La ville de Matera a déjà servi tant au décor de « L’Evangile selon Saint Matthieu » de Paolo Pasolini en 1964, qu’à « La Passion du Christ » de Mel Gibson de 2003. Le long métrage de Milo Rau, qui est à la fois un documentaire sur le combat des migrants, la vie du Christ et un making off du film en train de naître, est tout-à-fait étonnant. Il s’ouvre sur une vue de la bourgade depuis un toit, où le réalisateur et metteur en scène bernois explique au migrant camerounais Yvan Sagnet comment Matera peut, par sa topographie, être assimilée à Jérusalem. Or cet activiste africain – que l’on va voir chercher à fédérer ses coreligionnaires en vue de davantage de reconnaissance de leur dignité – est celui qui interprète Jésus dans cette passion du Christ revisitée. Un Christ Noir et rouge, donc, en regard de ses engagements politiques.
Message fort
Interrogée dimanche 28 février dans l'émission Hautes Fréquences de RTS La Première, Isabelle Gattiker, Directrice générale des programmes du FIFDH, a indiqué avoir voulu ouvrir le festival avec ce film : « Il nous tient énormément à cœur parce qu’il n’y a pas beaucoup de films qui nous invitent à repenser les religions. Et parce que le sujet dont il parle est en lien avec les droits humains. » Car Milo Rau a choisi pour acteurs des migrants qui récoltent dans ce sud de l’Italie des tomates et des oranges pour 5 euros l’heure et les habitants de Matera. Selon Isabelle Gattiker, c’est ainsi le premier film qui relate la Passion du Christ avec des juifs, des chrétiens et des musulmans tous ensemble sur le plateau. « Marie-Madeleine est jouée par une vraie prostituée. Et le Christ est Noir : c’est un message très fort. »
Un film radical et politique
Le réalisateur a en fait choisi de faire un film politique. Avec une question : si le Christ était vivant et parmi nous aujourd’hui, qu’est-ce qu’il ferait ? Qui mettrait-il à ses côtés ? Pour Isabelle Gattiker, il s’agirait de personnes migrantes, « cela ne fait aucun doute ! » Pour elle, le Christ était en tous les cas perçu comme une figure radicale, voire révolutionnaire, qui se mettait du côté non seulement de ceux qui n’ont rien, « mais qui ne sont rien ! » Le mot « dignité » revient d’ailleurs en boucles dans la bouche d’Yvan Sagnet. « La dignité, c’est remettre les personnes migrantes au centre d’un processus social, explique la directrice. C’est pour cela que c’est un film politique : elles sont mises au même niveau que les habitants de Matera. Elles sont intégrées dans un corpus social. Il faut bien sûr leur donner à manger et à boire. Mais il faut donner aussi à chacun une place et une possibilité d’échange et de vie en communauté. »
Paroles bibliques
Le film est ponctué de paroles bibliques – « Le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où poser sa tête », « L’homme ne vivra pas de pain seulement »… – puis Jésus, alias Yvan Sagnet, vient visiter les travailleurs dans les champs. Ce tissage entre la vie du Christ et les personnes migrantes croise soudain un épisode d’un réalisme cru et terrifiant, lorsqu’un habitant de Matera improvise son rôle d’un soldat romain fouettant Jésus : il s’en prend violemment à une chaise, sensée le représenter, avec mépris et rage. Jésus, rejeté et maltraité comme un migrant ? Milo Rau esquisse quelques analogies. De quoi nous sortir de notre indifférence face aux personnes qui cherchent refuge dans nos pays. Et peut-être à ce qu’a, selon les textes, enduré le Christ.
Gabrielle Desarzens
Le film sera à visionner sur le site du FIFDH dès vendredi