Alors que le grand public a prêté beaucoup d’attention à la visite papale en région genevoise, un autre événement d’importance œcuménique a eu lieu au mêmem moment à l’autre bout de la Suisse romande. Passionnant ! (1)
Un précieux service à l’Eglise suisse !
« Si Christ est vraiment la tête de l’Eglise, personne ne peut dire qu’il leur appartient en propre. Si nous nous détournons de nos frères, nous nous détournons aussi du Christ. » Walter Dürr, la cheville ouvrière de ces rencontres, exprime ainsi la conviction qui motive le travail déployé par le Centre d’études foi et société de Fribourg pour réaliser ces journées. Pour la cinquième fois, les organisateurs ont réussi à inviter des personnes de choix pour stimuler le renouvellement de l’Eglise dans sa mission d’être présente et active dans la société. Plus de 40 intervenants d’horizons ecclésiastiques divers ont proposé des réflexions lucides et stimulantes. Quelques perles parmi beaucoup.
Impulsions pour défendre notre espérance (1 Pierre 3.15-16)
Professeur à l’Université d’Oxford, Alister McGrath était l’orateur principal pour aborder le thème de l’apologétique, la présentation argumentée et engageante de la foi chrétienne. D’après ce fan de C.S. Lewis auquel il se réfère souvent, l’apologétique consiste en trois tâches :
1. Interagir avec la culture au sujet de la religion en général et de la foi chrétienne en particulier. Nos contemporains ont des questions légitimes, et il s’agit de donner des éléments de réponses. Ainsi, certains se demandent si la croyance religieuse n’est pas irrationnelle, ou encore si la foi ne conduit pas à la violence.
2. Expliquer ce qui est particulièrement attrayant dans le christianisme. Ici, le témoignage personnel peut trouver sa place. Et il en sort de celui d’Alister McGrath lui-même que, pour cet ancien athée, c’est le sens que la perspective chrétienne propose pour l’ensemble de l’existence du monde qui l’a attiré vers Christ. La foi chrétienne offre des vérités transformatrices que des histoires personnelles peuvent illustrer.
3. Traduire le langage de la foi. Depuis un certain temps déjà, notre culture n’est plus familière avec les termes qui expriment notre foi. Par exemple, à entendre parler de justification, nos contemporains penseront plutôt d’abord au fait de s’excuser pour un retard. Nous devons déjà comprendre le langage d’aujourd’hui, puis trouver des manières de traduire les termes clés de notre foi en langage contemporain. De par nos différentes situations de vie et nos relations respectives, chacun de nous est dans une position spéciale pour réaliser cette traduction et rendre compte de sa foi.
Alistair McGrath insiste aussi sur le fait que l’apologétique est bien rationnelle, mais non rationaliste. Ainsi, la foi chrétienne est attractive non seulement pour la raison, mais aussi pour les émotions et l’imagination. Elle fait appel à la raison en ce qu’elle est cognitivement vraie ; aux émotions parce qu’elle répond aux aspirations les plus profondes de l’être humain telles la vérité, la beauté et la bonté, mais aussi le besoin de pardon et de guérison ; à l’imagination parce qu’elle offre une rationalité plus profonde qu’uniquement celle qui s’adresse à la raison. Là de nouveau, les histoires personnelles sont significatives.
Le professeur d’Oxford a fait une démonstration concrète d’une telle approche dans une autre conférences autour de la doctrine de l’incarnation.
L’apport de McGrath a été richement complété par l’intervention d’autres théologiens, certains en devenir, d’autres confirmés : sous forme de témoignages personnels par des étudiants en théologie, et d’exposés, dont celui du Professeur Matthias Zeindler de l’Université de Berne qui était particulièrement pertinent.
Nous sommes crées pour la joie et la bénédiction ! Le saviez-vous ?
Un thème est revenu à plusieurs reprises lors des rencontres : celui des trois offices du Christ – prophète, prêtre et roi – chers notamment à Jean Calvin. Le théologien et évêque anglican Graham Tomlin, connu pour sa connexion avec l’Eglise Holy Trinity Brompton, à l’origine des cours Alpha, s’est concentré sur Jésus comme vrai grand prêtre (2). La logique de « l’économie divine de bénédiction » au cœur de l’argumentation est à la fois simple et profonde.
En résumé :
1. Le but de la création est la joie : celle de Dieu et la nôtre. Mais comment cette joie peut-elle se réaliser dans un monde déchu ? Réponse : au travers du don de Jésus-Christ.
2. L’être humain a été appelé à un rôle d’intermédiaire entre Dieu et l’ensemble de la création pour en prendre soin, la protéger et la faire fructifier. En d’autres termes : être un moyen de bénédiction à son égard.
3. Par son incarnation, sa vie, sa mort et sa résurrection, Jésus restaure l’humanité dans son appel. Il est médiateur entre Dieu et les hommes, représentant Dieu parmi les hommes et les hommes devant Dieu. Par sa vie accomplie, il restaure la vie humaine et devient le prototype d’une humanité fidèle à son appel. Il offre une vie humaine accomplie à Dieu le Père.
4. Ceux qui sont « en Christ » partagent son ministère de prêtre.
5. Au sens large, ce ministère de médiation, de perfectionnement et d’offrande à la suite du Christ se manifeste d’une manière triple :
a) Au travers de la prêtrise de l’humanité dont l’appel à représenter Dieu envers le reste de la création et la création devant Dieu pour la bénédiction de l’ordre créé demeure valable.
b) Au travers de la prêtrise de l’Eglise qui, elle, est appelée « en Christ » à se tenir dans l’humanité pour la bénir de la part de Dieu au travers, d’une part, du perfectionnement des êtres humains (intercession et bénédiction), et d’autre part, de l’offrande du monde à Dieu (évangélisation et culte rendu à Dieu).
c) Les responsables et ministères dans l’Eglise (laïcs et professionnels) sont appelés à leur tour à exercer leur appel de rendre l’Eglise capable d’être Eglise. Faisant partie de l’Eglise, ils sont aussi appelés à un service en son sein en vue de la maturation du peuple de Dieu, dans le sens de ce que Paul dit au sujet de l’Eglise de Colosses : les responsables et ministères de l’Eglise servent « afin de présenter à Dieu toute personne devenue adulte en Jésus-Christ » (Colossiens 1.28b).
Cette « économie divine de bénédiction » se résume ainsi : les responsables/ministres bénissent l’Eglise à l’Eglise bénit l’humanité à l’humanité bénit la création. Comme l’indique le titre du livre de Graham Tomlin, Le Cercle qui s’élargit, cette logique s’illustre par un cercle qui s’agrandit par couches successives qui s’ajoutent de manière concentrique à partir du centre où il y a le Christ. Une belle manière de concevoir la mission de l’Eglise « en Christ » dans le monde, pour sa joie, la nôtre, et celle de Dieu !
Le père abbé et le pasteur théologien, ou l’œcuménisme par la com-passion !
L’occasion de côtoyer des sœurs et frères de milieux ecclésiaux forts différents lors de telles journées participe beaucoup à l’unité de l’Eglise. Mon regard sur telle famille d’Eglises change lorsque je peux identifier un ou des visages de personnes qui y appartiennent. Cette réalité a été illustrée de manière inattendue vendredi après-midi, à l’occasion d’un échange personnel public entre Urban Federer, père abbé d’Einsiedeln et membre de la Conférence des évêques suisses, et Gottfried Locher, pasteur-théologien et président du conseil de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse. Les participants ont pu faire connaissance avec les deux lors de leurs conférences respectives données vendredi matin. Urban Federer a insisté sur l’importance d’être « collaborateurs en Christ », ce qui implique aussi de lui ressembler dans la souffrance, alors que beaucoup aujourd’hui raisonnent presque exclusivement en termes de succès ou d’échec. Quant à Gottfried Locher, il n’a pas hésité à aborder ce qui officiellement et formellement sépare toujours les catholiques des autres Eglises chrétiennes. Voilà qui invite à continuer à « se disputer joyeusement » sur ce que veut dire : être Eglise.
Durant l’échange personnel final, les deux représentants catholique et réformé ont ouvert leur cœur sur leurs manières de se ressourcer spirituellement, puis sur les défis inhérents à leurs positions qui les exposent facilement aux feux de la critique. Pour Gottfried Locher, c’est l’occasion d’apprendre à s’abandonner entre les mains de Dieu, de se rendre compte de ce que c’est que de faire face à des défis qui sont plus grands que lui, et de prier : « Que ta volonté soit faite ! » Urban Federer, qui a appris à connaître son collègue réformé, précise ainsi l’entrée dans la compassion au travers de cette relation : « Dans une occasion comme celle que nous vivons ici, l’œcuménisme est facile. Mais dans ce lien (avec mon frère), j’apprends ce que cela signifie si quelqu’un ne va pas bien. Souffrir avec – son problème est aussi mon problème. Auparavant j’aurais pensé : ‘En fait, cela ne me concerne pas’. » Et Locher de terminer : « Ce qu’on peut souhaiter de l’autre, c’est un ‘souffrir avec’ plus perceptible, alors qu’auparavant on se serait plutôt ‘réjoui’ des problèmes des autres. Nous avons tous besoin de sympathie ! »
Voici l’œcuménisme par la com-passion. A méditer.
Comme en 2017, une célébration œcuménique à la Cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg a conclu ces rencontres riches en réflexion, en émotion, et en adoration de Celui qui est le Centre et en qui nous sommes.
Thomas Salamoni