Kakoraki Josué, un pasteur congolais au coeur de la tourmente en Ituri

lundi 10 juillet 2006
Le 30 juillet, le Congo-Kinshasa devrait se rendre aux urnes. 28 millions de Congolais éliront leur président et leurs représentants au parlement. Depuis de nombreuses années, l’Union des AESR entretient des liens étroits avec l’est de la République démocratique du Congo. Que ce soit au travers du Centre médical évangélique de Nyankunde, avec Bunia, la capitale de l’Ituri, ou avec d’autres endroits de cette région où des dispensaires ou des écoles ont été construits grâce à des fonds provenant de Suisse. Du 8 au 21 juin, deux représentants de la Communauté Emmanuel, l’Eglise congolaise partenaire des AESR, étaient en Suisse. Kakoraki Lombe Josué, le représentant légal, et Besisa Mugisa John, le trésorier, ont fait part de leurs préoccupations et de leurs attentes, dans un pays où les élections pourraient amener un vent nouveau. Portrait du pasteur Kakoraki Lombe Josué.

« Je n’ai pas d’autre moyen pour lutter contre l’ « esprit bestial » que d’enseigner la Parole de Dieu. » Kakoraki Lombe Josué est un pasteur du Congo-Kinshasa. Numéro 1 de la Communauté Emmanuel, une union d’Eglises soeur des AESR, cet homme dans la cinquantaine vient de l’Ituri, une région à l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Guerre civile, luttes tribales, assassinats, viols, destructions de bâtiments, enfants soldats... il connaît ces maux qui ont ravagé la région des Grands Lacs et notamment de l’Ituri, ces dernières années. De passage en Suisse, le pasteur Kakoraki, originaire de la tribu ngiti, raconte le quotidien d’un homme habité par l’Evangile et le désir de servir le Christ au coeur de la tourmente congolaise.

D’abord pasteur de soi-même
« Au total, ces dernières années, j’ai perdu 11 membres de ma famille proche dans les conflits ethniques... sans compter les biens matériels. Dieu a protégé ma propre famille. J’ai surtout perdu des oncles et des nièces... » Au début de ces troubles ethniques, le pasteur Kakoraki est d’abord emporté par la haine et le désir de vengeance. Il en veut aux Hemas pour les violences dont a été victime sa tribu, les Lendus-Ngitis. « Il y avait de la haine en moi », admet-il. Mais dans sa famille, son épouse invite chacun à passer ensemble du temps en prière. « Quand nous suivions ses conseils, détaille-t-il, je sentais le poids de l’esprit de vengeance qui m’habitait, tomber de lui-même et la paix du Seigneur me gagner ».
Le combat est avant tout intérieur. Il se poursuit. Prend même une ampleur insoupçonnée. Durant cette période, Josué Kakoraki est obnubilé par la prière que Jésus a enseignée. Et notamment par ces quelques mots : « Pardonne-nous, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » (Mt 6,12). « Ces mots me revenaient partout où je me promenais, se rappelle-t-il. C’était comme si ce passage de la prière de Jésus me poursuivait, tout comme ce qui, dans l’évangile de Matthieu, suit la prière de Jésus : « Si vous pardonnez aux autres leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos fautes » (Mt 6, 14-15).
Le combat intérieur s’intensifie. Acculé jusque dans ses derniers retranchements, le pasteur Kakoraki prie. « Seigneur, je ne suis pas en mesure de pardonner, accorde-moi la grâce de pouvoir pardonner ». Le responsable de la Communauté Emmanuel ressent alors un poids sortir de lui-même et son fardeau disparaître. Il peut fouler un chemin de guérison.
Dans l’Ituri, la Communauté Emmanuel est une union d’Eglises multiethniques. Une fois habité du désir de pardonner, le pasteur Kakoraki reprend contact avec Nyakufa Alphonse, le vice-président de la Communauté Emmanuel, un Hema. Il se rend à Kampala en Ouganda où cet homme s’est réfugié. Il rencontre son « vice ». Ensemble, ils réfléchissent à la manière de poursuivre leur action à la direction de la Communauté Emmanuel. « Le climat que j’ai trouvé chez lui en me rendant à Kampala m’a encouragé à aller de l’avant ! » Les deux responsables chrétiens se découvrent ouverts l’un à l’autre et nullement prisonniers des rivalités tribales. Unis dans la prière, ils cherchent ensemble comment témoigner de leur unité devant les leurs dans la région de Bunia. « Il y a une chose qui est sortie de notre entrevue, se rappelle Kakoraki Lombe Josué. L’Evangile n’échoue jamais. L’Evangile est un message fort et puissant, mais c’est la manière dont nous le transmettons qui pervertit ce message ».

Pasteur des victimes du tribalisme
De retour à Bunia, le Ngiti et le Hema se mettent au travail alors que la ville est divisée en deux. Le nord à la tribu hema, le sud aux Ngitis. « Au début, nous n’avions pas de maison où habiter, se rappelle le pasteur Kakoraki. Nous sommes allés nous réfugier dans le bureau de la Communauté Emmanuel, qui était aussi dévasté. C’était un samedi et des chrétiens de la ville ont accouru en nous disant : « Si vous n’êtes pas là, nous nous sentons abandonnés ». Le représentant légal de la Communauté Emmanuel et son vice-président se mettent au travail. Ils relancent les activités de l’Union d’Eglises, puis décident de se lancer dans des visites en dehors de la ville de Bunia. « C’est là que nous avons buté sur des difficultés, se souvient Kakoraki Lombe Josué. Si nous voulions visiter une région ngiti, je devais précéder mon collègue de quelques jours pour préparer le terrain. Si nous voulions nous rendre en milieu hema, mon vice-président devait me précéder d’au moins 2 jours pour préparer le terrain ». Ces visites ont pour but de sonder les possibilités d’animer sur place un séminaire sur le thème de la réconciliation.
Une fois qu’une région était d’accord d’entrer en matière par rapport à un séminaire, le pasteur Kakoraki et son vice-président préparaient une équipe de 20 personnes, 10 Ngitis et 10 Hemas, pour animer la semaine de rencontres. « Il fallait d’abord que les responsables de nos Eglises locales voient que des Nigitis et des Hemas étaient capables de marcher à nouveau ensemble, se rappelle Josué Kakoraki. Venir seul, en tant que représentant légal, n’aurait jamais eu le même impact ». Les enseignements et les temps de prière s’articulaient autour de 3 thèmes principaux : le rappel de la grandeur de l’amour de Dieu pour chaque être humain, quoi qu’il ait accompli, l’importance de la guérison des blessures intérieures infligées par les violences tribales et l’invitation au rapprochement à l’endroit des personnes d’autres tribus et au pardon.
Sur 13 séminaires planifiés dans un premier temps, 7 ont effectivement eu lieu. « Lorsque les militaires de la Monuc (la Mission de l'ONU au Congo) ont eu vent de ce que nous préparions, ils voulaient nous accompagner pour nous protéger, se rappelle le pasteur Kakoraki. Nous avons dû refuser leur proposition. La présence de militaires n’aurait fait qu’attiser les tensions. » Les conséquences de ces séminaires ont été encourageantes. Certaines Eglises locales, qui s’étaient repliées sur l’identité ethnique de la majorité de leurs membres, ont rouvert leurs bancs à des chrétiens d’autres tribus. Des hommes de guerre ont décidé de participer à la démilitarisation des milices. Ils ont remis leur fusil au gouvernement.

Pasteur des victimes de la guerre civile
Aujourd’hui la situation à Bunia a évolué. L’heure n’est plus aux affrontements ethniques, mais aux affrontements entre milices et armée gouvernementale. Depuis le début de l’année, 100'000 personnes sont venues gonfler la population de Bunia, le chef-lieu de l’Ituri qui d’ordinaire affiche entre 300 et 400'000 habitants. Il s’agit pour la Communauté Emmanuel et pour d’autres Eglises chrétiennes de venir en aide à ces déplacés. Du point de vue alimentaire, médical et logistique. « Nous avons été très surpris de voir les milices qui s’opposaient pour des motifs tribaux, s’allier et combattre maintenant les forces gouvernementales ». Dans le village de Nyankunde, à 42 km de Bunia, 5'000 soldats des forces gouvernementales ont pris racine. Ils sont venus s’installer là avec armes et bagages et vivent au crochet de la population. Une situation qui pousse les locaux à fuir vers des endroits plus sûrs.
Les sollicitations adressées à la Communauté Emmanuel sont donc nombreuses. Il s’agit de pourvoir au mieux aux besoins de tous ces gens avec des moyens limités. Mais les ressources locales sont mises également à contribution. Ainsi pour aider les quelque 100 femmes devenues veuves suite à ces conflits et les femmes devenues mères suite à des viols au cours des affrontements, les 6 Communautés Emmanuel de Bunia ont construit des maisonnettes. Elles prélèvent aussi la moitié des recettes des collectes pour aider les orphelins. Ces Eglises ont aussi lancé des « champs collectifs » où, à tour de rôle, des chorales, des groupes de dames ou d’hommes, se relaient pour l’entretien de ces jardins. « C’est comme cela que nous parvenons à soulager ces veuves et leurs enfants, explique le pasteur Kakoraki. Le produit de la vente des légumes permet de couvrir les frais scolaires des enfants ».
Du côté de la direction de la Communauté Emmanuel, on a pris note des profonds changements qui sont intervenus ces dernières années dans la mission des pasteurs. « Il nous faut les préparer à relever les défis de la vie ensemble, de la santé et de la nutrition qui se posent à nous, constate Kakoraki Lombe Josué. Avec la grâce de Dieu, nous essayons de faire de notre mieux. »
Serge Carrel

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