elle a aujourd’hui est celle de l’ADN comme support moléculaire de l’hérédité, avec la structure en double-hélice et le code génétique (Crick et Watson, 1953). Aujourd’hui, l’ensemble des phénomènes du vivant qui ne s’expliquent qu’à la lumière de l’évolution par mutations et sélection naturelle est si impressionnante qu’elle peut difficilement être remise en cause. Pourtant, malgré l’arrogance de
Richard Dawkins, biologiste de renom, apôtre moderne d’une campagne antireligion très agressive, auteur à succès d’ouvrages de vulgarisation au demeurant extrêmement bien écrits, la théorie de l’évolution laisse des ouvertures béantes dans la cohérence de son explication. A commencer par la première moitié de l’histoire de la vie, cet océan inconnu du passage de la matière inanimée au première structures reproductives. On a imaginé de multiples scénarios, partiels, dont aucun ne convainc. Car avec le mécanisme basé sur l’ADN, ce dernier ne peut se reproduire que grâce à tout un environnement préexistant et dont il est lui-même l’architecte... à la génération précédente. Le problème de la poule et de l’œuf se cache dans la mécanique moléculaire, et le mystère n’est pas près d’être résolu. Par ailleurs, la complexité des mécanismes en jeu dans le vivant permet de douter qu’il soit le seul résultat d’un mécanisme « aveugle » d’évolution.

L’opposition surgit... 60 ans plus tard
Les idées de Darwin n’ont pas tout de suite été acceptées dans les milieux scientifiques, ni suscité d’emblée dans le monde des Eglises l’opposition qu’on imagine parfois. La théorie s’est d’ailleurs répandue notamment grâce à divers biologistes chrétiens qui la diffusèrent aux Etats-Unis dans les dernières décennies du XIXe siècle. Au début du XXe siècle, plusieurs des chercheurs majeurs du néodarwinisme sont des chrétiens convaincus. Il est par ailleurs remarquable que plusieurs des grands noms des débuts du mouvement fondamentaliste (1), dont Benjamin Warfield et James Orr, sont des évolutionnistes qui ne voient pas là de contradiction avec une saine compréhension de la création. Ce n’est qu’après 1920 qu’émerge le mouvement « créationniste », farouchement anti-évolutionniste, notamment en réaction à certains usages politiques et philosophiques douteux de la théorie de l’évolution. Ce n’est qu’en 1960 que ce mouvement – le créationnisme « jeune terre » – commence à se donner une apparence d’alternative scientifique aux théories communément admises. Confidentiel en Europe, il a de nombreux adeptes aux Etats-Unis, et a ouvert le 28 mai 2007 un gigantesque « Musée de la création » à Cincinnati (Kentucki). La même année et dans la même veine, l’auteur turc et musulman Harun Yahia envoyait tous azimuts et gratuitement son splendide « Atlas de la création », non sans inquiéter par là le Parlement européen...

Le récent mouvement du Dessein intelligent
Cependant, les affirmations de ce mouvement et de sa littérature sont si abracadabrantes qu’elles ne suscitent guère de réaction dans les milieux scientifiques. Il n’en va pas de même avec la nouvelle vague du « Dessein intelligent ». Ce mouvement remonte à la publication de « Darwin on Trial » en 1991 (traduit en français sous le titre « Le darwinisme en question – Science ou métaphysique ? ») (2). Ces idées suscitent depuis trois ans d’âpres débats en Europe, relayés dans plusieurs magazines grand public. En général pour rejeter le mouvement comme une forme de « crypto-créationnisme » déguisé. Ces critiques ne sont pas toujours sans fondement, mais les questions posées méritent d’être débattues.
Il faut pourtant rester prudent. La notion de « complexité irréductible » que certains auteurs exhibent comme preuve d’une intervention intelligente dans le processus évolutif reste assez discutable. Une deuxième question est posée à la théorie de l’évolution autour de la notion d’« information » : cette gigantesque information codée et stockée dans nos gènes, et qui, selon certaines théories mathématiques de l’information, ne pourrait pas se créer par un mécanisme quelconque sans une information initiale comparable en taille – un point de vue expliqué en détails par John Lennox, mathématicien et philosophe chrétien, qui donne la réplique à R. Dawkins dans un ouvrage paru en 2007 (3). Lennox s’est aussi illustré dans une brillante controverse avec son contradicteur le 15 octobre de cette même année, disponible sur Internet.

Pour un vrai dialogue
Le biologiste Stephen Jay Gould, à l’opposé du combat de Dawkins contre toute idée religieuse, propose une trêve en reconnaissant à la science et à la religion leurs domaines propres (NOMA = non-recouvrement des magistères). Cette sage proposition n’en reste pas moins insatisfaisante. Philosophe ou théologien, astronome ou biologiste, chacun est appelé à se poser la question du sens de la vie à la lumière de son domaine d’étude et de recherche. Le biologiste qui pense que la science a évacué Dieu et le théologien qui critique les théories scientifiques se fourvoient sans doute en sortant de leurs domaines de compétence, mais il est important qu’ils en sortent pour poursuivre un dialogue difficile, mais nécessaire et fécond.
Entre le discours agressif de Dawkins – relayé par l’athéisme soft de bon nombre de nos contemporains –, et les tentatives de retrouver une « preuve » de l’intervention divine au sein des lois de la nature, il y a place pour un vrai dialogue. Un dialogue sans crainte, aussi honnête que celui qu’a poursuivi Darwin en son temps. Un dialogue où chacun peut être rejoint au niveau des interrogations les plus profondes qui surgissent au cœur de chaque être humain. C’est là que l’on peut s’ouvrir à la découverte de Celui dont nous tirons notre origine et qui nous a aimés dès avant la fondation du monde.
Silvain Dupertuis

Notes
1 A l’époque, le terme fondamentaliste n’a rien de péjoratif, et le terme fait référence aux «Fundamentals», textes qui veulent exprimer les vérités fondamentales du christianisme face au libéralisme de l’époque...
2 Préface du Dr Anne Dambricourt Malassé, chargée de recherche au CNRS, paléoantropologue, Editions Pierre d’Angle, collection Regard critique, 1996.
3 John Lennox, God’s Undertaker, Has Science Buried God ? (Le fossoyeur de Dieu, la science a-t-elle enterré Dieu?), Kregel Publications, 2007, 192 p.

  • Encadré 1:

    Pour aller plus loin
    Il est possible d’écouter le débat entre John Lennox et Richard Dawkins. Voici aussi des renseignements sur une formation qui débute fin octobre à Lausanne : « Evolution et croyances » dans le cadre de l’UNIL.

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