Comment percevez-vous la situation actuellement dans la bande sahélo-saharienne ?
La situation est difficile pour ces pays qui sont déjà dans une situation très fragile. Le Burkina Faso, le Niger et le Mali sont confrontés au développement du djihadisme qui affecte les communautés qui vivent dans ces zones. Les communautés religieuses, parmi lesquelles les communautés chrétiennes, sont devenues une cible privilégiée de ces groupes terroristes.
Combien de personnes ont-elles été victimes de cette violence djihadiste l’an dernier ?
On parle de 4'000 victimes sur l’ensemble des pays de cette bande sahélienne. Ces pays paient donc le prix fort !
En Europe, on a été surpris d’apprendre qu’au Burkina Faso des communautés chrétiennes étaient attaquées et que de pasteurs ont même été tués…
Malheureusement, c’est la réalité ! L’année dernière, des Eglises sont devenues des cibles de ces groupes terroristes qui s’attaquent à des chrétiens et à leurs lieux de culte.
On dit qu’une cinquantaine de chrétiens ont été assassinés…
Au bas mot ! Nous ne disposons pas de statistiques officielles. Des Eglises catholiques comme des Eglises protestantes ou évangéliques sont ciblées. Ces communautés vivent dans des milieux reculés et nous n’avons pas toujours la possibilité de faire remonter tous les chiffres. Au bas mot, on peut dire qu’il y a une cinquantaine de personnes, y compris des pasteurs et des prêtres catholiques, qui ont été assassinées et de nombreuses Eglises qui ont été brûlées.
2000 écoles ont également été fermées et 300'000 enfants n’ont plus de classes…
Cela fait partie des conséquences que subissent ces pays et particulièrement le Burkina Faso. Aujourd’hui, le nord de ce pays se vide de sa population et on parle d’un demi-million de déplacés à l’intérieur du Burkina.
Ces gens ont donc migré vers le sud…
La population ne se sent plus en sécurité. Les habitants ont quitté leurs maisons et tout abandonné pour migrer plus au sud. La fermeture de ces écoles et le non-enclassement de tant d’élèves est inquiétant. Cela peut créer un effet domino. Que vont devenir ces enfants sans école et sans scolarisation ?
On peut imaginer qu’ils peuvent devenir une proie facile pour les groupes islamistes…
Exactement. Ces enfants pourraient constituer une nouvelle génération de combattants, si on ne trouve pas un moyen de les reloger et de leur redonner la classe. Il y a urgence aujourd’hui au Burkina ! Il y a urgence aujourd’hui dans le Sahel ! Il y a tous les ingrédients d’une catastrophe humanitaire de grande ampleur.
Dans l’Index de la persécution que votre ONG publie chaque année, le Burkina Faso fait son entrée dans l’édition 2020 (1) et occupe la vingt-huitième place des pays où la persécution des chrétiens est la plus importante...
C’est la conséquence logique de la montée de l’intégrisme islamique et de ces attaques qui affectent les communautés chrétiennes du nord du Burkina…
Qui sont ces groupes islamistes ? Quelle est leur idéologie ?
Il y a une multitude de groupes qui opèrent dans cette bande sahélienne. Certains sont affiliés à Al Qaïda, d’autres à l’Etat islamique, d’autres sont des groupes qui opèrent de manière autonome et qui agissent à partir du Mali en traversant les frontières.
Quel est leur objectif ? La mise en place d’un Etat que l’on pourrait appeler le « Sahélistan » ?
Ils ont ceci en commun : une vision assez radicale de l’islam et ils tentent de l’imposer aux autres. Dans leur quotidien, ils s’attaquent à tous ceux qui ne partagent pas cette idéologie. Ils s’attaquent à des chrétiens, parce qu’ils ne sont pas musulmans, mais aussi à des musulmans modérés qui ne partagent cette interprétation rigoriste de l’islam.
Qu’est-ce qui fait que ces musulmans se radicalisent de la sorte ?
Il y a un ensemble de phénomènes. On peut justifier cela par la pauvreté. Ces islamistes s’adressent à des personnes fragiles et sensibles à un certain discours, et ces dernières finissent par épouser cette idéologie. Les personnes qui s’engagent dans ces groupes sont des gens sans perspectives, des jeunes désoeuvrés, et ils sont à la merci de ces marchands d’illusions.
La violence islamiste devient-elle leur raison de vivre ?
Ces groupes leur font miroiter des moyens économiques qu’ils n’ont pas, de l’argent, mais aussi le pouvoir que l’on acquiert en possédant une kalachnikov… Cela donne un pouvoir immense qui les met au-dessus des autres, qui leur donne la capacité d’aller s’attaquer à leur propre communauté, de piller et ainsi de posséder ce à quoi ils n’avaient pas droit en temps normal.
Les autorités locales sont-elles démunies ?
Elles sont dépassées par ce phénomène. Rappelons que les Etats de cette bande sahélienne sont fragiles. En temps normal, ils sont classés parmi les plus pauvres de la planète et doivent prélever dans leurs maigres ressources, destinées en priorité à l’éducation, à la santé et au développement, des fonds pour soutenir l’effort de guerre. Ces Etats luttent contre cette insurrection avec les moyens qui sont les leurs et avec les résultats que l’on connaît : des résultats très mitigés !
Quelles sont les solutions face à cette montée du djihadisme dans la bande sahélienne ?
Il n’y a pas de solutions simples. Il n’y a pas de solution unique. Il faut une approche globale qui prenne en compte toute la problématique. Il s’agit d’abord d’un problème de développement et de pauvreté. Ces pays sont fragiles et c’est cela qui rend ces populations également fragiles.
Dans ce contexte, quel rôle peuvent jouer les Eglises ?
Les Eglises peuvent jouer un rôle de premier plan, parce qu’elles sont sur le terrain, en étant à la fois acteurs et victimes. Elles sont acteurs, parce qu’elles participent aux efforts de développement, tant les Eglises catholiques que protestantes, à travers des œuvres caritatives. Elles sont investies dans l’éducation, dans le développement, mais aussi dans le secours d’urgence avec maintenant ces milliers de déplacés qu’il faut loger et nourrir. L’Eglise est donc à l’avant-garde en fournissant des vivres, en fournissant des tentes, en essayant de reloger ces populations déplacées, mais il faut aussi promouvoir la coexistence pacifique…
Et là il y a quelque chose d’intéressant qui s’est passé l’année dernière : la publication d’une déclaration commune dans laquelle vous étiez impliqué (2)…
Les Eglises évangéliques du Burkina Faso ont publié une déclaration pour appeler et alerter sur les risques d’embrasement de ce pays qui a une histoire de tolérance reconnue. Les Eglises s’inquiètent de voir cette culture de tolérance menacée. Au Burkina Faso, musulmans, animistes et chrétiens ont l’habitude de vivre en parfaite symbiose. Mais aujourd’hui, il y a risque d’opposer des communautés sur des bases ethniques, mais aussi sur des bases religieuses. D’où l’inquiétude des chrétiens et d’où l’appel de ces Eglises à promouvoir le vivre ensemble et cette cohésion sociale reconnue, que ce soit au Burkina, mais aussi dans les autres pays du Sahel : le Mali et le Niger.
Propos recueillis par Serge Carrel