Le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, de 12 personnes assassinées froidement… laisse sans voix ! La consternation devant l’horreur nous gagne et pourrait nous laisser dans un silence pétrifié ! Pourtant derrière ces assassinats, il y a la volonté de faire taire l’exercice d’un droit intimement lié à la liberté d’expression : le droit au blasphème, le droit de profaner le religieux. La défense de ce droit mérite de lever haut sa plume !
Les évangéliques profanateurs !
Au premier abord, les évangéliques sont peu enclins à goûter à ce genre d’exercice. Et pourtant losqu’on y regarde de plus près, leur propre histoire regorge de profanations du religieux en place, légitimé par la force publique.
Au XVIe siècle à Zurich, plusieurs personnes participent au renouveau de la Réforme en affichant des idées différentes de celles du Réformateur Ulrich Zwingli. Au début, Zwingli et les Conrad Grebel ou Felix Manz sont amis. Mais très rapidement, ceux qui seront appelés plus tard « anabaptistes » expriment d’autres opinions sur des questions comme le baptême des enfants ou le rôle de l’Etat dans le domaine religieux. En profanant le sacré de l’époque, ces évangéliques rompent avec les idées dominantes, et même blasphèment selon les bien-pensants. La riposte de la force publique ne se fait pas attendre : plusieurs anabaptistes finissent noyés dans la Limmat.
Nos Eglises en Suisse romande se rattachent historiquement au Réveil qui traversa le protestantisme du début du XIXe siècle. A ce moment-là, des étudiants en théologie redécouvrent un christianisme théologiquement plus traditionnel. La divinité du Christ y est réaffirmée. Sa résurrection aussi. Ces étudiants goûtent à l’importance d’une rencontre personnelle avec le Christ. Ils profanent le sacré de l’époque et connaissent rapidement des difficultés avec les autorités ecclésiastiques. Ils ouvrent alors des groupes proches de leurs idées et certains sont emprisonnés, puis bannis...
Des personnes habitées d’un idéal ou d’une vision du monde différente doivent pouvoir déboulonner le sacré du jour. Au coeur de l’histoire des évangéliques, il y a une invitation à la liberté de conscience et à la possibilité de critiquer tout discours religieux.
Jésus, un blasphémateur !
D’ailleurs, Jésus de Nazareth n’a-t-il pas été un profanateur audacieux du sacré solidement en place et même un blasphémateur des réalités religieuses les plus intouchables de son temps ? Prenez le débat autour des guérisons le jour du sabbat (Mc 3.1-6). Les bien-pensants sont choqués que Jésus guérisse ce jour-là. Et lui de transgresser cette pratique et de lui redonner son sens en disant : « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat... » (Mc 2.27).
Lorsque Jésus chasse les vendeurs du Temple, il se permet de rappeler un endroit sacré à sa fonction première : celle de maison de prière (Mc 11.15-18). L’un des motifs de sa mise à mort sur la croix réside, pour la plupart des spécialistes, dans une parole sur le Temple où Jésus n’hésite pas à désacraliser cette institution centrale de la religion juive en disant : « Je détruirai ce temple et en trois jours j’en rebâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d’homme » (Mc 14.58)...
Le religieux n’est pas bon en lui-même. Il est toujours ambivalent. Il peut être l’occasion extraordinaire d’humanisations et de promotions de notre humanité. Il peut aussi être la source d’excès scandaleux : manipulation des foules, asservissement d’un sexe par l’autre, incitation à la violence, violation de droits humains fondamentaux...
D’où le droit inaliénable de le dénoncer, de le caricaturer… et de blasphémer contre des prétentions, qu’elles soient chrétiennes, musulmanes… ou même athées ! « Je suis Charlie » !
Serge Carrel
Rédacteur en chef de lafree.ch, site évangélique d’information