Face à la crainte d’un islam radical à la conquête de l’Occident, beaucoup se demandent s’il ne faudrait pas voter en faveur de l’initiative populaire «contre la construction de minarets» en Suisse, afin de s’opposer à ce qui est perçu comme une prétention à la domination politico-religieuse, contraire aux valeurs démocratiques et aux droits humains. Par ailleurs, entend-on dire, pourquoi ouvririons-nous toute grande la porte aux musulmans en Suisse, alors que dans leurs pays d’origine, les minorités religieuses n’ont pas cette liberté, voire même sont persécutées? L’acceptation de cette initiative permettrait-elle effectivement de mettre un frein à l’islam radical? Est-ce une initiative justifiée par un prétendu principe de réciprocité, qui voudrait que l’on ne saurait accorder aux musulmans de construire des minarets en Suisse tant que dans les pays musulmans les minorités chrétiennes, et en particulier les anciens musulmans convertis au christianisme, ne sont pas libres d’exercer leur foi? Enfin, cette initiative est-elle réellement nécessaire au vu du droit suisse actuel?
Une initiative efficace pour faire reculer l’islam radical?
Rien ne laisse à penser que l’interdiction de la construction des minarets ferait obstacle à l’islam radical en Suisse. Bien au contraire, ce dernier pourrait se retrouver renforcé par ce qui serait ressenti comme de l’hostilité à leur égard et provoquer ainsi un repli identitaire. Cette initiative ne s’attaque pas aux vrais problèmes que peut poser l’islam radical en Suisse. En revanche, il serait bon de mener une réflexion plus large, en dialogue avec toutes les parties concernées de la société suisse, en vue de savoir comment les vraies menaces liées à l’islam radical peuvent être traitées de manière adéquate.
Une initiative justifiée par le manque de liberté religieuse en pays musulman?
La liberté religieuse, telle que protégée par le droit international (1), comporte deux dimensions. Elle implique d’une part la liberté d’adhérer librement à n’importe quelle croyance en son for intérieur (forum internum). Ceci inclut logiquement une totale liberté de changer de croyance. D’autre part, elle inclut un droit de manifester sa religion ou sa conviction «individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques ou l’accomplissement des rites» (forum externum). La construction de minarets entre dans le cadre de ces manifestations de la religion musulmane, et fait partie intégrante de la liberté religieuse. Interdire totalement la construction de minarets amènerait ainsi la Suisse à violer le droit à la liberté religieuse, un principe auquel les chrétiens de Suisse sont pourtant très attachés (2).
De plus, en introduisant dans la Constitution une disposition qui vise spécifiquement une religion et non les autres, la Suisse violerait également le principe de non-discrimination, lui aussi protégé par les conventions de droits humains auxquelles la Suisse a adhéré. En effet, introduire un traitement différencié entre les constructions servant à l’appel à la prière pour les musulmans, et les constructions similaires concernant d’autres religions ou croyances serait clairement discriminatoire.
Pour ces raisons, il y a fort à parier que, si elle était acceptée, cette disposition conduirait tôt ou tard à une condamnation de la Suisse devant la Cour européenne des droits de l’homme.
La crainte d’un islam radical et liberticide ne devrait pas nous conduire à porter atteinte aux libertés fondamentales. Alors que nous réclamons à juste titre que la Suisse s’engage pour davantage de liberté religieuse dans les pays où les chrétiens sont des minorités persécutées, nous nous tirerions une balle dans le pied, et perdrions toute notre crédibilité, si dans notre propre pays, nous adoptions une disposition discriminatoire et contraire à cette liberté qui nous est pourtant chère.
Une initiative nécessaire pour combler un vide juridique?
Les dispositions relatives à la liberté religieuse prévoient qu’une manifestation de la religion puisse être limitée, si cette limitation est prévue par la loi, qu’elle poursuit un but légitime et qu’elle est nécessaire dans une société démocratique. La liberté religieuse n’exige donc pas de la Suisse qu’elle autorise systématiquement la construction et l’usage de minarets en toutes circonstances. En effet, un minaret depuis lequel se ferait l’appel à la prière porterait atteinte notamment à la liberté religieuse de la personne qui serait forcée d’entendre une prière qui ne correspond pas à sa croyance. Un tel appel à la prière peut donc légitimement être refusé. Il en irait de même de la construction d’un minaret surdimensionné.
Or, justement le droit suisse existant prévoit déjà des limitations à la construction de minarets en Suisse. Cette dernière est soumise aux lois de la construction, qui exigent qu’une construction ou une installation ne soient pas créées ou transformées sans l’autorisation de l’autorité compétente. Il ne faudrait pas croire que sans l’adoption de cette initiative populaire, la construction des minarets se ferait en dehors de tout contrôle des autorités. De plus, celles-ci ont également compétence pour assortir leur décision de conditions, comme par exemple l’interdiction de l’appel à la prière. Cette pratique est également restreinte par les dispositions relatives aux nuisances sonores que l’on trouve dans la loi sur la protection de l’environnement.
Une démarche qui porte atteinte à la crédibilité de la Suisse !
L’initiative contre les minarets manque sa cible. Acceptée, elle ne fera pas reculer l’islam radical, mais au contraire, risquerait d’aliéner la population musulmane de Suisse; elle portera atteinte à la crédibilité de la Suisse lorsque cette dernière voudra s’engager pour la protection des minorités religieuses; et elle ne semble pas nécessaire au regard du droit suisse existant, qui nous paraît équilibré et suffisant. Ne nous trompons donc pas de combat ! Permettons aux musulmans de Suisse d’exercer leur religion, dans le cadre existant qui est clair, limité et défini. Surprenons-les par notre accueil et notre amour, qui est une arme bien plus puissante contre la progression de l’islam radical. Et battons-nous plutôt pour que nos Eglises, notre société et notre gouvernement en fassent davantage pour les minorités religieuses, notamment chrétiennes, qui de par le monde souffrent pour leur foi.
Michael Mutzner
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Notes
1) Notamment l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, deux traités ratifiés par la Suisse
2) Pour ceux qui souhaitent approfondir la question de l’incompatibilité de l’initiative populaire avec le droit international des droits de l’homme, je recommande vivement la lecture du Message du Conseil fédéral suisse 09.061 du 27 août 2008 .