« Une spiritualité et une théologie pour donner sens au travail » par Michaël Gonin

Michaël Gonin vendredi 22 avril 2016

Aujourd’hui, aux yeux de beaucoup, le travail doit être une source d’épanouissement. Michaël Gonin, spécialiste en réflexion éthique, prend note de cette tendance lourde de notre société. Il propose un éclairage chrétien qui laisse entrevoir à quelles conditions notre labeur quotidien, quel qu’il soit, peut devenir épanouissant. A intégrer.

Le monde post-moderne rêve d'un travail épanouissant au sein d'une équipe sympathique dans une entreprise qui cherche à produire davantage qu'uniquement un rendement financier. Idéalement, notre travail devrait offrir quelque chose de transcendant ou de « spirituel » qui permette l'épanouissement.

Avons-nous quelque chose à apprendre de cette soif de spirituel au travail, observée même parmi les chrétiens? Christ n'offre-t-il pas l'épanouissement par excellence (d'une manière bien précise, mais épanouissement quand même)? Peut-être que la quête de sens de nos contemporains est l'occasion de revisiter le sens du travail pour le chrétien.

Spiritualité chrétienne du travail

En nous invitant à porter notre croix et à le suivre, Dieu fait de la spiritualité chrétienne un style de vie qui soumet chaque instant de notre journée – et donc chacune de nos activités – au Christ, Seigneur de tout l'univers (Mt 16.21-27).

Toutes nos activités font ainsi partie de notre cheminement avec Christ – de notre vie spirituelle. L'Esprit de Dieu, qui crie « Abba Père » en nous (Rm 8.12-17), nous pousse donc à « chercher d'abord le Royaume de Dieu » dans chacune de nos activités quotidiennes (Mt 6.25-34).

Ainsi, il ne s'agit pas uniquement de vivre un peu de spiritualité au travail, par exemple au travers d'un groupe de prière (même si c'est bien !), mais, plus fondamentalement, de redécouvrir une spiritualité du travail. Nos activités quotidiennes peuvent ainsi être redéfinies par exemple en termes de louange rendue à Dieu (quand je fabrique quelque chose, je glorifie le Dieu Créateur) ou de service aux autres (quand j'offre un service, je reflète l'exemple ultime du service en Christ). Ces activités font partie de notre cheminement à la suite du Christ, présent à nos côtés dans nos tâches quotidiennes aussi (Mt 28.18-20).

Une telle spiritualité du travail nous tourne vers l'autre – qui qu'il soit dans nos contextes de travail respectifs. Elle évite que notre recherche d'épanouissement devienne narcissique et notre prière un instrument centré sur nous-mêmes (voir par exemple le Sermon sur la montagne dans Matthieu 5 à 7). Elle requiert néanmoins une clarification de notre théologie du travail.

Clarifier sa théologie du travail

En affirmant que le travail est soumis à l'autorité de Christ et fait partie de notre cheminement spirituel, nous avons déjà, implicitement, défini sa place et sa raison d'être. Le travail n'est pas une activité « neutre » que nous faisons en journée, en attendant les activités spirituelles à l’Eglise. Une telle distinction n'existe pas dans le Nouveau Testament. Le travail résulte non de la chute, mais du mandat originel de prendre soin et de cultiver notre terre, tout en prospérant en tant que communauté intégrée dans notre environnement sociopolitique et naturel (par exemple Gn 1.26-28; 2.15-19; Dt 24.14-22; 28.1-14).

En servant les autres, en exprimant notre solidarité, en renforçant la communauté et en valorisant les ressources naturelles, notre travail reflète certains traits de caractère de Dieu, tels que sa générosité, sa créativité, son amour concret pour les gens et sa bienveillance, et donc le glorifie. Ceci est vrai pour un missionnaire autant que pour un boulanger, pour un parent au foyer autant que pour un garagiste, pour un chômeur, un infirmier, un retraité, autant que pour un opticien. Notre vocation d'humains inclut un appel à nous engager dans nos activités, quelles qu'elles soient, et à honorer Dieu au travers de celles-ci (pensez au roi David, à Ruth la glaneuse, à Betsaléel l'orfèvre, à Daniel le superintendant, à Paul le faiseur de tentes et à tant d'autres). Du moment que nous travaillons dans un esprit d'amour, de service et d'humilité, avec une soif du Royaume, et dans la soumission ultime à Christ, il importe peut-être peu de travailler dans le monde « séculier » ou dans le monde « sacré » – pour autant que ce dernier existe !

De plus, Dieu ne fait pas nécessairement de différences entre un travail rémunéré ou bénévole. Toutes nos activités, y compris nos loisirs, ont la même fonction: refléter le caractère entrepreneur, bienveillant et social de Dieu, le glorifier et faire avancer son Royaume. En ce sens, nos activités sont fondamentalement bonnes et ont de la valeur aux yeux de Dieu.

Et maintenant?

Le mystère de l'épanouissement au travail réside donc dans le fait qu'il fait partie du plan de Dieu pour l'humain et que ce plan est le seul chemin vers l'épanouissement. Il fait donc partie, d'une certaine manière, de ma vie spirituelle. Certes, la chute a tordu les choses et beaucoup de « jobs » aujourd'hui sont conçus de manière dégradante. Mais le travail n'est pas devenu fondamentalement mauvais en soi. Il n'est ni une corvée ni un épanouissement en tant que tel, mais un service témoignant des diverses facettes de Dieu. Pour cela, il doit être « racheté » et devenir part de ma vie de foi à la suite du Christ. L'épanouissement passe ainsi, paradoxalement, par une « mort à moi-même », aussi dans mes activités, pour que Dieu puisse me « ressusciter » dans ces mêmes activités. Cela implique notamment que:

  • mes diverses activités ne forment pas juste un patchwork mais, s'intègrent dans un plan plus grand que Dieu a pour ma vie. Je peux demander à Dieu de m'aider à saisir la vision d'ensemble qu'il a pour mes activités (celles dites « chrétiennes » autant que celles dites « séculières ») et peut-être voir si l'une ou l'autre devrait être abandonnée, faute de sens dans le projet de Dieu pour ma vie aujourd'hui;
  • mes activités ont de la valeur et un sens aux yeux de Dieu qui apprécie leurs contributions au développement sain de nos sociétés – sociétés qu'il aime. Je peux demander à Dieu de me révéler la contribution qu’il apprécie dans mes activités quotidiennes, et ainsi invoquer sa bénédiction sur ces activités pour qu'elles contribuent au mieux à un développement sain de nos sociétés. Je peux également lui demander de voir la valeur des activités des personnes autour de moi, spécialement celles que j'aurais tendance à dénigrer;
  • Dieu utilise mes activités – ainsi que leurs joies, peines et défis – pour forger mon caractère, accroître mon expérience et me permettre de grandir dans la foi. Je peux demander à Dieu de mieux voir comment il utilise mes activités pour me former et le remercier pour l'œuvre qu'il accomplit en moi;
  • ma valeur ne vient pas du travail que j'ai ou que j’aimerais avoir, ni du regard des gens, mais de ce que Dieu m'a choisi(e) et m'aime – pas seulement en théorie, mais aussi en réalité! Je peux donc prier pour donner à mes activités et mes ambitions leur juste place (ni plus, ni moins) dans mon emploi du temps, mes préoccupations et la construction de mon identité. C'est la condition pour pouvoir discerner l'appel de Dieu sur ma vie quotidienne, et y entrer avec confiance et courage. Je suis également invité à m'engager pour limiter les conséquences de la chute sur le travail et respecter la dignité de chacun dans son travail;
  • et finalement, mes activités faisant partie de mon cheminement spirituel, elles sont d'intérêt pour mon Eglise. Cette dernière doit être un lieu qui accompagne les membres dans leurs diverses activités, les prépare et les inspire afin qu'ils puissent être soutenus dans leurs cheminements spirituels respectifs à « chaque instant de chaque jour ». Nous prions et investissons pour former et soutenir nos missionnaires, et c'est bien ainsi. Osons investir pour préparer ceux qui veulent servir Dieu ici et maintenant, dans leur quotidien – quel que soit leur appel! La moisson est bien assez grande.

Michaël Gonin

  • Encadré 1:

    Bio express : Michaël Gonin

    Après un doctorat en éthique économique, Michaël Gonin poursuit ses recherches en lien avec la Faculté de théologie évangélique de Regent College à Vancouver (Canada). Avec son épouse Marielle et leurs trois enfants, il vient d’y passer 15 mois en recherches autour de la théologie du travail et du rôle de l’Eglise dans la société.

  • Encadré 2:

    Deux temps de formation avec Michaël Gonin

    Du 7 au 12 août, Michaël Gonin donnera des conférences en soirée dans le cadre du cours d’été de l’Institut biblique et missionnaire Emmaüs autour de deux thèmes : « Le travail : corvée ou vocation ? » et « Une spiritualité du travail ». Il interviendra aussi dans le cadre du FREE COLLEGE le samedi 8 octobre à Yverdon-les-Bains autour du thème : « Les chrétiens et le monde du travail ».

    Plus d’infos :

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