La population suisse va être amenée le 9 février à voter sur l'extension de la norme pénale antiraciste pour inclure l'orientation sexuelle. Cela signifierait que des personnes pourraient être poursuivies, et même poursuivies d'office, pour avoir incité à la haine ou à la discrimination envers une personne en raison de son orientation sexuelle, pour avoir « abaissé ou discriminé d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine », pour avoir nié le droit à l'existence ou à l'égalité une catégorie de personnes sur la même base, ou pour avoir refusé une prestation offerte au public pour cette raison.
Les chrétiens ne sauraient cautionner l’appel à la haine !
Dans les grandes lignes, l’objectif est louable, et les chrétiens ne sauraient cautionner l’appel à la haine ou la négation de la dignité humaine. Cependant, cette modification législative pose de sérieuses questions quant à son application dans un futur proche ou lointain.
Ainsi, sur l’appel à la haine et la discrimination, les chrétiens ne sont censés haïr personne, et, si même ils avaient des ennemis, ils seraient appelés à les aimer et à les bénir. Et pour l’heure, l’application en Suisse de la norme pénale antiraciste demande qu’il y ait objectivement appel à la haine pour qu’il y ait condamnation. Sur cette base, les chrétiens devraient pouvoir dormir sur leurs deux oreilles, et ceux qui ne le peuvent pas devraient apprendre à tenir leur langue !
Museler l’opposition à des demandes LGBT+
Par contre, l’actualité montre qu’à l’international, l’accusation d’appeler à la haine (« hate speech », « homophobie ») est utilisée dès qu’une personne ou un groupe « se sent » offensé – et la tactique a été utilisée pour museler l’opposition à des demandes formulées par les groupements LGBT+ ou autres. Ainsi cet automne, la philosophe Sylviane Agacinski a dû annuler une conférence à l’Université de Bordeaux parce que des groupements estimaient que sa mise en cause de la technicisation du corps humain et de la reproduction était homophobe. Si une telle interprétation de l’appel à la haine était un jour acceptée en jurisprudence, il en serait fait de la liberté de parole. Et même si les juges gardaient une interprétation restrictive de la notion, il y a fort à parier qu’ils auraient à gérer une avalanche de plaintes dès qu’une revendication LGBT+ serait mise en cause.
Et le refus de prestations ?
Une autre question d’interprétation porte sur la notion d’une prestation refusée en raison de l’orientation sexuelle. En soi, le texte de loi parle d’un refus adressé à une « personne » en raison de son « orientation » sexuelle. Cela concernerait une réaction telle que : « Je refuse de te couper les cheveux, parce que tu es gay », réaction qu’on ne saurait cautionner. La question qui se posera tôt ou tard, c’est le statut du refus d’une prestation qui concerne un couple en raison de la nature homosexuelle de ce couple. La bénédiction d’un mariage par un pasteur ne serait pas concernée, parce que nous n’avons pas de « marriage chapel » comme aux États-Unis, où les tarifs sont annoncés publiquement ; nos pasteurs accompagnent des couples vers le mariage sur la base d’une relation personnelle, et n’offrent pas une prestation destinée à l’usage du public. Par contre, on peut imaginer le cas d’une Église qui annonce publiquement louer sa salle pour des mariages, et ne voudrait pas qu’une union homosexuelle soit célébrée dans ses locaux. En soi, je soutiens que cela ne devrait pas être puni par la nouvelle norme, parce que c’est l’évènement et non les personnes qui sont visées. Prenons un parallèle avec le cas des religions : refuser une prestation à une personne en raison de sa religion est bien entendu punissable. Par contre, il est tout à fait coutumier qu’une salle ne puisse pas être utilisée pour un événement religieux, et cela n’est pas pris comme discrimination contre les personnes en raison de leur religion. Mais peut-on garantir que la jurisprudence suivra cette distinction de bon sens ? Dans l’atmosphère actuelle, je crains que non.
En justice pour avoir dissuadé de pratiques homosexuelles ?
De même, la norme actuelle interdit de discriminer une personne en raison de sa religion, ou de propager une idéologie visant à la rabaisser ou à nier son droit à l’égalité ou à l’existence. À ma connaissance, cette loi n’a jamais signifié qu’on ne pouvait pas argumenter sur les religions, et qu’un athée ne pourrait pas dire à un chrétien les raisons qu’il voit de penser que la foi chrétienne est erronée et que le chrétien devrait abandonner sa pratique et sa croyance. Par analogie, avec l’extension de la norme, il devrait être licite d’expliquer pourquoi nous ne croyons pas que l’homosexualité correspond à la plénitude du dessein de Dieu pour la sexualité, tant que l’on n’appelle pas à la violence ou à la coercition. Mais là encore, peut-on garantir une jurisprudence raisonnable ? Ne doit-on pas craindre des plaintes injustifiées ?
Des craintes légitimes
En bref, le sujet est difficile, parce que le texte en soi se prête à une interprétation raisonnable, mais que l’atmosphère sur ces questions donne à craindre qu’il soit utilisé d’une manière abusive. Je crois que nous avons des craintes légitimes à exprimer, mais qu’il faut prendre garde de ne pas sembler revendiquer un « droit de haïr ». Et tout ramener à la liberté d’expression est une tactique dangereuse, parce qu’on sait bien qu’en fait la liberté d’expression a des limites, et ceux dont le seul argument est la liberté d’expression sont souvent les porteurs des idées les plus nauséabondes.