Cette mainmise concerne notamment l’un des plus anciens monastères chrétiens du monde, le monastère syriaque Mor Gabriel, dans la région de Tur Abdin, appelée aussi « la montagne des serviteurs de Dieu » en référence à ce haut-lieu du christianisme oriental. La région comprend aussi une cinquantaine d’autres monastères et églises qui viennent de passer sous le joug de la Dyanet, le bureau des affaires religieuses. Le procédé ravive et réveille la mémoire douloureuse des chrétiens, pris en étau entre les Kurdes et le régime politique. Il faut souligner que la Turquie abritait au début du siècle dernier la plus importante population chrétienne du Proche-Orient, qui constituait alors le 20% de la population. Aujourd’hui, elle ne représente plus que 0,1%.
Durcissement
Cette baisse est hallucinante. Le génocide de 1915 des Arméniens et syriaques, et l’exode forcé des grecs orthodoxes au début des années 1920 expliquent en grande partie cet effondrement. Maintenant, il faut savoir que la politique du président islamo-conservateur Erdogan et de son parti l’AKP, au pouvoir depuis 2002, ne cesse de se durcir. Et les communautés chrétiennes, réduites à peau de chagrin, subissent de toutes parts, et comme à nouveau, les pressions d’un appareil d’Etat en voie de réislamisation.
Autre signe de cette réislamisation : pour la deuxième année consécutive, des prières et récitations du Coran sont intervenues également fin juin à Sainte-Sophie, la basilique d’Istanbul devenue mosquée après la conquête ottomane de 1453, puis déclarée musée au début du XXe siècle sous Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la Turquie moderne. En réaction, la Conférence des Eglises européennes, organisation œcuménique rassemblant 125 Eglises d’Europe, a regretté que « l’un des plus grands lieux de culture et de religion de l’humanité soit utilisé à des fins politiques ». Les signes se multiplient et indiquent aujourd’hui que la pluralité religieuse est particulièrement mise à mal en Turquie.
Amnesty dans le collimateur
Comme pour confirmer ce durcissement, la directrice d'Amnesty International en Turquie, Idil Eser, a été arrêtée mercredi 5 juillet en compagnie de onze autres personnes, lors d'une réunion de formation organisée dans un hôtel de Buyukada, une île située au sud d'Istanbul.
Gabrielle Desarzens